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[verso-hebdo]
09-09-2021
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La chronique de Gérard-Georges Lemaire |
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Chronique d'un bibliomane mélancolique |
Sur les traces du saint Thomas de Velàzquez, dans la poussière de Séville, sous la direction de Corentin Dury & Guillaume Kuentz, musée des Beaux-arts, Orléans /Editions in fine, 160 p., 25 euro.
Saint Thomas ne fait pas partie des apôtres les plus représentés dans nos églises. En revanche, il a connu son moment de gloire au XVIe siècle, et les peintres, sans doute par excès de réalisme après Le Caravage et ses nombreux disciples, n'ont pas hésité à la représenter en train d'enfiler la main entière dans la plaie béante du Christ ! Même s'ils respectent à la lettre l'esprit des Ecritures, ces tableaux ne manquent pas de saisir le spectateur encore de nos jours. L'oeuvre qui est mise à l'honneur ici est la seule d'un cycle de douze qui soit conservée en France. Le Saint Thomas de Velàzquez appartenant aux collections du musée d'Orléans n'est pas figuré dans cette action qui n'a jamais cessé de le caractériser. Il porte une longue pique sur l'épaule (il aurait été tué d'un coup de lance) et tient un livre ouvert dans l'autre main. Son visage est pensif et donne l'impression d'être tourmenté. Ses doutes sont entièrement intériorisés dans cette composition.
La singularité de ce tableau qu'on n'a pas su pendant longtemps relier à la série des apôtres dispersées surtout dans les instituions espagnoles, mais aussi à Londres et à New Il n'est reconnu comme étant de la main du maître qu'en 1920. Une partie de l'ouvrage est plutôt réservée aux spécialistes avec des précisions sur sa restauration et aussi l'étude par la radiographie de l'histoire de sa composition. Pour expliquer l'existence du peintre, on a d'abord souhaité évoquer sa présence à Séville qui, en son temps la capitale économique et culturelle de l'Espagne. Il y a reçu l'enseignement de Francisco Pacheto, auteur de l'Arte de la pintura, où il donne une large place à l'étude du dessin et aussi de la nature dans sa vérité, étant entré dans son atelier en 1610 (il avait onze ans). Précoce et doué, il est admis dans la corporation locale des peintres en 1615. Il passe sa maîtrise deux ans plus tard.
Il entre au service du roi à Madrid en 1623. Cette oeuvre a été élaborée dans sa jeunesse, donc dans sa ville natale. Ce qui est intéressant est la relation avec la peinture de cette époque : il adhère, mais sans excès, au réalisme, qui a balayé le maniérisme. Il se trouve ainsi assez proche de Ribera et de Montañés. D'autres pièces de la suite des disciples de Jésus qu'il a peinte alors sont présentées dans cette exposition. Roberto Longhi, à propos de ses compositions de jeunesse, parle d'un « maniérisme réformé ». Je ne suis pas sûr que ce terme soit juste pour expliquer le sens de son travail. Ses études d'après modèle, comme c'est le cas pour son Thomas, révèlent plutôt un réalisme modéré et avec encore une pointe d'idéalisme pour respecter la conception qu'il se faisait de la beauté. Dans le catalogue, nous trouvons des précisions sur de possibles influences italiennes et flamandes. Il est possible, mais pas certain, que le jeune peintre ait pu voir des oeuvres du Caravage ou même des copies. En revanche, il a sans doute été influencé par le style de Bartolomeo Cavarozzi. Il est aussi très possible qu'il ait bien regardé la manière de travailler de Jusepe de Ribera, qui se trouvait déjà à Rome avant son arrivée. Il aurait très bien pu subir l'influence de Luis Tristàn assez tôt à Séville. En somme, toutes ces études réunies dans ce catalogue permettent de mieux connaître l'histoire du peintre de L'Apostolado, qui se caractérise, comme tous ses premiers tableaux par une relative austérité et dans la forme et dans les couleurs et une grande dignité di sujet figuré. C'est un excellent instrument pour comprendre la genèse d'une oeuvre, qui prend une toute autre ampleur une fois qu'il s'est installé dans la capitale de l'Espagne.
Rencontres et partis pris, écrits sur l'art 1976-2020, Marcel Cohen, présentés par Nathalie Jungerman, L'Atelier contemporain, 352 p., 25 euro.
Ecrivain avant toute chose, Marcel Cohen a surtout publié chez Gallimard. Ses articles et essais sur l'art n'ont encore jamais été réunis en volume. Au début de ce recueil, Nathalie Jungerman dialogue avec l'auteur. Celui tient tout de suite à préciser qu'il ne peut écrire qu'à côté de l'oeuvre plastique : il reprend à son compte une formule de Wittgenstein : « Ce qui peut être montré ne peut pas être dit. » Il pense que son rôle se limite à accompagner l'artiste (et par conséquent pas à l'expliquer). Il tient à se placer loin du critique et de l'historien d'art. En ce qui me concerne, c'est une coquetterie. Je peux comprendre qu'il ne souhaite pas adopter les chemins habituels de la lecture des tableaux, des dessins, des sculptures Mais il semble oublier que bon nombre d'écrivains se sont adonnés avec ardeur au XIXe siècle à la critique (je pense à Stendhal, Baudelaire, Gautier, Zola, Maupassant, Mirbeau, et beaucoup d'autres encore) et que d'autres, le siècle dernier, avec par exemple Gertrude Stein ou Frank O'Hara, ou encore Lawrence Ferlinghetti ont su parler de l'art sans tomber dans le piège du simple commentaire contextuel ou historique.
Mais, au fond, cela est mineur. Seul compte ce qu'il a pu tirer de tel ou tel artiste à un moment particulier de son parcours. Il a aussi été tenté d'épouser des idées qui ont été à la mode (et qui le sont encore parfois) sur la manière d'aborder la question de ces arts qui vont au-delà de la « tradition du moderne ». Ainsi, il considère que l'art n'est pas fait pour la délectation (il pensait, quand il l'a déclaré, à Arnulf Rainer).
Je n'ai pas l'intention de commenter ses propos car ils n'ont rien de choquant, même s'il s'enferre dans un certain nombre de contradiction propre aux formes adoptées par l'art depuis la fin de la dernière guerre. Je ne comprends pas en revanche pourquoi il doit coucher par écrit qu'il a écrit sur Antonio Saura, mais pas sur Claude Viallat. Bref, il condense un peu toutes les postures qui sont admises avec complaisance en notre temps dès qu'il s'agit de parler de la création contemporaine. Allons plutôt examiner ses textes. Quand il aborde la question du paysage, il s'est attaché à collectionner un nombre considérable de citations en fonction des thèmes qu'il a choisis. C'est un curieux exercice, mais loin d'être inutile ou hors sujet. C'est quasiment un petit livre en soi et un beau sujet de méditation.
Il ne nous convainc pas quand il parle de photographie à l'occasion d'une exposition présentée à la galerie Stadler en 1978. En revanche, il a écrit des pages tout à fait pertinentes sur Brion Gysin l'année suivante (elles avaient été publiées la première fois dans l'ouvrage que j'avais conçu, Le Colloque de Tanger II, paru chez Christian Bourgois éditeur). Ce qu'il a pu écrire à propos de Saura au fil du temps (et des événements concernant cet artiste) mérite aussi toute notre attention car l'on comprend bien qu'il s'est efforcé de mettre le doigt sur quelques des pensées qu'il a pu déceler dans ses toiles. Là, c'est un véritable compagnonnage qu'il révèle. Il nous parle également très bien de Richard Long et d'Alexandre Delay, de Bram Van Velde.
J'ai aussi été très intéressé par ses « Brèves notes sur la modernité ». Je ne lui ferais ici qu'un reproche : de revenir une fois de plus sur la question du beau, qui ne serait plus indispensable dans l'art actuel. Cela dit, il, après avoir cité Herman Broch, il range Goya dans la catégorie contraire au beau. Pourtant, désormais, Goya véhicule dans ses travaux un type de beauté d'une saveur spéciale. Picasso lui aussi est devenu « beau ». Il faut se débarrasser d'une notion héritée du monde classique de l'antiquité !
Malgré ces réserves qui ponctuent ces commentaires rapides, j'ai trouvé pas mal de plaisir à lire Marcel Cohen (même si je n'apprécie pas Arnulf Rainer !). Au fond, comme tout critique, qui est devenu par la for ces choses, il a des choix merveilleux et d'autres qui le sont moins. Mais cela n'est pas ce qui compte dans ce volume : seules ses méditations méritent qu'on s'arrêtent devant un créateur connu ou non, talentueux ou moins talentueux.
Mario Puccini, Van Gogh involontario, sous la direction de Nadia Marchoni, museo della città di Livorno.
Le sous-titre donné à cette exposition et donc au catalogue est profondément absurde. Cela est dû au fait que lors d'une très brève période de sa carrière du peintre, Mario Puccini (né à Livourne en 1869-mot à Florence en 1920), ce dernier a exécuté quelques tableaux un peu plus audacieux dans leur composition et leurs couleurs. Cela reste très loin des oeuvres du peintre hollandais ! En revanche, il a été surtout influencé par Giovanni Fattori, l'un des plus célèbres artistes du groupe des macchiaioli. C'est là son véritable point de départ et ce qui sous-tend sa création. Mais il ne s'est jamais placé dans la position d'un sage disciple de ces peintres qui ont marqué de leur sceau la peinture italienne à la fin du Risorgimento. Il n'a rien emprunté non plus à la peinture française de son temps, n'ayant aucune familiarité avec l'impressionnisme (il a eu l'occasion de visiter une exposition sur l'art français contemporain qu'en 1910 à Florence).
Son style et la facture de ses tableaux peuvent peut-être être rapprochés de l'Ecole de Barbizon, mais l'on comprend bien que son univers est essentiellement lié à la Toscane et à la culture qui s'y est enraciné à son époque. Il a d'ailleurs beaucoup peint la ville et le port de Livourne, restant attaché à ce monde qu'il a su rendre avec talent et aussi avec une certaine poésie. Sans être un révolutionnaire, Puccini a fait preuve d'originalité autant dans ses paysages urbains que dans ses paysages des environs. C'est d'ailleurs dans ce registre qu'il fait preuve d'une plus grande force dans sa recherche. Ses natures mortes (certaines d'entre elles sont remarquables, comme Lepre e piccione) et ses portraits sont loin d'être négligeables, loin s'en faut. Mais il puise dans les rues, les canaux, les points de cette cité si particulière (quand les Juifs ont été chassés d'Espagne et du Portugal, le grand duc de Toscane a décidé d'inciter un certain nombre d'entre eux pour développer l'activité portuaire et le commerce). Cette rétrospective très complète permet de redécouvrir un artiste bien oublié. Et ce n'est que justice. Mais qu'on n'aille pas le comparer à un autre enfant de Livourne, Amedeo Modigliani !
Les Insuffisances du coeur, Valérie Fritsch, traduit de l'allemand (Autriche) par Tatjana Marwinski, Bouquins, 208 p., 20 euro.
Ecrire un roman qui soit orignal de notre temps n'est pas une mince affaire : l'histoire du genre a fait que la plupart des solutions formelles ont déjà été explorées. Il existe bien, et heureusement, quelques possibilité d'échapper aux pièges de ce genre. Valérie Fritsch n'a eu aucun désir de le révolutionner. On peut même constater que la construction de son ouvrage est assez classique. Son écriture est aussi assez classique elle aussi. Ce qui fait la force de son écriture est d'être à la fois concise, dense, intense et tendue comme la corde d'un arc. Elle a voulu nous faire le portrait d'une femme, Alma, depuis sa tendre enfance et nous dépeindre aussi son milieu familial et son histoire sentimentale.
Dans ce récit, les parents sont des ombres abandonnées dans les limbes ; le grand-père a une présence indéniable alors que la grand-mère, malade, ne sort plus de chez elle. Sa première relation amoureuse avec Friedrich est sans doute une étape cruciale dans sa vie, mais ne semble pas entamer son caractère et sa vision du monde jusqu'à u jour où elle découvre qu'elle est enceinte. Elle donne le jour à un petit garçon, qui est baptisé Emil. Elle éprouve une grande difficulté à se considérer comme mère. Le temps n'arrange pas les choses : elle demeure toujours étonnée ! Les premières années sont traduites ici comme s'il avait été enveloppé dans du tissu, comme cela se faisait autrefois dans certaines campagnes. Il se retrouve le corps couvert de cicatrices et d'écorchures. Mais est-ce là une métaphore ? De plus la douleur ne paraît pas le toucher. Cela surprend le corps médical qui le soumet à des examens permanents.
Ses parents font tout ce qui est en leur pouvoir pour lui donner un semblant de vie normale. Mais ils ne vont jamais en vacances et n'entreprennent pas de longs voyages. Le grand-père meurt et son épouse se tire une balle dans la tête trois jours plus tard. Avec la disparition de ses grands parents, Alma a senti un grand vide se faire et une rupture dans le temps jadis dont ils étaient dépositaires. Elle se met alors à explorer ce passé désormais hors de portée et Friedrich commence à photographier des immeubles anciens de la ville. Tous deux partent pour un périple dans l'est de l 'Europe, puis en Ukraine et même en Crimée sur les bords de la Mer Noire. Ils ont traversé la Turquie, puis sont allés dans le Kazakhstan. Leur fils est avec eux et marque souvent des signes violents de nervosité. Quel était le but de cette longue expédition ? Retrouver le camp où le grand-père avait été emprisonné ? Ce qui frappe dans ces pages, c'est qu'on n'est plus certain de la ligne de partage entre la réalité et l'imaginaire. Tout est sans doute crédible, mais tout pourrait être une manière de restituer une histoire révolue. C'est là le point fort de l'auteur : elle a s très bien su ne jamais dépasser cette frontière tout en instaurant un doute dans l'esprit du lecteur. Ce roman mérite d'être lu et d'être considéré avec une grande et bienveillante attention.
La Divine Comédie, Dante Alighieri, traduit de l'italien et préfacé par Danielle Robert, Babel, 926 p., 14, 50 euro.
L'anniversaire de la mort de Dante Alighieri (1265-1321) a un sens différent en France et en Italie. Les petits écoliers lisent et étudient ces chants dès leur plus tendre enfance et l'oeuvre de Dante peut encore être lue de nos jours sans trop de difficultés. Quand Roberto Benini a fait une lecture à la télévision d'une partie de cette oeuvre, plus de sept millions de personnes l'ont regardé. Quelques mois plus tôt, la lecture intégrale de la Commedia à Florence place de la Signoria avait connu un succès incroyable. Dante appartient à la culture fondamentale de tous les Italiens. En France, elle a été sans cesse publiée maintes fois, Philippe de Mezières le cite déjà au XIVe siècle. Mais demeure pour nous l'obstacle de la langue et aussi celui de la culture toscane pendant le duecento et le trecento.
Félicitée de Lamennais l'a traduite au XIXe siècle et, assez récemment, Jacqueline Risset et Jean-Charles Vegliante ont achevé deux belles traductions qui ont été élaborées selon des clefs très différentes et même opposées, mais toutes les deux brillantes. La présente édition, qui a paru chez Actes Sud en 2016, est remarquable par sa préface et ses notes extrêmement précises. Danielle Robert nous explique en premier lieu la conception de la poésie que Dante développe dans ce livre. Elle souligne la question de la mathématique et par conséquent de la métrique utilisée par ses soins. C'est intéressant, car on se rend compte qu'à cette époque qui est médiévale pour nous, la connaissance avait déjà pris un autre essor de l'autre côté des Alpes. Elle nous indique ensuite que le purgatoire n'a été reconnu comme un lieu intermédiaire entre l'enfer et le paradis qu'en 1274, donc pendant l'enfance du poète.
Cette date est aussi celle où ante aurait rencontré Beatrice Portinari, sa muse et son amour fantasmatique, ce qui paraît quelque peu improbable puisqu'il est né en 1265 ! Mais les légendes ont la vie dure... L'autre aspect fondamental est l'emploi de la langue toscane, dont Dante avait vanté les vertus dans son essai Eloquence de la langue vulgaire. Elle ne parle pas malheureusement des engagements politiques de Dante, qui lui vaudront son bannissement en 1301. Cette affaire est assez compliquée car s'il a choisi le camp papal, celui des guelfes, il a été divisé alors en deux factions rivales. Mais il est impossible de concentrer dans une préface tout ce qu'il y aurait à dire sur l'auteur de cette oeuvre magistrale et qui concerne mille domaines. Quant à la traduction elle-même, elle est limpide et a opté pour la simplicité d'expression. Pas d'une manière aussi radicale que l'a fait Jacqueline Risset et peut-être avec moins de poésie que la version de Vegliante.
Mais elle est tout à fait honorable. Et puis le corpis de notes est très bien pensé et nous permet de comprendre les nombreuses allusions à la littérature antique, à la religion catholique, ou à l'actualité de son époque et aussi des personnages qui ont joué un rôle dans l'histoire de Florence bien avant l'avènement des Médicis. C'est là une édition tout à fait louable et le difficile passage dans notre langue est réussi, ce qui n'est pas évident : on croit généralement que l'italien est proche du français, ce qui est vrai, mais se révèle un problème plus épineux lorsqu'on passe du toscan au français moderne...
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Gérard-Georges Lemaire 09-09-2021 |
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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