Herman Braun-Vega est mort le 2 avril 2019. Il était né en juillet 1933 à Lima. Son pays, le Pérou, avait organisé pour lui une belle exposition rétrospective l'année dernière au siège de l'UNESCO à Paris en le présentant avec raison comme le plus important peintre péruvien du XXe siècle. Il était aussi un des représentants les plus originaux du mouvement de la Nouvelle figuration en France. Il était venu s'installer à Paris dès les années 60, exposant très vite chez les meilleurs marchands, à commencer par Lucien Durand, puis Pascal Gabert. Toute sa vie, il aura interrogé le langage de la création picturale chez ses maîtres élus : Rembrandt et Vélasquez, Ingres et La Tour, Manet, Monet, Cézanne et tant d'autres peintres admirés. C'est de leurs langages qu'il a osé nourrir sa propre peinture, avec un immense respect qui n'excluait pas une dose d'affectueuse impertinence, et beaucoup de liberté dans l'emploi des termes. Un langage, mais des styles. La peinture d'Herman Braun-Vega a abordé de front le problème de l'autonomie de l'oeuvre, dès lors qu'elle procède délibérément d'insertions de matières et manières apparemment hétérogènes. Braun-Vega n'a pas renoué avec les langages de ses anciens pour les subvertir : s'il a cassé des images célèbres, s'il a opéré en elles des déplacements de sens insolites, c'est pour affirmer et témoigner, non pour nier.
Affirmer, premièrement, que les peintres appartiennent à une même famille, comme en a témoigné en 1983 un tableau-manifeste réalisé pour répondre à une question que j'avais posée à lui et à ses camarades de la Nouvelle figuration : « Quels sont vos maîtres en peinture ? » (Exposition Tel peintre, quels maîtres ? Galerie ABCD-Christian Cheneau). Voici le commentaire qui accompagnait son tableau intitulé Caramba ! : « Dans le fond à droite, à côté de la porte, un pan de mur recouvert d'un papier peint de Matisse, sur lequel on peut voir accroché Le Bain Turc d'Ingres (vers 1862). Par la porte ouverte, on voit un paysage. Les Peupliers de Cézanne (vers 1880). La nature morte au milieu est composée d'un fragment de Chandelier, pot et casserole émaillée de Picasso (1945) et d'un détail de Pommes et Oranges de Cézanne (vers 1895). D'un côté de la table, on trouve un personnage des Caprichos de Goya utilisant un soufflet pour éteindre la bougie de Picasso. Son tablier porte l'inscription « I love the neutron bomb ». Aux pieds de ce personnage, deux petits monstres talidomisés par Goya (gravure Ya van desplumados). En face, Cézanne offre une pomme - le péché de la connaissance ? - au spectateur. Au milieu, assis dans un rocking chair, Picasso, son front dans l'axe du tableau, de la peinture, de ma peinture ? Derrière lui, Rembrandt, qui appuie sa main sur mon épaule, car je suis présent dans ce tableau (égotisme !)... »
Affirmer, deuxièmement, que la peinture n'est pas innocente, qu'elle est toujours située socialement et même politiquement, et que le « message » du peintre dépasse singulièrement - qu'il le veuille ou non - le jeu des formes et des couleurs qu'il déploie sur sa toile. La réalité du monde était donc présente dans la plupart des oeuvres de Braun-Vega, avec ses contrastes qui sont trop souvent d'insurmontables contradictions. On voit beaucoup d'enfants indiens presque nus voisiner avec les signes les plus ostentatoires du luxe capitaliste dans les tableaux d'Herman qui n'oubliait pas les réalités dramatiques de son Amérique latine. Il avait besoin du réel le plus quotidien, le plus politique, pour accompagner l'irréalisme flamboyant qu'il repérait sans cesse dans l'histoire des formes. Herman Braun-Vega a été bien plus qu'un peintre « cultivé » : un formidable artisan de la présence nécessaire de la peinture dans la vie des hommes.
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