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[verso-hebdo]
10-04-2025
La chronique
de Pierre Corcos
Une lourde mémoire
« La pièce se passe dans la mémoire », commence par dire le narrateur et protagoniste de La Ménagerie de verre de Tennessee Williams (jusqu'au 1er juin au Lucernaire) et que met finement en scène Philippe Person. Bloc de mémoire sur lequel sont gravés dans la pénombre les linéaments d'un destin artistique, pièce autobiographique dédiée à sa soeur Rose, tant chérie (« Les pétales de son esprit sont repliés par la peur », disait d'elle Tennessee Williams), et que l'on retrouve ici sous les traits de Laura. La pièce secoue, bouleverse. Au-delà d'un pathos familial se joue ici un drame irréparable que la fuite du temps accentue. « Le temps, cet ennemi au coeur de chacun de nous », écrivait l'auteur... Un père alcoolique et presque toujours absent, une mère pleine de bonne volonté mais infichue de comprendre ses enfants, une soeur schizoïde et handicapée, enfin une condition économique difficile : à quelques détails près, le huis clos de la pièce reproduit la situation vécue par Williams. Mais son génie a transmué l'autobiographie psychologique en images puissantes, inoubliables qui hanteront le spectateur. Laura (remarquablement interprétée par Alice Serfati) exprime la pureté et la fragilité de l'enfance, de la folie, que la brutalité du monde peut, comme l'une des miniatures de son étincelante ménagerie de verre, briser d'un coup. À la figure du Dehors (le cinéma que fréquente assidûment Tom, double de l'auteur, ou le café et sa musique ou la création littéraire ou enfin la fuite par un voyage), symbole de liberté mais aussi d'érosion temporelle, s'opposera le cocon familial et son éternité mémorielle. Mais aussi bien l'éden englouti du Sud (Mississipi) et la désespérance de sa grandeur perdue... Ces oppositions trouvent ici leur chair, leur lumière et leur poésie grâce à une scénographie, une mise en scène et une interprétation des comédiens d'une très grande justesse.

Quelle accablante mémoire va être exhumée de son enfouissement, lorsque Violette apprend que sa mère Hortense a été adoptée, et lorsqu'elle la pousse à rechercher ses origines !... La pièce Les petits chevaux - Une histoire d'enfants des Lebensborn (jusqu'au 22 avril au Théâtre des Gémeaux Parisiens), réalisée par Séverine Cojannot, Camille Laplanche, Matthieu Niango, Jeanne Signé et mise en scène par Jeanne Signé, démarre comme une enquête familiale, généalogique et policière, mais se change vite en redécouverte d'un aspect peu connu du régime nazi : les « Lebensborn ». Ces espèces de haras humains (d'où le titre de la pièce) avaient pour le but la création, le développement intensif d'une race aryenne pure et dominante. La doctrine raciste, fondamentale au nazisme, s'accompagnant d'une hiérarchie des races, et la race aryenne étant considérée comme la meilleure, une politique d'eugénisme nataliste fut logiquement mise en place dès 1935 par Heinrich Himmler, le chef suprême des SS. Les Lebensborn devinrent ces lieux spécialisés où d'anonymes juments aryennes pouvaient se faire ensemencer (comment parler autrement ?) par des pur-sang SS inconnus, accoucher secrètement et remettre leurs petits chevaux à la SS pour former l'élite ( !), parfaite racialement, du futur. Ainsi, tous ces enfants ne naissaient pas d'un amour, d'un désir ou d'un accident, mais de la mise en oeuvre d'une... idéologie ! Que se passait-il alors dans leur inconscient ?... Par ailleurs des dizaines de milliers d'enfants, de « type aryen », furent arrachés à leurs parents, durant la guerre et dans les pays conquis (voilà qui rappelle, race mise à part, quelque chose d'actuel), pour être « germanisés » dans ces centres. La pièce, qui fut écrite à partir de témoignage et faits réels, effectue un permanent va-et-vient entre drame personnel et mégalomanie collective, aussi entre deux époques, et réussit à estomper, par l'émotion qu'elle suscite, un didactisme si efficace qu'on ne saurait trop la recommander aux collégiens. Ils ressentiront ce passage libérateur entre une oppressante mémoire et, grâce à la patiente investigation, l'émergence d'un drame méconnu de l'Histoire.

Une mémoire collective, bien lourde et culpabilisante que celle évoquant les migrants innombrables qui ont, en se ruinant, pris la mer pour échapper à un sort misérable, et n'ont trouvé dans le bleu de la Méditerranée que la détresse, le naufrage et la mort... Jusqu'au 12 avril au Théâtre de Nesle, Un simple comédien d'Eric Wiener, dans une mise en scène minimaliste de Mouss Zouheyri, donne une voix off (Patrick Sabourin) à l'un de ces migrants. Ce migrant spectral ou imaginaire s'adresse à Rachid (Mouss Zouheyri), un comédien de 55 ans qui a plutôt réussi sa carrière en France et revient, content de lui, dans son Maroc natal pour y enterrer sa mère. Prolongeant son séjour, Rachid va pêcher sur une barque comme il le faisait, enfant, avec son père. Guilleret, il entend profiter de son loisir, mais cette voix, qui descend du ciel ou monte des flots, l'interpelle. Passée la surprise, Rachid se met à dialoguer avec elle. Est- ce sa faute si tous ses compatriotes misérables se sont perdus en mer, incoerciblement attirés par des réussites comme la sienne ? Qu'a-t-il donc en commun avec cet Ali qui n'a pas eu toute sa chance ? Et le terreau de notre bonheur couvre-t-il forcément un charnier ?... Rachid se défend mal contre une mauvaise conscience qui le taraude : je ne suis qu'un simple comédien (titre de la pièce), pourquoi devrais-je assumer tout ce malheur ? On pense à La Chute, le roman d'Albert Camus, mais la tragédie est ici plus ample. Se muer en voix de notre conscience morale, tel est parfois le destin de nos souvenirs.
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
10-04-2025
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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