L'exposition Manet/Degas du Musée d'Orsay est passionnante (jusqu'au 23 juillet, puis du 24 septembre 2023 au 7 janvier 2024 au Metropolitan Museum of Art de New-York). Elle permet de suivre l'amitié et la rivalité des deux plus grands peintres du XIXe siècle jusqu'en 1883, date de la disparition prématurée d'Edouard Manet à travers vingt séquences que l'on peut suivre grâce aux vingt chapitres d'un excellent catalogue (264 pages, 45 euros, éditions Gallimard) - tels que « L'énigme d'une relation », « Salon et défi des genres », « Au-delà du portrait », « Le cercle Morisot », « Aux courses », « Impressionnismes », « Masculin-féminin » ou encore « Sensibilités politiques », écrit par la conservatrice générale peinture au Musée d'Orsay, Isolde Pludermacher sur lequel je m'arrêterai aujourd'hui.
Manet et Degas étaient tous deux les aînés de familles de grands bourgeois. Or Edouard Manet était un républicain convaincu, dont la plus grande partie de l'oeuvre est en réaction avec les évènements de l'actualité. Degas, au contraire, peut être qualifié de conservateur. Leurs sensibilités respectives sont marquées par la manière dont leurs grands-pères paternels ont traversé la Révolution française. Clément Manet avait eu des liens amicaux avec d'importants personnages de la Révolution alors qu'Hilaire Degas fut menacé pendant la Terreur pour « agiotage sur les blés » et avait fui à Naples où il avait fondé une banque à son nom. Plus tard, le jeune Manet, pilotin sur un navire de commerce, avait été scandalisé par la pratique de l'esclavage au Brésil, alors que Degas, visiteur en Louisiane d'un oncle négociant en coton, n'avait nullement été choqué par le même système économique. Si bien que dans la salle « Sensibilités politiques », le contraste est fort entre Un bureau de coton à la Nouvelle Orléans (huile sur toile 1873), musée des Beaux-Arts de Pau par Degas, et Le Combat du Kearsarge et de l'Alabama (huile sur toile, 1864 Philadelphia Museum of Art), par Manet. Degas peignait un paisible négociant (son oncle) et Manet frémissait d'enthousiasme en décrivant la victoire du nordiste sur l'esclavagiste au large de Cherbourg.
Napoléon III, honni par Manet, avait déclenché une opération militaire au Mexique en 1861 pour y installer sur le trône impérial l'archiduc Maximilien, frère de l'empereur d'Autriche. Les troupes françaises subissent de lourdes pertes face à la rébellion républicaine conduite par Benito Juàrez soutenue par les Etats-Unis. Napoléon III juge prudent de rapatrier son armée et abandonne Maximilien encerclé dans Queretaro. Ce dernier sera fusillé avec deux de ses généraux le 19 juin 1867 à la grande émotion de Manet qui entreprend de décrire la scène dans plusieurs oeuvres dont certaines sont présentes à l'exposition. Le peintre a doté les soldats de Juàrez d'uniformes proches des uniformes français, et le sergent qui prépare son fusil pour donner le coup de grâce a les traits de Napoléon III. Le scandale étant certain, le tableau est refusé par le jury du Salon, là où un vaste public aurait vu le témoignage politique sur le lâche comportement de l'empereur des français. Degas, lui, n'avait pas traité un tel sujet, et de toute façon n'exposait jamais au Salon. En revanche, après la mort de Manet, il racheta les morceaux de la deuxième version (Manet l'avait découpée). La première version, prêtée par la Kunsthalle de Mannheim est à Orsay dont elle est une des vedettes de l'exposition.
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