La galerie Patrice Peltier (35 rue Guénégaud 75006) présente jusqu'au 23 avril un ensemble de peintures par Denis Rivière réalisées entre 1985 et 2016. L'artiste est né à Honfleur en 1945. Autrement dit, il est parvenu aujourd'hui à un âge où beaucoup ont déjà fait valoir leurs droits à la retraite. Pour lui, il n'en est évidemment pas question quoique... L'un de ses derniers tableaux représente un clochard, assis par terre, qui nous tourne le dos. Il semble contempler avec mélancolie une bouteille vide. Le peintre a calligraphié sur la toile même, un peu à la manière de Magritte écrivant « ceci n'est pas une pipe », les mots suivants : « L'artiste en fin de carrière ». Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un autoportrait, mais je crois que cette toile résume parfaitement les sentiments éprouvés par Denis Rivière depuis un certain temps, faits d'un mélange d'humour ravageur et presque de désespoir devant le sort fait aux artistes authentiques dans le monde contemporain.
Désabusé, Denis l'est sans doute en un temps où prospèrent les impostures, mais il n'est surtout pas résigné. Revendiquant avec fierté le titre de peintre, il n'a jamais cessé de travailler, et sa rétrospective actuelle, aussi limitée soit elle, témoigne de l'extraordinaire diversité de ses thèmes : il a fait plusieurs fois le tour du monde, semble-t-il, en quête notamment de ciels, d'anges ou de sacs en plastique, sans jamais renoncer à son exigence de perfection formelle, particulièrement fascinante, par exemple, quand il s'agit de représenter une vague expirant sur le sable d'une plage. Il y a plus de trente ans, concluant le texte de présentation de l'une de ses expositions, je m'exprimais de la sorte : « Denis Rivière : la rouerie d'une technique qui, détachée, ne serait qu'artifice. Denis Rivière : l'étrangeté extrême d'une imagerie qui, isolée, deviendrait littérature. Denis Rivière : l'affect et le concept entrant en collision pour que crève le monde du déjà-vu et que surgisse, dans la jouissance de la peinture en train de se faire, un monde singulier. »
Je découvre maintenant, en retrouvant ce monde singulier enrichi, démultiplié, approfondi et cependant identique à lui-même, que ces prouesses picturales renouvelées pendant des décennies n'ont été possibles que par l'étonnant pouvoir imaginaire du peintre. Avec Rivière, ce sont des savoirs déjà constitués dans l'expérience vécue qui nourrissent la représentation. L'imagination mobilise des savoirs et convertit l'acquis en visible : c'est sa fonction. Chez Rivière, alors que nous pouvons maintenant embrasser l'ensemble de son oeuvre déjà faite, nous voyons que la compréhension en image a en quelque sorte abouti à une image de compréhension. Puisque son imagination, issue d'une présence, ouvre sur des représentations, elle correspond bien à ce que les phénoménologues nous ont enseigné : l'imagination étant à la fois nature et esprit, porte en elle toute l'antinomie de la condition humaine. Rien de moins. Denis Rivière a beau toujours paraître se moquer à la fois des vanités du monde et de lui-même, il y a une chose au moins qu'il prendra toujours au sérieux : la peinture, et il nous fait deviner qu'il y a de bonnes raisons à cela. Comment pourrait-on ne pas penser comme lui ?
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