Pour qu'il y ait, à proprement parler, un mouvement artistique, il faut que l'on trouve une tendance commune à un certain nombre de créateurs, à une époque donnée, et qui les emmène dans une direction similaire. Ce dynamisme globalisant doit donc faire sens pour l'historien d'art ou l'esthéticien, et non se réduire à un regroupement factice et de circonstances, à une simple affaire de réseaux, ou alors au baptême hâtif d'un journaliste ou d'un critique... Dès lors, il n'est pas du tout certain que les peintres rassemblés sous le nom de « néo-romantiques » ou « néo-humanistes » (quel rapport, déjà, entre ces deux qualifications ?) par le critique Waldemar George (1893-1970) aient eu suffisamment de directions et démarches convergentes pour que cette étiquette, d'ailleurs vite oubliée, puisse offrir une réflexion esthétique valable. Pourtant, jusqu'au 18 juin, le musée Marmottan Monet présente une exposition, Néo-Romantiques - Un moment oublié de l'art moderne 1926-1972 avec l'ambition de « faire (re)découvrir l'un des premiers mouvements post-modernes fondé sur la remise en cause de l'abstraction et sur le retour de la figure » (sic). Une centaine d'oeuvres inégales, hétérogènes qui plongent les visiteurs en quête de néo-romantisme et de néo-humanisme dans la perplexité. Le commissaire d'exposition, Patrick Mauriès, écrivain et critique culturel, nous rappelle pourtant que l'unique ouvrage (After Picasso) consacré à ce « mouvement » est juste le fait d'un important collectionneur américain, James Thrall Soby. Mais il se demande vite s'il ne serait pas plus judicieux de voir en eux des... « néo-maniéristes » ( ?), tout en insistant sur une pleïade de célébrités plus ou moins en rapport avec ces six peintres, au point que l'on est en droit de se demander si, en fait de « mouvement pictural », il ne s'agirait pas plutôt d'une efflorescence mondaine, née en 1926 d'une exposition à succès à la galerie Druet à Paris, réunissant de jeunes artistes prometteurs, juste sortis de l'académie Ranson. Mais attardons- nous sur ces... « néo-romantiques ».
Cet aristocrate russe ayant fui la révolution de 1917, Pavel Tchelitchew (1898-1957), formé au constructivisme d'Exter et de Rabinovitch, est surtout un scénographe peintre, créateur de décors et de costumes de théâtre, ayant travaillé pour Diaghilev en 1928. Est-ce pour cette raison que l'un de ses collectionneurs à New York, Lincoln Kirstein, était balletomane ? Ses oeuvres picturales, qui emballèrent Gertrude Stein, ont énormément varié jusqu'à des oeuvres hallucinées tardives semblant avoir été produites sous LSD, notamment cette tête de dos, bleutée, comme traversée de circuits nerveux multicolores, ou bien cet oeil constitué de filaments de lumières. Elles restent parmi les oeuvres les plus curieuses de cette exposition hétérogène... Christian Bérard (1902-1949) était aussi et surtout un scénographe, un décorateur et un créateur de costumes, ayant travaillé avec Cocteau et Jouvet. Celui qu'on surnommait « Bébé » à cause de son air poupin montre, quant à lui, des talents d'illustrateur habile dans les gouaches légères et les lavis (il a collaboré avec les magazines Vogue puis Harper's Bazaar) plus que de peintre (on peut toutefois garder quelques beaux portraits, comme ceux de Crevel ou Cocteau). Il n'a appartenu en fait que quatre ans à ce groupe d'artistes « néo- humanistes ». Mais quel rapport avec le hollandais Kristians Tonny (1907-1977) un surdoué du dessin, marqué par le grotesque de Jérôme Bosch, enclin au surréalisme (il a participé à la première exposition internationale surréaliste aux Pays-Bas) et hanté par les paysages du Mexique, réalisant des fantasmagories peintes ou dessinées, grouillantes et d'inspiration fantastique ? Ses portraits, par exemple, n'ont strictement rien à voir avec ceux de Christian Bérard, il suffit de les confronter... Quant au style d'Eugène Berman (1899-1972), un peintre d'origine russe par ailleurs grand collectionneur d'objets archéologiques, il est sans doute influencé par Picasso en ses périodes bleue et rose, et surtout par De Chirico (parfois Max Ernst). Ses peintures sont profondément mélancoliques et torturées. Un thème en outre revient souvent chez lui : une femme à la chevelure flamboyante, sans aucun doute son épouse, l'actrice Ona Munson qui se suicida. Une chevelure baudelairienne assez attractive et fascinante pour servir à l'affiche de l'exposition ! L'oeuvre de son frère Léonide Berman (1896-1976), un peintre essentiellement paysagiste, reste très différente en dépit de leur parenté proche : fasciné par le littoral français, du sud au nord, il y trouve les tonalités d'ocres et de vert tendre qui stimulent son inspiration... Thérèse Debains (1894-1917) est censée faire partie de ce groupe des « néo-romantiques » ou « néo-humanistes ». Elle était certes une amie passionnée de Christian Bérard, et Léonide Berman tourna autour de ce couple charmant. Mais enfin ces liens amicaux et amoureux ne compensent pas les grandes disparités de style. Des couleurs pâles et douces, une inspiration vaguement impressionniste pour des portraits et des paysages qui restent aux antipodes des oeuvres d'un Kristians Tonny !
Bref, bien peu de traits communs entre ces peintres, sauf d'avoir été baptisés par Waldemar-George et adoubés par Gertrude Stein, enfin inscrits dans un seul livre, celui de James Thrall Soby. Mais la pertinence problématique d'une étiquette recèle un grand avantage : celui de nous faire réfléchir aux conditions extra-esthétiques de... l'étiquetage !
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