La Haine des clans, guerre de religion 1559-1610, musée de l'Armée, Invalides / Editions in fine, 360 p., 39 euro.
Il ne s'agit pas ici d'une exposition de plaisir ou de divertissement. C'est une période terrible. En France, la situation est particulièrement compliquée car si François Ier demeure un roi relativement modéré dans ses convictions catholiques, son épouse, Marguerite de Navarre, est favorable « aux évangélistes » et fait tout son possible pour les protéger. Fort heureusement, François Ier ne prend aucune décision drastique et il n'a pas peur de conclure des accords avec les nations protestantes Les communautés créent pas Jean Calvin peuvent se développer sans problème. Elles comptent près de deux millions de membres au début des années 1560. Si la France est plutôt prospère, les sujets perdent confiance dans les ministres du culte.
Si le traité de Cateau Cambrésis est favorable à l'Espace qui reprend tous les territoires en Italie, la France reprend Calais et se renforce à l'est. Avec la montée sur le trône de François II, puis de son frère Charles IV quand il meut en 1560, entraîne la régence de Catherine de Médicis et puis des conflits sérieux entre différentes branches des grandes familles aristocratiques. Une crise financière sérieuse a éclaté en 1562 et a provoqué les premiers conflits. La guerre de religion atteint un paroxysme en 1567 avec le massacre des catholiques à Nîmes. Le mariage d'Henri de Navarre (le futur Henri IV) fournit l'occasion du massacre de la Saint-Barthélemy en 1572, qui devait, semble-t-il, se limiter à l'élimination des chefs protestants présents dans la capitale, comme l'amiral de Coligny. S'en en est suivi une tuerie qui a duré trois jours et qui a eu des répercutions en province. Les disputes religieuses se sont mêlées aux rivalités entre les grandes familles. Deux ans plus tard, les Malcontents, guidés par François d'Alençon, frère du roi, s'allie avec les protestants pour contrer la puissance qu'avait acquise la famille de Guise. Une ligue catholique se forme en Espagne quand Henri de Navarre devient le seul successeur possible à Henri III, qui est assassiné. L'Europe a commencé à se ressentir de ces affrontements en France. L'Espagne subventionne la Ligue ; l'Angleterre, le Palatinat, les Pays-Bas et le Danemark soutiennent les huguenots. Catherine de Médicis veut protéger son fils Charles IX et voyage en Europe pour conclure des traités. Elle semble obtenir une pacification générale dans le pays grâce à l'édit d'Ambroise en 1563. Charles IX épouse Elisabeth d'Autriche en 1570. Deux ans plus tard, Henri de Navarre épouse Margueritte de Valois (la reine Margot). Tout ne paraît s'arranger qu'en surface. La noblesse espère gagner sans cesse plus d'influence au Conseil. Henri III entreprend une réforme administration habile et efficace. Catherine de Médicis parvient malgré tout à maintenant une paix relative.
La montée sur le trône d'Henri IV met en péril cet équilibre. Sa conversation au catholicisme et les libertés laissées aux protestants : l'édit de tolérance et l'édit de Nantes de 1598) donnent le sentiment que le royaume retrouve une grande stabilité. La paix est signée enfin avec l'Espagne. Le cardinal de Richelieu signe pour sa port l'édit d'Alès en 1629 dans une optique comparable. Mas la Fronde voit une reprise de la guerre et ne voit sa fin que lorsque Louis XIV peut montrer sur le trône. La révocation de l'édit de Nantes (une catastrophe pour un pays mal en point à la fin du XVIIe siècle)) relance une autre guerre intérieure qui assombri la fin du règne du Roi Soleil....
Cette exposition remarquablement agencée et cet excellent catalogue, qui peut suffire largement à quiconque entend avoir une vision claire et assez complète de ces luttes religieuses avec des textes concis mais jamais elliptiques et une iconographie très bien choisie, donnent la faculté à tout un chacun de revisiter des décennies dont on a entendu parler à l'école et au lycée, mais dont on n'a pas toujours pu comprendre le fil logique dans notre histoire. Cet événement est à ne pas manquer sans quelque prétexte que ce soit.
Les Bourgeois de Calais, Michel Bernard, « La petite vermillon », La Table Ronde, 272 p., 8, 40 euro.
Michel Bernard a la main heureuse quand il veut nous entretenir d'art. Et c'est encore plus notable quand il choisit une des oeuvres maîtresses d'Auguste Rodin, Les Bourgeois de Calais. Un beau jour, le maire de Calais, Omer Dewarin, est venu lui rendre visite en 1884dans son atelier pour lui demander de réaliser un groupe représentant les notables de la vile se rendant aux Anglais pendant la guerre de Cent Ans en portant un une longue tunique et une corde autour du cou. Le sculpteur accepte de relever le défi. La scène a été rapportée en détail par l'historien Jean Froissart et il a décidé de suivre sa description. Mais Rodin n'est pas un artiste comme les autres et, surtout, il est aux antipodes de se plier aux règles de l'académisme. Il s'est forgé une image précise, à la fois tragique et glorieuse de ces hommes prêts à se sacrifier pour sauveur leur cité. Michel Bernard raconte avec force détails l'aventure qu'a été cette création. Il y a d'abord les problèmes techniques et formels et puis les complications de toute qui mettent en péril l'exécution de ce groupe imposant.
Ensuite, il y a les réactions que l'oeuvre suscite. Les réserves sont nombreuses et les polémiques fusent. Mais il est déterminé à aller au bout de son idée, quelques soient les oppositions qu'elle peut susciter. Il fait du lecteur le spectateur de cette saga, qui est d'abord un combat entre Rodin et lui-même avant d'être un rude combat avec l'opinion publique et les hommes qui décident du bien fondé de sa démarche. L'écrivain a cette faculté merveilleuse de restituer l'atmosphère d'une époque, celle d'un grand atelier et puis de restituer le climat intellectuel et politique qui sous-tend cette affaire. Nous voyons Rodin se débattre avec ses certitudes et ses doutes, la patience de Léontine, son épouse, qui le soutient contre vents et marées, le regard que porte tous ces individus qui sont venus juger de ses progrès.
Il faut le reconnaître : c'est un livre remarquable, qui a fait fi de tous les poncifs sur ce grand créateur et sur ses travaux. Il faut reconnaître à Michel Bernard cette grâce si rare de pouvoir parler d'une grande entreprise du passé avec finesse et intelligence. Ce livre le fera aimer des lecteurs et ces derniers apprendront à apprécier Rodin non plus comme l'un de ces êtres qu'on voit dans un musée, mais comme un homme en proie aux difficultés extrêmes et douloureuses de la création. Et cela nous est narré avec une belle écriture.
Un mois à Sienne, Hisham Matar, traduit de l'anglais par Sarah Gurcel, Folio, Gallimard, 144 p., 7, 50 euro.
Deux histoires s'enchevêtrent dans ce roman des plus singuliers. Le premier est celui du désir profond de l'auteur pour la ville de Sienne, l'ennemie jurée de Florence pendant la Renaissance et qui est devenu sa vassale. La seconde est celle de la disparition mystérieuse du père de l'auteur. Nous apprenons que l'auteur est d'origine tripolitaine du père de l'auteur en Lybie à l'époque du colonel Kadhafi. Avec sa compagne Diana, l'auteur arrive finalement à Sienne et en commence l'exploration (le terme peut paraître étrange, mais il convient très bien dans le cas de ce récit). Il ne s'agit pas d'une visite touristique en coupe réglée, mais plutôt de découvertes qui entraînent une succession de réminiscences (par exemple : la représentation de David et Goliath qui ramène à un séjour présent à Rome et au Caravage). Les déambulations de deux protagonistes les amènent à voir tant d'oeuvres sublimes ou à digresser sur le bon ou le mauvais gouvernement. Je dois avouer qu'on se laisse volontiers séduire par ces promenades qui, chaque fois, provoquent des souvenirs, des citations, des conjectures diverses et variées.
C'est un ouvrage un peu maladroit, vertes, mais qui est écrit avec soin et qui est source de plaisirs. On a envie de les suivre dans les rues et les églises de Sienne, de s'arrêter devant tel ou tel tableau. Jamais didactique, jamais « touristique », cette circumnavigation siennoise est une joie constante. Bien sûr, on aurait aimé un livre plus touffu. Notre auteur américain et encore bien jeune doit apprendre à aller beaucoup plus loin dans sa volonté de percer les mystères de la grande Renaissance italienne. Mais il a tout de même su user d'un style fluide et agréable et de connaissances merveilleuses qui ne sont jamais un de poids pour le lecteur. C'est déjà beaucoup et très prometteur pour l'avenir.
OEuvres romanesques, Claire de Duras, édition de Marie-Bénédicte Diethelm, Folio classique, Gallimard, 624 p., 10, 90 euro.
De tous les écrivains de valeur du premier tiers du XIXe siècle, Claire de Duras, née Bonne de Coetnenpren de Kersain (Brest 1777- Nice 1828) est sans doute l'un des plus négligés de nos jours. Pourquoi cette défection alors qu'elle a connu un franc succès de son vivant surtout avec Ourika (1823). Elle a connu dans les années 1820 un rare succès. Puis, avec sa disparition précoce, elle a connu un désamour total de la part du public. Son amitié avec Chateaubriand ne l'a pas sauvée de l'oubli.
Cette édition devrait faire naître un regain d'intérêt. Ses idées étaient largement libérales et passablement en avance sur son temps, qui est celui de l'Empire et de la Restauration. Son enfance est marquée par des événements tragiques : Son père, amiral à la pensée libérale, auteur d'un livre intitulé contre les privilèges de l'aristocratie, Le Bon sens, est guillotiné à la toute fin de 1793 alors qu'elle s'apprêtait à partir pour la Martinique, terre d'origine de sa mère. Après quelques tribulations, elle se retrouve en exil à Londres où elle ne se sent pas du tout à sa place. Elle épouse en 1797 le duc Amédée de Bretagne Malo de Dufort, duc de Duras. Elle a eu une fille l'année suivante. Le coup d'Etat de Bonaparte lui permet de rentrer à Paris, où elle retrouve Chateaubriand et où elle fréquente les salons à la mode. Elle devient l'amie de Germaine de Staël. Elle a aussi connu Humbolt et Lamartine. Elle bénéficie aussi des excellents rapports que son mari entretient avec Louis XVIII. Elle commence (avec une certaine frénésie) à écrire à partir des années dix-huit cent vingt.
Le premier roman qui voit le jour est Ourika qui paraît en 1823. Il y est question d'une très jeune et belle esclave qui est vendu au marché du Sénégal. Elle est emmenée à Paris où elle reçoit une bonne éducation. Mais elle prend vite conscience que la couleur de sa peau va l'empêcher de faire son chemin dans la société. Elle tombe amoureuse d'un artistocrate, mais celui-ci épouse une jeune fille de son rang. Pour elle, il n'y a aucun espoir et elle prend la décision de se cloîtrer dans un couvent. C'est la première qu'une oeuvre romanesque aborde la question du racisme. Elle publie Edouard en 1825. Elle obtient encore un grand engouement de la part du public. En 1827, elle se consacre à un travail historique, Pensées de Louis XIV, extraites de ses ouvrages et de ses lettres manuscrites, recueil préparé par Mme de Duras. Cet ouvrage est imprimé par Firmin Didot, mais ne sort qu'après son décès. Elle est aussi l'auteur d'Olivier ou le Secret, du Moine du Saint-Bernard, Le Paria et d'En Bretagne. On ne peut qu'être saisi par la hardiesse de ses idées, par sa résolution à briser les préjugés et de n'échapper à toute forme de conformisme. De plus elle écrit avec un charme indubitable. Si quelques-uns de ses ouvrages ont paru de temps à autre, jamais on n'a eu la chance de trouver, comme c'est le cas désormais avec cette édition, de découvrir l'ensemble de ses textes. C'est un peu plus que la découverte d'un auteur qui a été relégué dans les limbes du passé, c'est surtout l'étonnante révélation d'une femme qui n'a pas eu peur de proposer des visions du monde qui allaient à l'encontre de la majorité de ses contemporains.
La Marque, Frida Isberg, traduit de l'islandais par Hadrien Chalard, « Pavillons », Robert Laffont, 336 p., 22 euro.
Ce roman va très sûrement marquer notre époque. Sans doute est-il bien loin de Franz Kafka ou de Virginia Woolf, de Joseph Conrad ou de William Faulkner sur le plus strictement littéraire. Frida Isberg ne s'élève ni au rang de Céline ni à celui de Dostoïevski. Mais la façon qu'elle a su traiter un sujet contemporain des plus brûlants la fait entrer dans une catégorie bien particulière qui est celle des écrivains utopistes, tel H. G. Wells ou George Orwell (mais elle n'a pas la puissance visionnaire de William S. Burroughs). Quoi qu'il en soit elle a très bien su dépeindre le monde occidental tel qu'il est en train de se formaliser.
Elle nous dévoile une société qui a décidé de diviser ses membres entre deux catégories : celle sui a pu passer le test, et celle qui n'y est pas parvenue. Une marque indélébile sépare ces deux mondes. On comprend que le clan qui a réussi à passer le fameux test se fait toujours plus nombreux. Ce qui fait qu'un groupe est éloigné de l'autre et ne peut jour de ses privilèges est que la hiérarchie sociale telle que nous la connaissons change d'aspect et se caractérise seulement par cette épreuve du texte et non plus grâce à la richesse, aux diplômes, à la famille, au genre de profession, etc.
Les personnages qui sont les héros de cette histoire sont bien définis et leurs espérances sont également dépeint avec précision. Mais ils sont campés essentiellement pour que nous comprenions le sens de cette transformation sociale qui se révèle une forme de coercition sans aucune violence. La psychologie joue un rôle de premier plan dans cette évolution d'un univers qui tend à rendre la vie commune sans cesse cette volonté généralisée (et confirmée par des référendums). L'idée est de parvenir à une sorte de conformisme poussé à l'extrême sans pourtant changer les apparences du monde dans lequel les citoyens doivent vivre. Mais personne ne peut véritablement échapper à ce système qui transforme chaque individu en un modèle général qui se décline ensuite une infinité de personnalités distinctes. En somme, le la marque est là pour tracer une frontière entre des personnalités qui demeurent différentes les unes des autres. Ceux qui ne parviennent pas à adhérer à ce principe de base sont considérés comme des parias qui pourraient, à un moment ou un autre, pouvoir avoir la possibilité de réintégrer ce principe de base. L'échec n'est, en apparence, qu'une mauvaise passe.
Bien entendu, ce que décrit l'écrivain est une sorte d'utopie qui, à première vue, n'est pas une dictature ou un modèle tels que ceux qui sont apparus au XXe siècle. Cependant, on se rapproche d'une forme de vie sociale qui pourrait être celle décrétée par une intelligence artificielle. On découvre, en lisant ce roman, ce qui nous attend à court terme et sans que nous environnement soit modifié en profondeur. Au contraire. Tout ici procure le sentiment de rester comme les choses étaient auparavant. Il n'y a rien de radical à redouter. En réalité, tout bascule dans un champ où l'individualité change de fond en comble. Et la liberté, qui devrait être le signe de tout être humain dans un contexte social, est érodée. Ainsi, La Marque nous pousse à réfléchir sur les déviances et les singularités que connaissent les habitants de ce Brave New World version électronique et à nous demander comment nous allons réagir quand une telle situation se fera jour de façon explicite. Ce n'est donc pas indifférent.
|