Sous ce titre, la collection écrits d'artistes des Beaux-Arts de Paris publie un ensemble de textes et d'entretiens dans lesquels l'artiste commente sa démarche. Un recueil important, à verser au dossier de l'histoire de l'art de notre temps. Peter Klasen, allemand né en 1935, est arrivé à Paris en septembre 1959. Il venait de visiter la deuxième édition de la Documenta de Kassel où il avait constaté avec lassitude la domination écrasante de l'art abstrait informel. A peine installé au Princess Hôtel de la rue Monsieur-le-Prince, il est allé voir la première exposition des Nouveaux Réalistes à la Biennale des Jeunes : ce n'était pas non plus pour lui, qui voulait rester peintre tout en s'appropriant la surabondance des images de la société industrielle. Il s'orienta alors vers la photographie en tant que moyen de peindre. Le fait est capital, si l'on veut bien se souvenir qu'à ce moment le pop-art n'était pas sorti des limbes (la première exposition de Warhol à New York interviendrait en novembre 1962). Dans sa préface, Olivier Kaeppelin souligne l'importance historique de Klasen : « Il scénographie picturalement sa pensée critique et met en cause les principes dominants de nos concepts, de nos images, de nos environnements, de nos villes et, aussi imprécis que soit le terme, de nos sociétés... »
Klasen se lia rapidement avec Erro, venu d'Islande en 1958, puis avec ceux qui formeront bientôt le courant de la Figuration narrative. Il fit partie des 32 exposants des fameuses Mythologies quotidiennes en juin 1964 au musée d'Art Moderne de la ville de Paris, qui apparut alors comme une réponse immédiate (mais à vrai dire involontaire) au triomphe de Robert Rauschenberg à la Biennale de Venise, organisé méthodiquement, on devait l'apprendre plus tard, par le Département d'Etat, la CIA et l'US Navy. Dès ce moment, sa stratégie personnelle était au point. Il l'a résumée dans une intervention au cours d'une émission de télévision sur Antenne 2 que je présentai en janvier 1979 et dont on retrouve le contenu dans le livre. A ma question de savoir quel était son état d'esprit dans ses premières années parisiennes, il répondait sans détour : « Le problème pour un jeune artiste est qu'il est obsédé par ça : comment entrer dans le circuit ? Le premier conseil à lui donner, c'est d'éviter d'abord tout contact avec une galerie. Il est plus intéressant de rencontrer d'autres artistes de sa génération, (...) de discuter avec eux. De rencontrer par leur entremise des critiques d'art, c'est très important. D'entrer en contact avec une revue d'art qui fera une première publication... » Klasen est ainsi sorti tout de suite de l'isolement naturel des artistes, et cela lui a grandement réussi. Il est devenu un des plus importants acteurs de la Figuration narrative et plus encore peut-être : celui qui, lui ai-je dit, ni hyperréaliste ni minimaliste, est parvenu, non pas à une sorte de compromis entre ces deux solutions, mais à une formule qui en tient compte pour aller plus loin.
Dans un entretien inédit avec moi de janvier 1982, il réagissait en ces termes : « Tu viens de définir l'itinéraire par lequel je me suis tenu à l'écart autant des abstractions que des figurations plus ou moins « nouvelles », très souvent stériles ou trop bavardes. J'ai toujours soutenu qu'il fallait contenir la peinture figurative dans un schéma extrêmement rigoureux, je n'hésite pas à dire « conceptuel », afin qu'elle échappe à toute interprétation erronée. La peinture figurative n'est pas une simple description de l'environnement, genre carte postale chromo, ni une démonstration d'habileté et de précision, ni un simple psychodrame. Elle est pour moi une forme de recherche, avec un langage autonome qui a ses propres lois et ses propres déterminations au même titre que d'autres recherches scientifiques. » L'essentiel est dit en quelques mots. Olivier Kaeppelin conclut son texte en observant que « dans la forêt des signes, il cherche un passage ». Eh bien Peter Klasen l'a trouvé, ce passage, et en 300 pages passionnantes il explique comment.
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