Cette exposition de grande ampleur à la Villa Médicis de Rome et aux Beaux Arts de Paris (qui se terminera à Paris le 30 avril) placée sous la direction de Francesca Alberti et Diane H. Bodart est d'un grand intérêt. Il ne faut pas croire que l'institution du quai Malaquais est seulement une prestigieuse école. C'est aussi un musée, doté en particulier d'une très importante collection de dessins depuis la Renaissance. Moyennant quelques emprunts, notamment au Louvre, lui-même propriétaire d'une formidable collection, les commissaires ont imaginé une superbe leçon d'histoire de l'art. Elles ont dû répondre à la question de savoir comment distinguer un divertissement volontairement régressif d'un maître d'un gribouillage d'une main anonyme ou d'un enfant ? « Face à la maladresse intentionnelle d'un artiste tel que le divin Michel Ange, écrivent-elles, dont le fonds d'atelier, comme celui de nombreux autres artistes de son époque, conserve une quantité de « gaucheries » de toutes sortes, le prisme de l'attribution apparaît inadapté pour comprendre cette production graphique dans toute sa complexité. Une autre voie s'esquisse si l'on prend en charge la résistance à l'analyse stylistique et chronologique de façon à mettre en lumière l'achronie que ces dessins produisent par leurs processus de désapprentissage et de régression contrôlée qui rejoignent ceux mis en oeuvre par les artistes de la modernité en rupture avec la tradition académique. »
Dans cette foisonnante exposition, on ne trouve pas que des dessins régressifs, on découvre aussi des brouillons en vue de chefs d'oeuvre. Ainsi Michel Ange, qui donnait volontiers ses feuilles d'essais, avait-il conservé deux « feuilles magistrales » dites « études pour un Christ ressuscité avec variantes pour la position de la tête » qui font partie aujourd'hui de la collection des Beaux Arts de Paris. Vers 1516, Michel Ange s'attendait à une commande de peinture représentant la Résurrection pour la chapelle Médicis dédiée au Christ ressuscité. Il avait opté pour une sortie du tombeau prenant appui sur la jambe droite. Le maître avait poursuivi sa réflexion jusque vers 1532. Il se trouvait à Rome quant il était parvenu à La Résurrection du Christ, une admirable sanguine aujourd'hui au Louvre. La feuille de l'exposition n'est donc nullement un gribouillage, mais la première étape d'un travail préparatoire à un sommet dans l'art de Michel Ange. En revanche ce dernier, sur le chantier de la Sixtine en 1510, souffrait de la chaleur en été et travaillait nu. Il s'était amusé à tracer, dans la marge du décor de fresque, un sonnet et une caricature de lui debout, sans vêtement, peignant un motif au dessus de sa tête.
Le visiteur peut ainsi faire de nombreuses découvertes, notamment au verso de beaux dessins, par exemple celui d'une tête de Vierge par Andrea del Sarto vers 1516-1520 avec, au recto, le profil caricatural d'un jeune homme coiffé d'un chapeau. Les commissaires n'oublient pas les temps modernes, avec les expériences de Picasso, Giacometti ou Dubuffet. On remarque une photographie par Brassaï représentant Matisse devant un dessin exécuté les yeux bandés (1939), une autre représentant Miro méditant devant un pur et simple graffiti (1955). Bref : en ces temps où le dessin est à la mode, le public est invité à constater que ses variations sont innombrables et que la réflexion bien connue de Giacometti est toujours d'actualité : « Ce que je crois, c'est que, qu'il s'agisse de peinture ou de sculpture, au fond il n'y a que le dessin qui compte... »
|