L'exposition Desvallières, « la peinture corps et âme », actuellement au Petit Palais (jusqu'au 17 juillet), est intéressante à plusieurs titres. Tout d'abord, on découvre que Desvallières, membre fondateur du Salon d'Automne en 1903, fut celui qui y fit inviter dès l'année suivante l'éternel refusé du Salon officiel, Paul Cézanne. Ce fut également lui qui, en 1905, ouvrit une salle à Pierre Matisse, comme lui disciple de Gustave Moreau, accompagné de ses amis Vlaminck, Derain, Manguin, Camoin et Marquet. Le fauvisme était né, et on ne manqua pas d'appeler par la suite Desvallières « l'oncle des fauves ». Ce fut lui encore qui défendit la présence, en 1912, des « cubistes futuristes » qui faisaient alors scandale. Bref : même après son élection à la présidence du Salon d'Automne en 1935, il ne cessa jamais d'en faire le tremplin des avant-gardes, alors même qu'il se situait plutôt ailleurs pour ce qui le concernait.
L'exposition permet ensuite de rencontrer un artiste d'une trempe exceptionnelle. Né dans la bonne bourgeoisie de son temps, pour laquelle le catholicisme n'était généralement guère plus qu'une convenance sociale, il s'est littéralement converti en 1904 au contact de Léon Bloy, à qui il avait été présenté par son ami Georges Rouault, autre disciple de Moreau. Dix ans plus tard, mobilisé comme capitaine de réserve sur le front des Vosges, bientôt promu commandant, il réussit une opération commando à hauts risques le 16 mars 1916 qui lui vaudrait la Croix de guerre. Au cours de cette aventure nocturne, il avait décidé, s'il en revenait vivant, de consacrer son art à Dieu. Un an plus tôt, le 19 mars 1915, son fils Daniel, engagé volontaire à l'âge de dix-sept ans, était mort frappé par un obus allemand. On n'avait pas retrouvé son corps. Dès son retour à la vie civile, Desvallières fonderait avec Maurice Denis les Ateliers d'art sacré (5 novembre 1919).
George Desvallières aurait pu n'être qu'un excellent peintre mondain comme en témoigne son Portrait de Mlle D. de 1883 (sa soeur cadette Georgina) qui avait été fort bien accueilli au Salon des Artistes français. Il n'avait que 23 ans, et la critique n'avait pas manqué d'observer que, loin des académiques Bonnat et Cabanel, Desvallières pratiquait une touche atmosphérique qui faisait de lui un émule naturel de Manet et Berthe Morisot. Mais la conversion de 1904 et la décision de 1916 en ont décidé autrement, et l'exposition révèle un grand peintre religieux. Il se trouve que la Ville de Paris a acquis en 1937 L'Eglise douloureuse (1926) qui a naturellement pris place dans les collections permanentes du Petit Palais. Parmi de nombreuses oeuvres inspirées par l'art sacré, ce tableau (une huile sur papier doublé sur toile, 255 x 151 cm) apparaît caractéristique de la démarche de l'artiste, qui en était conscient, car il l'exposa souvent de son vivant.
C'est bien le sacrifice de la guerre (sur plus d'un million de morts, il y eut 300.000 cadavres non identifiés, dont celui de son fils) qui anime la spiritualité de L'Eglise douloureuse : la croix du Christ s'élève au-dessus d'un cimetière du front, où l'on discerne un enchevêtrement de corps et de croix ornées de la cocarde tricolore (attribuée à ceux qui avaient donné leur vie pour la patrie). En bas, étendu les bras écartés, un « soldat inconnu » émerge en uniforme bleu horizon et fait écho à la figure sombre et décharnée du Christ en croix, couronné d'épines, qui elle-même renvoie au Christ de Grünewald dans son Retable d'Issenheim. Le lien entre « le grand souffrant et le petit souffrant », selon l'expression de l'artiste, est établi par la Vierge douloureuse. Sa silhouette, note la commissaire Isabelle Collet, « presque confondue avec le corps du Christ et le bois de la Croix, en fait à la fois la mère éplorée et l'Eglise accueillant les fruits de la Passion, redoublant en cela le thème de l'Eglise comme corps mystique du Christ, évoqué par les morts au premier plan ». La tête penchée de Jésus s'appuie sur le front de sa mère qui se penche, elle, sur le coeur de son fils, version bouleversante de la trouvaille plastique de Michel Ange dans sa dernière Piétà. (1546, Museo dell'Opera del Duomo, Florence). Ce tableau, sans doute le chef d'oeuvre mystique d'un peintre qui ne séparait pas sa foi de son patriotisme, constitue la pièce maîtresse d'une exposition que bien des visiteurs verront sans doute avec nostalgie, en ces temps où il est de bon ton de traiter avec dérision aussi bien les hommes de foi que les amoureux de leur patrie.
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