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[verso-hebdo]
06-04-2023
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La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau |
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Judit Reigl, l'inclassable |
L'une des galeries de Kamel Mennour, 6 rue du Pont de Lodi, est consacrée à Judit Reigl jusqu'au 3 Juin. Comme beaucoup d'artistes de sa génération, Judit Reigl (1923-2020) réussit à fuir la Hongrie stalinienne et parvint à Paris en 1950 où elle fut accueillie par son compatriote Hantaï qui l'introduisit auprès d'André Breton. Elle ne devint ni surréaliste ni purement abstraite, mais inventa une peinture qui se singularisait par son extrême énergie. La galerie Mennour en rend judicieusement compte en accrochant en particulier Homme, 1966 (236 x 208 cm) et Corps au pluriel, (techniques mixtes sur toile, 300 x 195 cm, 1984). Or la toile de 1966, jets de peinture noire sur fond blanc, paraît franchement abstraite malgré son titre et la toile de 1984 fait apparaître au moins quatre figures nues. Il faut savoir que Judit Reigl était parvenue à Paris au moment où l'héritage de Kandinsky et Mondrian se divisait en multiples nouvelles tendances. Si l'on s'intéresse à ce qui se met en place au milieu du XXe siècle comme forme symbolique d'organisation spatiale de part et d'autre de l'Atlantique, le nom de Judit Reigl apparaît au milieu de ceux de Pollock, Soulages, Dubuffet, Poliakoff, Hantaï, Motherwell, Bram van Velde et plusieurs autres aux Etats-Unis ou en Europe.
Judit Reigl est arrivée à Paris au moment où Clement Greenberg exerçait la plus forte influence de sa carrière aux Etats-Unis. Il est probable qu'elle a lu son texte « peinture à l'américaine » où il était surtout question de Jackson Pollock mais qui donnait matière à réfléchir aux peintres contemporains : « Pollock créait un équilibre entre une surface accentuée - rendue plus spécifique encore par les points d'impact de la peinture aluminium - et l'illusion d'une profondeur indéfinie quoique nettement superficielle qui rappelait ce que Picasso et Braque avaient traité avec les plans-facettes du cubisme analytique, » observait Greenberg. Il précisait que Pollock devint provisoirement totalement abstrait lorsqu'il se trouva à mi-chemin entre une peinture de chevalet traditionnelle et une sorte de mural portatif encore incertain. Judit Reigl ne retint de l'idéal de la peinture moderniste que la nécessité de travailler les plans sans profondeur.
Le sous-titre de l'exposition actuelle est « Female figure in man ». Entre 1966 et 1984 elle a travaillé le plan sans profondeur, mais sans empêcher des figures d'émerger. Ni abstraite ni figurative, Judit Reigl considérait sa peinture comme un « mode d'être ». La galerie Mennour a placé une phrase en exergue. Elle allait avoir cent ans et considérait le chemin parcouru : « Sur ce flux, je flotte sans désir même d'arriver jusqu'à la mer, contente avec la plénitude-vide de l'instant présent. Il n'y a pas de rupture. » Il faut que le visiteur garde aussi en mémoire une autre phrase qui explique pourquoi Judit Reigl n'a voulu appartenir à aucun des courants qui ont formé l'art moderne et contemporain : « La seule constante de mon travail est l'expérience d'être ! Si ça doit être figuratif, j'accepte. Si cela devient abstrait, j'accepte aussi. » Je retrouve pour ma part, dans le bel espace de la galerie, les débats des années 70-80 au terme desquels la peinture était passionnante, mais on ne savait pas ce que c'était. Judit Reigl proposait sa réponse solitaire : un mode d'être. C'était la bonne réponse.
www.mennour.com
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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