En préambule de l'exposition Femmes photographes de guerre (jusqu'au 31 décembre au Musée de la Libération), un court texte de présentation pose cette question : le regard des femmes photographes sur la guerre est-il spécifique ? Il n'y est pas vraiment répondu (dire clairement oui risquerait d'essentialiser les femmes), et tout au plus le visiteur remarquera-t-il que parfois ces femmes photographes portent un intérêt plus marqué à l'égard des autres femmes victimes de ces guerres d'hommes et qu'elles semblent pouvoir s'approcher plus facilement de la population civile, sans doute en confiance avec elles, qu'elles font preuve enfin d'une plus grande pudeur à l'égard de l'obscénité macabre de la guerre... Une deuxième question posée (quel style adopter pour informer sur la guerre ?) pointe les différences de sensibilité individuelle, mais semble faire l'économie des contraintes multiples de ce genre de photographies : les risques encourus (deux photographes sont mortes sur le front), les besoins spécifiques de la presse, les conventions de la photo de guerre, les attentes du public.
Cette très intéressante exposition nous permet de découvrir, outre une dizaine de journaux et magazines, certains disparus, 80 photographies sur la guerre, soit une dizaine d'oeuvres sélectionnées pour huit femmes photographes dont certaines très connues. Par ordre d'ancienneté : Lee Miller, Gerda Taro, Catherine Leroy, Christine Spengler, Françoise Demulder, Susan Meiselas, Carolyne Cole et Anja Niedringhaus. Des années 30 aux guerres récentes, c'est quelques 75 ans de conflits dans le monde ici documentés. Dans cet ensemble, nous avons sélectionné trois photographies qui nous semblent remarquables... « La fille du maire » de Lee Miller (1907-1977), photographie en noir et blanc prise pendant l'avancée victorieuse des forces américaines en Allemagne lors de la Seconde Guerre Mondiale, sublime son sujet (le suicide d'une jeune nazie) en l'inscrivant dans une référence de l'histoire de l'art : une statue de Vierge en état de grâce. L'attitude abandonnée du corps, la marmoréenne pâleur irradiant le visage, et la lumière éclairant des hauteurs célestes le sujet transfigurent le personnage. On ne voit plus le brassard sur le manteau ni le gros canapé en cuir déchiré, et l'on en oublierait la situation d'origine... « Bombardement de Pnom Penh » de Christine Spengler (née en 1945), un chef d'oeuvre si indiscutable qu'il a été choisi comme affiche de l'exposition, montre et symbolise le chaos effroyable de la guerre. Un soleil blafard derrière brumes et panaches d'incendie éclaire un paysage déchiqueté que se partagent décombres et eau stagnante. Dans cette apocalypse en noir et gris, perdus, ahuris au milieu du désastre, s'agitent quelques ombres de survivants. Tout du cataclysme fou de la guerre est ici puissamment évoqué... « Cadavres rangés » de Carolyne Cole (née en 1961), une photographie en couleurs pâles, montre deux visages en tête-bêche de cadavres africains, pris entre des jambes d'autres cadavres et légèrement saupoudrés, de chaux sans doute. Le calme de l'un et le sourire de l'autre rappellent une sieste paisible et fraternelle, loin de tout malheur, et, par opposition, quand on se souvient du sujet, l'absurde cruauté de la guerre... Le choix de ces trois photographies ne répond pas à la question « qu'est-ce qu'une bonne photographie de guerre ? » car celle-ci est relative à des attentes variées, celle d'un rédacteur en chef attentif à la cohérence du photoreportage n'étant pas la même que celle d'un galeriste soucieux de la dimension esthétique du cliché. Mais ce choix peut nous mettre sur des pistes fécondes : le « décollement » par rapport à l'anecdote au profit de l'archétype, et la condensation, en une seule photo, de plusieurs réalités inhérentes à la guerre. Ces réalités, nous les connaissons hélas trop bien : les morts, les blessés, la violence, la barbarie, les dévastations, et cette espèce de pulsion qui tend vers la désagrégation, le néant (la pulsion de mort freudienne).
Certaines photographes ne supportent plus d'y être confrontées, elles quittent le champ de bataille, se reconvertissent ailleurs. Telle Catherine Leroy, qui fut pourtant la première femme à recevoir la médaille d'or Robert Capa. D'autres, comme Lee Miller, initialement mêlée au surréalisme, parviennent à capter des scènes insolites au milieu de l'horreur. Et si une Françoise Demulder conquit en 1977 la notoriété par deux clichés emblématiques, notamment celui représentant une Palestinienne suppliant un milicien armé lors du massacre, au Liban, du quartier de la Quarantaine, d'autres photographes comme Susan Meiselas préfèrent travailler dans l'investigation et le reportage au long cours... Sylvie Zaidman, directrice du Musée de la Libération et commissaire de l'exposition, est historienne de formation. Est-ce pour cela que l'on peut également percevoir cet ensemble photographique comme une documentation sur la guerre civile en Espagne, le débarquement allié, la guerre au Vietnam, au Liban, en Afghanistan, au Salvador, à Gaza...? La scénographie demeure sobre et les nombreux visiteurs silencieux. Une indiscutable gravité émane de toutes ces photos, dont on garde la conviction - et sans doute est-ce la réussite de Femmes photographes de guerre - que la recherche de l'esbroufe et du sensationnel en est totalement absente.
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