Miquel Barcelo occupe actuellement (jusqu'au 26 septembre) le musée Picasso de Malaga sous le signe de la Métamorphose de Kafka après avoir occupé le musée Picasso de Paris en 2016 sous le titre Sol y sombra. La relation de Barcelo à Picasso est donc une fois de plus à l'ordre du jour. L'artiste dit avoir pris à Picasso « une sorte d'influence générique, une manière de se rapporter à la vie, une manière d'être au monde. » L'exposition propose des oeuvres des dernières années : 30 céramiques, 13 peintures, 42 aquarelles et une installation de sept grands bronzes dans la cour intérieure du musée. Le passage du temps et l'alchimie de la matière sont, comme toujours, au centre de la réflexion plastique de l'artiste. On peut donc revenir, pour la comprendre, aux réflexions de Marie-Laure Bernadac, spécialiste de Picasso, qui note que « tous deux sont espagnols, mais l'un est andalou, l'autre majorquin. L'un est habité par la fureur du duende, l'autre nage dans les eaux tourbillonnantes d'une insularité rebelle. L'un ouvre le siècle, l'autre le ferme. Irait-on jusqu'à dire que l'un est moderne et l'autre postmoderne ? » Madame Bernadac fait allusion à un texte de Thomas McEvilley en 1996, Barcelo entre modernisme et postmodernisme, mais en reprenant la question aujourd'hui, peut-être met-elle le doigt sur un point sensible.
Faisons un peu d'histoire. Miquel Barcelo, né en 1957, s'est révélé dès sa première exposition dans son île natale, en 1977, comme un artiste surdoué. Il peignait alors comme il écrivait : avec autorité et une fausse désinvolture qui séduisaient. Si bien que les autorités officielles espagnoles, qui manquaient alors cruellement de moyens financiers, décidèrent de mettre le paquet sur un seul homme : Barcelo, pour aller à la conquête de la scène mondiale de l'art. Tant pis pour d'autres peintres espagnols de la même génération, comme par exemple José-Maria Sicilia qui le valait bien, condamnés à rester dans l'ombre quand notre héros allait être invité partout. Ce serait le cas à l'éphémère Biennale de Paris en 1985, où le jeune prodige ferait une prestation spectaculaire sur les cimaises et surtout dans le catalogue pour lequel il avait souhaité rédiger lui-même le texte de présentation, qui se limitait à ces seules lignes : « A l'époque de la mort à grande vitesse de Jackson Pollock naissait Barcelo, Pollock naissait vers la mort de Monet et Goya mourait alors : il était né au moment de la mort de Watteau. Watteau naissait à la mort de Vélasquez. Lorsque naît le Caravage, Tintoret vient de mourir. Tintoret venait après Giorgione. » Cette originale reconnaissance de filiation avait épaté pas mal de monde. Mais il y eut tout de même quelques bémols.
Barcelo laissait en effet émerger ses images (torrides, inspirées du désert africain, ou froides, inspirées des glaciers suisses) à partir d'un champ pictural où se mélangeaient de multiples références à toutes sortes d'avant-gardes historiques mais aussi d'arts primitifs, d'où des réflexions critiques sur le danger que tout cela finisse par tourner à vide. C'était à propos de la série de la Saison des pluies, en 1991. J'avais eu précisément un entretien avec lui à ce moment-là, au cours duquel il m'avait déclaré qu'il voulait être « celui par qui l'on sortira du post modernisme ». Qu'en est-il trente ans après ? Nous retrouvons, à Malaga comme à Paris, des tableaux très inspirés de Picasso et la tauromachie (3e Tercio, 2019), des oeuvres venues de l'art pariétal, sans compter les céramiques et sculptures tout droit sorties des formes archétypales qu'aimait tant le potier de Vallauris. Il n'est pas nécessaire d'être un grand expert pour voir dans tout cela des réalisations dans la veine du postmodernisme dont Miquel Barcelo n'est toujours visiblement pas sorti. La question de Marie-Laure Bernadac est donc tout à fait pertinente. Mais est-ce si important ?
https://www.museopicassomalaga.org
|