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[verso-hebdo]
03-11-2022
La lettre hebdomadaire
de Jean-Luc Chalumeau
A propos du géant Soulages

J.-L. C.
verso.sarl@wanadoo.fr
03-11-2022
Pierre Soulages, l'artiste français vivant le plus connu dans le monde, est mort le 26 octobre 2022 à l'âge de 102 ans. Les hommages sont innombrables et justifiés. Né en 1919, il avait également abondamment été salué pour son centenaire. J'aimerais insister sur le fait que 2019 marquait aussi le soixante dixième anniversaire de l'exposition de Soulages (en compagnie de Schneider et Hartung) dans la galerie de Betty Parsons à New York en 1949. Ils étaient trois peintres abstraits de l'école de Paris, mais c'était déjà Soulages la vedette : l'affiche éditée par Betty Parsons reproduisait exclusivement sa peinture au brou de noix que le MOMA devait acheter. Soulages m'a montré il y a trente-cinq ans cette affiche précieusement conservée, elle illustrait son témoignage que j'ai déjà évoqué ailleurs, mais il me semble que c'est le moment d'y revenir.


En 1949, Franz Kline était un peintre figuratif spécialisé dans les fauteuils à bascule (Rocking chairs). Six mois plus tard, il était devenu abstrait, et ses formes noires ressemblaient étrangement à celles de Soulages. Ce dernier, pionnier de l'abstraction lyrique, avait ouvert une voie que Kline avait aussitôt empruntée : pourquoi pas ? L'histoire de l'art est faite des influences des artistes les uns sur les autres. Mais il n'est pas tolérable que des auteurs anglo-saxons aient profité de l'évidente parenté formelle entre Soulages et Kline pour faire croire que c'était l'américain le prédécesseur ! Une phrase d'Edward Lucie-Smith est particulièrement pernicieuse à cet égard, car elle se présente comme un compliment à Soulages : « Ses lourds signes calligraphiques en noir sont plus qu'une simple réminiscence de Kline... » Et pour cause, si l'on veut bien admettre qu'il ne peut y avoir de « réminiscence » de la part de celui qui fut le premier ! Peu après ma conversation avec Soulages en 1987, j'ai constaté à New York, dans l'une des salles consacrées aux expressionnistes abstraits par le MOMA, que deux grands Franz Kline des années 1952-53 étaient placés à côté d'un Soulages de dimensions modestes, de la deuxième moitié des années 50. Le tour était joué : le « petit » français apparaissait à l'évidence comme un épigone du « grand » américain...



Soulages, dans son récit, se souvenait avec fatalisme de la proposition que lui avait faite Betty Parsons à la fin de l'exposition de 1949 : « Restez ici Pierre, faites-vous américain, et je vous garantis une carrière exceptionnelle... » Soulages a refusé, il est resté français, charnellement attaché à sa terre du Rouergue. Certes, sa carrière a tout de même été brillante et, à l'occasion de son 90e anniversaire, le centre Pompidou lui avait organisé une somptueuse rétrospective qui avait été un véritable triomphe national (500.000 visiteurs). Oui, mais comme par hasard, aucun musée américain n'avait souhaité reprendre cette exposition, et surtout pas le MOMA qui pourtant avait acquis plusieurs autres oeuvres du français. Cela changera-t-il à l'occasion de sa mort ? On peut rêver ! Il serait pourtant grand temps de réparer une injustice historique d'autant plus efficacement organisée que tous les historiens de l'art, conservateurs et autres curateurs, même en France, ont adopté le point de vue pernicieux d'Edward Lucie-Smith au sujet de Franz Kline...
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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Christophe Cartier

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