Nathalie Obadia dirige une des plus importantes galeries parisiennes, elle en a créé une autre à Bruxelles, et vient de publier cette Géopolitique de l'art contemporain de grand intérêt (Le Cavalier Bleu éditions, 190 pages, 19 euros). Diplômée de Sciences Po, elle a retrouvé son école où elle est aujourd'hui chargée du cours portant ce titre. A vrai dire, son livre a des petits airs de polycopié, mais on ne lui reprochera pas de nous laisser accéder à la mine d'informations qu'elle propose à ses étudiants. Des informations visiblement puisées aux meilleures sources et, pour les années récentes, fruits de l'expérience personnelle d'une marchande particulièrement dynamique : c'est par exemple l'une de ses artistes, Laure Prouvost, qui représente en ce moment la France à la Biennale de Venise. On peut dire qu'une date est essentielle dans l'évolution de la géopolitique de l'art contemporain : juin 1964, date du triomphe de Robert Rauschenberg à Venise et début de la toute-puissance des Etats Unis sur la scène artistique internationale. Nathalie Obadia était alors âgée de deux ans, ce n'est donc pas en témoin qu'elle écrit, mais en professionnelle parfaitement au courant des origines de la situation actuelle. Son livre porte un sous-titre en forme de question : « une remise en cause de l'hégémonie américaine ? ». Le livre refermé, on a bien l'impression que la réponse est négative : malgré la montée en puissance de la Chine, malgré les initiatives de la Russie ou des monarchies pétrolières, c'est toujours l'Amérique qui décide de tout en matière d'art dit contemporain.
Il y a bien eu, depuis 1964, une certaine émergence des artistes allemands, italiens et britanniques. Mais ce phénomène est resté secondaire. Quant à la France, Nathalie Obadia nous invite à ne pas nous faire d'illusions : « dans les années 1980-90, la France reste toujours en dehors de l'axe américano-anglo-allemand. Aucun collectionneur français ne saurait se mesurer aux collectionneurs américains et anglais qui sont les meilleurs ambassadeurs de leurs artistes. » (p. 117) A celui qui serait tenté de lui faire observer : « si, madame, nous avons François Pinault, un des dix collectionneurs reconnus comme les plus puissants du monde ! », la réponse de Nathalie Obadia est cinglante : dès 1996, notre milliardaire national, invité par Suzanne Pagé à exposer une pièce importante de sa collection au Musée d'art moderne de la ville de Paris dans le cadre de l'exposition Passions privées, envoya « Rebus » de Robert Rauschenberg ! L'auteur montre qu'en France, on ne saurait acquérir le statut de grand collectionneur qu'en achetant de l'art américain. Pour les décideurs de haut niveau, les artistes français n'existent pas.
Ce qui était vrai dans les années 90 l'est toujours en ce début du XXIe siècle. Restons en France : plusieurs observations de l'auteur nous font comprendre que nos « élites » ont complètement intériorisé l'absolue suprématie des valeurs américaines et le dédain de tout ce qui peut être fait en France. Je me souviens, pour ma part, d'une séance de la commission d'achat du Fonds National d'Art Contemporain dans laquelle dominaient des « inspecteurs de la création artistique » pour qui la grande question était de savoir s'il fallait acheter des oeuvres de Dan Flavin, Carl Andre ou Georg Baselitz. C'était en février 1985 : ils ont fini par prendre Baselitz pour l'essentiel de notre budget, restaient quelques miettes pour des artistes français... Oui vraiment le snobisme en France est pro américain ou allemand, ce que démontre avec pertinence le livre nécessaire de Nathalie Obadia.
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