Cela fait très longtemps que Denis Rivière peint des ciels, avec ou sans nuages, à l'huile sur grands formats ou au pastel dans des séries de moyennes ou petites dimensions. La plus fameuse parmi ces dernières est sans doute celle qu'il a exécutée au cours d'un tour du monde, à raison de deux pastels par jour, du 1er janvier 1999 au 1er janvier 2000, pour célébrer l'entrée dans un nouveau siècle et un nouveau millénaire. Deux fois 366 oeuvres, donc, pour 366 ciels observés de Paris à Assouan et de Middlebury ou Washington à Duisbourg ou Knokke-le-Zoute. Or Denis Rivière est né à Honfleur : il était évident pour le musée Eugène Boudin d'inviter cet autre peintre enfant du pays. Certes, Boudin a peint d'admirables ciels normands nuageux : faut-il comprendre que Denis Rivière serait un disciple du célèbre précurseur de l'impressionnisme ? « Soyons honnête, répond-il dans le catalogue de l'exposition (jusqu'au 25 août, musée Eugène Boudin de Honfleur), cela n'a pas été l'élément déclencheur. Il est vrai que quand j'ai commencé à faire cela, je me suis dit : 'Tiens, comme le père Boudin'. Mais cette filiation vient après... » Entendons : après son désir de peindre immédiatement ce qu'il voit (ce sont les pastels exécutés sur le motif) ou ce qu'il imagine (et ce sont ses « invention » travaillées en atelier). En tout état de cause, sa manière a peu de rapport avec celle de Boudin. Rivière n'est pas un impressionniste égaré au XXIe siècle.
Rivière n'est pas impressionniste, ni post impressionniste, ni surtout « surimpressioniste » comme l'était un Sigmar Polke, qui dans les années 80 se voulait en effet artiste de la surimpression, de la double exposition des images photographiques et peintes mêlées. Le résultat était un défi à la peinture, que Polke déclarait haïr. « L'art, c'est une punition. J'en suis vraiment convaincu » déclarait-il à la revue Parkett en décembre 1984. Je suppose que ce fut un bon exemple de ce qui désespéra alors l'amoureux inconditionnel de la peinture qu'est Denis Rivière. Il confie à Benjamin Findinier, commissaire de l'exposition de Honfleur, que « aujourd'hui, l'oeuvre picturale démodée par quelques impuissants prétentieux se doit de se montrer maladroite, approximativement inachevée » et il dénonce « une époque médiocre où le marché et la matérialisation des pensées se sont mondialisées, hélas ! ».
Oui, hélas, car j'imagine aussi que Rivière a assisté comme moi, stupéfait, au triomphe du même Sigmar Polke (je poursuis mon exemple) à la Biennale de Venise en 1986. L'allemand avait envoyé des « tableaux » faits avec des pigments mélangés à du potassium, du méthanol, du manganèse, de l'argent, du zinc et autres ingrédients qui, ensemble, se dissolvent automatiquement à l'humidité (elle est ambiante à Venise). Or ces oeuvres en voie de disparition, ces pieds de nez à la peinture, obtinrent le Lion d'or de la peinture ! Quelle effrayante dérision contre laquelle Rivière se bat de toutes ses forces depuis cinquante ans ! On comprend son désenchantement, lui qui ose proclamer aujourd'hui comme hier que « la peinture est une aventure, et s'il n'y a pas d'aventure, ce n'est pas de la peinture... La peinture vient du ventre, d'une nécessité qui se doit d'être exprimée... » L'exposition en cours est bien autre chose qu'un coup de chapeau à un grand peintre du XIXe siècle par un artiste vivant de premier ordre. C'est un véritable manifeste pour la vraie, la seule peinture : celle qui a si peu droit de cité depuis les années 80. Il faut remercier le musée Eugène Boudin d'avoir permis à Denis Rivière d'allumer ce feu qui n'est pas d'artifice, une explosion de peinture qui devrait attirer beaucoup de monde à Honfleur d'ici la fin de l'été.
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