Les lecteurs de cette lettre savent mon goût pour le dessin : celui d'Hélène Muheim il y a peu (cliquer à droite) ou celui de Christelle Tea récemment. S'ils partagent cet intérêt, qu'ils se rendent rue du Cloître Saint Merri dans le 3e arrondissement de Paris : la nouvelle galerie Nathalie Obadia présente, au 3, la série « Sans Issue » de Jérôme Zonder (jusqu'au 12 novembre) et la galerie Mariska Hammoudi montre, au 22, les « Disputes académiques » de Tudi Deligne (jusqu'au 29 octobre). Les deux artistes ont en commun une étonnante virtuosité dans l'emploi du fusain, mais leurs univers personnels sont évidemment différents. Le premier continue de multiplier les variations sur les personnages du film classique de Marcel Carné, Les enfants du paradis (1945). Le second se mesure, dans une ambiguïté fascinante, aux artistes de la tradition (Rubens, Francesco Salviati...) Ils ne sont ni d'avant ni d'arrière garde, ils sont animés par la passion graphique.
Ainsi, au début du XXIe siècle en France, des artistes reviennent à des données intemporelles de l'art à partir du dessin. Jacques Derrida avait bien vu que le dessin, en tout temps, incarne la réalité même du corps : « Le dessin prolonge l'acte de la main, et avec elle du poignet, de l'avant-bras, du regard, et finalement du corps tout entier. Contre l'intellectualisation à laquelle on a voulu parfois le réduire, le dessin produit une configuration rythmée du réel naissant du rythme même du corps. » Bref : aussi bien devant l'esquisse que devant l'oeuvre longuement élaborée, l'homme se reconnaît, d'où son intérêt jamais démenti pour l'art du dessin, d'où son adhésion aux propositions les plus fameuses concernant ce mode d'expression : « la probité de l'art », disait Ingres, ou bien, selon la déclaration de Le Brun : « un crayon suffit pour tout exprimer de la nature, y compris les passions humaines. »
De Lorenzo Monaco à Sol LeWitt les préoccupations et les ambitions ne sont évidemment pas les mêmes, mais il y a un point commun relevé par le philosophe Jean-Luc Nancy : le dessin est l'idée, il est la forme vraie de la chose. Ou plus exactement, il est le geste qui procède du désir de montrer cette forme, et de la tracer afin de la montrer. Reste à évoquer la question du beau : en matière de dessin comme des autres arts plastiques, je propose d'en rester au principe traditionnel : est beau, en définitive, ce qui retient notre attention. Mon attention a été vivement attirée par les dessins de Christelle Tea, Hélène Muheim, Tudi Deligne et Jérôme Zonder. Tous me paraissent confirmer l'acte de foi de Giacometti : ce que je crois, c'est que, qu'il s'agisse de peinture ou de sculpture, au fond il n'y a que le dessin qui compte... »
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