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[verso-hebdo]
01-09-2021
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La chronique de Gérard-Georges Lemaire |
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Chronique d'un bibliomane mélancolique |
L'Envers de la médaille, Germaine Viatte, L'Atelier contemporain, 400 p., 25 euro.
Germain Viatte a été un conservateur remarquable et son passage au Centre Pompidou a laissé une empreinte mémorable. Mais nous l'avons peu lu jusqu'à présent. L'ouvrage qu'il nous propose est assez curieux puisqu'il y offre une longue et passionnante monographie sur Piet Mondrian et de brèves considérations sur Jean Dubuffet. Il s'en explique en fin de volume, mais ce choix demeure déconcertant. Mais parlons de son travail remarquable sur Mondrian. Il se révèle un brillant historien d'art, méticuleux mais aussi d'une lecture plaisante. Au fond, on ne s'attache guère à la biographie de l'artiste néerlandais : on retient ses créations abstraites et ses théories néo-plasticiennes. L'auteur expose en détail les étapes de sa jeunesse, souligne l'importance des expositions qui lui ont permis de découvrir l'art de son temps ailleurs qu'aux Pays-Bas, où l'on en est encore resté à l'Ecole de Barbizon pour l'essentiel. Son évolution personnelle est très liée à ces événements qui lui ont révélé de nouveaux horizons, de l'impressionnisme jusqu'aux premières audaces de l'art moderne. Mais ce n'est qu'à l'âge de quarante ans qu'il décide d'aller à Paris. En 1912, il fait des allers et venues avec Amsterdam.
Il expose au Salon des artistes indépendants l'année suivante. Il est alors très marqué par le cubisme et surtout par l'oeuvre de Picasso. Il correspond beaucoup, écrit des articles où il affine peu à peu sa pensée sur l'art dont il pourrait être le metteur en scène. La revue De Stijl dont Theo Van Doesburg est le rédacteur en chef devient le principal véhicule de ses réflexions à parti de 1917. Il se montre de plus en plus radical et par conséquent s'éloigne du cubisme et de ce qu'il voit à Paris. Il s'engage sur la voie du dogmatisme. Et il s'éloigne de Paris pendant quelques années. En 1926, dans Les Cahiers d'art, il fournit sa définition de l' « expression plastique ». Les principes qu'il développe sont assez éloignés du climat culturel de l'après-guerre dans la capitale française. Par chance, il rencontre le jeune Michel Seuphor, qui ne tarde pas à devenir un disciple fidèle. Dans son atelier rue du Départ, il imagine une autre forme d'une peinture géométrique qui dépasse de loin le cubisme. Il participe alors activement à la renaissance de la revue L'Esprit nouveau. Mais aussi curieux que cela puisse paraître, cet essai sur l'évolution de l'esthétique de Mondrian n'est qu'un rapide résumé.
Germain Viatte s'attache surtout à rendre compte de sa postérité et des difficultés qui ont accompagné sa reconnaissance posthume. Il s'attache surtout à faire le récit de la fameuse « affaire Mondrian » qui eut lieu en 1977, quand il s'est agi d'acheter trois compositions réalisées entre 1913 et 1922. C'est une vraie circumambulation dans un labyrinthe ! Les avis les plus contradictoires se multiplient. On songe qu'il s'agit là de faux. Germain Viatte poursuivit alors son enquête avec acharnement. Michel Seuphor est même inculpé pour avoir exécuté des faux. Après une multitude de péripéties, le jugement est prononcé en 1984 : Seuphor est blanchi et la vendeuse, des oeuvres contestées, Simone Verde, est condamnée à deux ans de prison avec sursis. Les trois tableaux se trouvent désormais dans les réserves du Steedelik Museum d'Amsterdam avec d'autres faux... C'est un vrai roman noir, qui montre que l'art est désormais un univers où les enjeux financiers sont tels que les malversations les plus alambiquées sont concevables. La partie consacrée à Jean Dubuffet concerne les nombreuses difficultés qui ont émaillé les relations de l'artiste avec les institutions, en ce qui concerne les expositions, mais aussi la collection de l'Art brut. Cela relève aussi du pur romanesque et est roche d'enseignements.
L'Art à bras le corps, David Sylvester, édition établie par Olivier Weil, L'Atelier contemporain, 672 p., 30 euro.
Voilà une précieuse anthologie des textes critiques de David Sylvester (1924-2001) car, en France, on ne connaît guère ce remarquable auteur britannique que pour ses entretiens avec Francis Bacon. Il est vrai qu'il a écrit à plusieurs reprises sur le grand peintre qui a tant défrayé la chronique. Mais il a aussi écrit des essais remarquables sur Pierre Bonnard, Chaïm Soutine, Henri Matisse, Piet Mondrian, Alberto Giacometti, Paul Cézanne, René Magritte... Et il a été un observateur pénétrant des créations de l'après-guerre, en particulier celles de Wilhelm De Kooning, Jackson Pollock, Claes Oldenburg, Jasper Johns, Donald Judd. Son histoire est curieuse : il a renoncé des études de philosophie pour se rendre à Paris en 1947, à l'époque où naissait la seconde Ecole de Paris.
Il s'est aussitôt jeté dans la bataille des arts plastiques. Il a fait ses débuts comme journaliste et comme secrétaire de Henry Moore. Il a préfacé un nombre important de catalogue et écrit un nombre non négligeables d'ouvrages. Il a eu une carrière très féconde, mais assez peu orientée vers l'art contemporain anglais et européen. C'est surtout les Etats-Unis qui ont retenu son intérêt à une période où l'abstraction lyrique, le minimalisme, l'Hard Edge avaient commencé à s'imposer dans le monde. Sylvester n'a jamais prétendu être un découvreur (il faut lire à cet effet son long « curriculum vitae » traduit dans ce volume). Ce n'est pas seulement la pertinence de ses jugements qui peuvent nous passionner, mais aussi son écriture, très simple, très fluide (sans le jargon que l'on connaît à la critique moderne), sans la prétention de jouer au penseur et au donneur de leçon, mais qui sonne très juste et qui met en relief la subtilité de sa pensée. Je prendrais pour exemple son essai sur Soutine, écrit en 1981, Il a le don de la synthèse et donc d'aller droit au but avec une grande clairvoyance. Il expose de manière magistrale la méthode de Soutine, sa façon de s'emparer d'un sujet et de le transfigurer selon les termes de son écriture picturale. Il sait aussi très bien mettre en valeur ce qui fait la spécificité de cette manière d'envisager les choses qui l'a rendu si différents de ses contemporains à Paris.
La singularité de son mode de faire explique d'ailleurs de manière éloquente sa grande amitié avec Amedeo Modigliani, qui lui aussi a choisi un cheminement intérieur n dehors de tous les sentiers battus de la modernité, et ayant toujours en arrière plan une référence au passé de l'art occidental. Sylvester a su avec merveille nous faire comprendre non seulement ce qui a fait son originalité, mais aussi la profondeur de sa pensée plastique. Et cela est vrai pour tous les monstres sacrés du début du siècle passé dont il a su déchiffrer les mobiles les plus intimes. Il a une pensée sur ces artistes qui ne peut qu'éblouir. En même qu'il nous apprend à mieux les regarder. En ce qui concerne les Américains, il apporte un regard très distancié, mais aussi très pénétrant sur leurs travaux qui repoussent les frontières du langage artistique. Il se révèle un grand pédagogue. A l'époque où il a écrit ces textes, ceux-ci avaient déjà une solide réputation. Mais il a su les rapprocher du spectateur en sachant exposer les grandes lignes de leur nouvelle vision de l'objet esthétique.
Il sait aussi bien les replacer dans leur contexte, celui qui les a inspiré ou celui qui leur a ouvert l voie pour entreprendre des ouvrages novateurs. Les questions complexes que posent plusieurs de ces artistes ne sont pas simples et Sylvester a été en mesure de donner un éclairage admirable sur leurs recherches souvent délicates à interpréter. C'est là un ensemble remarquable, indispensable et les témoignages qui l'accompagnent (ceux d'Yves-Alain Bois, de Jean Frémon, de Fabrice Hergott, de Nicholas Serota et de Sarah Whitfield sont là pour nous apporter des éclaircissements sur ce personnage qui n'était souvent qu'un nom sir la couverture d'un livre d'art).
Les Singeries de Chantilly, Nicole Garnier-Pelle, in fine, 96 p., 19 euro.
A la fin de la Renaissance est apparue une mode envahissante dans les décorations des grandes demeures : les grotesques. C'est un mode d'expression qui a trouvé par la suite une suite avec les chinoiseries et les turqueries. Les singeries dont il est question dans ce bel ouvrage et qui intéressent le château de Chantilly, oeuvres de Christophe Huet exécutées entre 1735 et 1737 appartiennent à ces grands courants décoratifs qui ont culminé au Siècle des Lumières. Ces délicieuses fantaisies, qui n'étaient pas, nous le verrons, un cas isolé, ont été exécutées à l'intention du prince de Condé, Louis-Henri de Bourbon. L'auteur, aussitôt, nous rappelle que ce type de divertissement plastique a déjà existé précédemment, et que d'autres seront réalisés après la Révolution malgré le triomphe du néoclassicisme.
Et ce thème a envahi les objets, les meubles et même la peinture. Et notre précieux guide nous narre l'histoire de cette figure dans l'iconographie ancienne, déjà en Egypte, mais aussi pendant le Moyen Âge et puis sous la Renaissance : elle donne en exemple La Vierge au macaque d'Albrecht Dürer, les nombreuses compositions de David II Teniers où les animaux tiennent le rôle des hommes dans toutes leurs activités. Elle cite aussi Antoine Watteau et Claude Gillot, entre tant d'autres. Et cela n'a plus cessé par la suite, d'autant plus que la caricature, avec l'expansion de la presse, a joué un rôle sans cesse plus important. Elle nous présente alors Christophe Huet (1700-1759), peintre peu connu, mais qui a eu son heure de gloire en son temps. Mais il n'a jamais pi exercer qu'à l'égide de l'Académie de Saint-Luc. Il a pu exposer au Salon au cours des années 1750. Il a privilégié la peinture animalière et quelques exemples de sa production sont publiés ici. Ses tableaux, s'il n'étaient d'une originalité immense, étaient néanmoins de beaux morceaux peints avec un indéniable métier. Il s'est aussi fait un nom dans la décoration et ses singes ont aussi inspiré pas mal de graveurs. C'est un moment curieux du goût que révèle cet album qui est à la fois un vadémécum pour découvre un aspect du château de Chantilly, mais aussi l'esquisse d'une étude sur un sujet qui a connu un succès considérable et qui ne peut que ravir les amateurs d'art et les curieux.
Les Bourgeois de Calais, Michel Bernard, La Table Ronde, 192 p., 20 euro.
Souvent des oeuvres d'art très connues et appréciées ont une histoire que l'on ignore. Elles font désormais partie de notre paysage mental. C'est le cas des Bourgeois de Calais d'Auguste Rodin. Michel Bernard s'est mis en tête de narrer les péripéties de la création de son grand groupe sculpté, Les Bourgeois de Calais. C'est en 1884 que le maire de Calais, Omer Dewarin, un notaire, est venu lui rendre visite dans son atelier pour lui proposer de réaliser une sculpture importante pour commémorer un événement historique qui a marqué le destin de cette ville côtière du Nord : sa reddition lors du siège mis par le roi Edouard III d'Angleterre pendant l'été 1347. L'artiste s'est plongé dans la chronique qu'a pu faire de cet événement le chroniqueur Jean Froissart, qui travaillait à la cour du roi britannique. L'artiste s'est longtemps demandé comment mettre en scène cet épisode qui allait avoir des conséquences profondes pour cette cité qui est demeurée la tête de pont des troupes ennemies de la France.
Il a eu l'idée de présenter ces six personnages qui se sont présentés en chemise, la corde au cou, pour remettre les clefs de leur ville, assiégée depuis près d'un an, au souverain victorieux en prenant pour modèles des citoyens qu'il a pu rencontrer lors de ses séjours dans le port. Ce serait la femme d'Edouard III, Philippa de Hainaut, qui l'aurait convaincu le roi d'épargner la vie de ces courageux notables. Calais est demeurée anglaise jusqu'en 1558 quand elle a été reprise par les troupes d'Henri II. L'auteur montre aussi bien les longues heures de réflexion du sculpteur, mais aussi la rencontre avec les membres du conseil municipal. L'idée était au départ de célébrer seulement l'un des six hommes, Eustache de Saint-Pierre. Rodin achève un premier projet en 1889, qui est exposé lors de son exposition à la galerie Georges Petit à Paris. Mais son idée initiale est très critiquée et ce n'est qu'en 1895 que le monument est inaugurée, non sans d'ailleurs de nouvelles discussions houleuses.
Michel Bernard a mis l'accent sur la relation entre ces deux hommes, le notaire et l'artiste. A la fin, il a d'ailleurs mis en appendice les messages qu'ils se sont échangés. Entre le roman et l'histoire, ce livre s'attache néanmoins à s'en tenir au plus près de la vérité historique. Cette aventure, quand se sont apaisées les polémiques, Rodin a fait plusieurs versions en bronze de cette oeuvre ambitieuse. La lecture de ces pages nous apprend beaucoup sur l'esprit qui a guidé Rodin, mais aussi sur la façon dont une commande publique a pu voir le jour à la fin du XIXe siècle. C'est une belle réussite dans un genre qui entraine souvent à de fâcheuses extrapolations.
Mr. Skeffington, Elizabeth von Arnim, traduit de l'anglais par Bernard Delvaille, Les Belles Lettres, 360 p., 13, 50 euro.
De toutes les grandes dames de la littérature anglo-saxonne du XIXe et du début du XXe siècle, Elizabeth von Arnim (1866-1941) est sans doute la moins connue et appréciée. C'est une injustice, même si la question n'est pas de la mettre sur le même plan que Virginia Woolf. Le roman que nous avons entre les mains est le dernier qu'elle a publié en 1940. Il n'a été traduit en France que très tardivement en 1993. Cette réédition vient à point nommé pour nous rappeler que cette femme de lettres très douée, dont l'oeuvre est importante, a laissé un héritage digne d'intérêt. Elle nous conte ici l'histoire d'une veuve (ce qu'elle a été elle-même), ayant perdu son premier mari, August von Arnim, le comte allemand en 1910. Elle s'est remariée en 1916 avec le comte John Russell - une union qui n'a pas été heureuse.
Elle peut donc très bien se mettre dans la peau de son personnage central, Mrs. Frances Skeffington, que ses proches appellent Fanny. L'affaire est curieuse car cette femme qui n'est plus jeune, mais qui n'a pas encore abordé les rives arides de la vieillesse, est en proie à une sorte d'obsession maladive: elle n'arrête pas de penser à son ancien mari ! A tel point qu'elle songe à consulter un médecin. Au lieu de cela elle décide d'entreprendre un voyage de mémoire. Elle se rend d'abord à Oxford, où elle dialogue - non sans mal - avec une dame plus âgée qu'elle, puis va rendre visite à Lord Conderley, avec qui elle a eu une liaison et qui s'était depuis remarié avec une jeune femme. Peu à peu, elle remonte le fil de son existence et cherche à comprendre ce qui a pu être heureux et ce qui ne l'a pas été. La démarche choisie par l'auteur est curieuse, et même un peu déroutante. Mais ce périple nous permet de découvrir les moeurs et aussi la sensibilité de la bonne société de la fin de l'ère victorienne et du début de l'ère edwardienne.
On ne s'ennuie pas une seconde en parcourant ce long récit, qui est émaillé de considération sur un univers qui nous semble désormais très éloigné du nôtre. Cette volonté de revoir tous les hommes qui ont compté dans sa vie peut paraître à nos yeux une sorte de machination romanesque un peu poussé. En réalité, c'est un voyage imaginaire dans le temps, qui lui permet de repenser ce parcours existentiel sous un nouvel éclairage. C'est un livre qui mérite d'être lu et qui met bien en évidence les qualités de cet écrivain qui mériterait un sort bien meilleur.
Villanzo, Thierry Laurent, « Ecritures », L'Harmattan, 208 p., 20 euro.
Thierry Laurent est venu au roman assez tard, mais non sans talent, à commencer par Mordre, paru en 2005. L'histoire qu'il a choisi de nous conter cette fois débute à Saignon. Tôt le matin, à peine l'aube pointe, des cavaliers enfourchent leurs montures. Le colonel de Villedieu est un homme sévère et plus disposé à être indulgent pour ses chevaux que pour ses cavaliers. L'histoire se déroule en Provence, dans les environs d'Aix-en-Provence, au château de Saint-Quentin. Elle nous est narrée par l'héroïne elle-même, Estelle, la fille du colonel. Elle a la passion des chevaux. Son père lui offre un cheval assez farouche nommé Villanzo. Mais elle est aussi passionnée par la musique, en surtout la musique romantique. C'est ce qui va la rapprocher d'un jeune homme, Gilles, qui est aussi un bon pianiste. Elle va se rendre jouer chez lui dans les environs. Elle ne tarde pas à tomber amoureuse de lui. Mais voilà qu'un jour elle a un accident sérieux lors d'une promenade en forêt. Ses yeux sont touchés. Elle se remet, mais elle perd la vue. La présence de Gilles est un grand réconfort tant son chagrin est immense. Le jeune homme l'encourage à poursuivre l'étude de son instrument. Puis elle a éprouvé le désir pressant de monter à nouveau à cheval et, le soir, elle se rend en secret dans le manège pour monter Villanzo. Elle parvient même à faire des sorties en toute liberté, quelqu'un ait été le risque. Son père l'aide dans cette entreprise hasardeuse.
Une idée étrange lui vient à l'esprit : Gilles jouerait La Tempête de Beethoven (qu'on a comparé au galop d'un cheval) dans la carrière voisine alors qu'elle évoluerait sur sa belle monture au son de cette musique qu'ils ont si souvent partagée. Cette scénographie étrange était pour elle l'expression de son plus grand rêve : concilier l'équitation et la musique. Avec Gilles, elle développe ces exercices où l'animal devait suivre le rythme du morceau qu'elle aime tant. Gilles joue pour elle et lui suggère de choisir d'autres pièces de Chopin ou de Brahms pour le trot. Un rituel étrange et solennel s'instaure auquel le père participe. La jeune femme conçoit un spectacle esthétique inédit, où la grande rigueur de l'art équestre épouse les mélodies de ces musiciens qu'elle a si souvent joués sur les touches de son Steinway. Ai fil du temps, les figures se font plus complexes et aussi plus hardies. Mais une difficulté se présente : Gilles, toujours épris d'elle, lui propose de venir vivre avec lui à Paris.
Estelle est déroutée par cette proposition. Elle refuse de le suivre. Elle ne pourrait se passer de ce cheval merveilleux. Et elle s'obstine au point de tenter le saut d'obstacles. Entre temps, Gilles avait progresse dans sa maîtrise du piano et commençait à donner des concerts. Estelle va le voir au Conservatoire et devient sa maîtresse.
Mais elle ne le suit pas dans cette tournée européenne qui devait lui ouvrir les portes de l'opéra de Genève. Gilles songe à épouser Estelle. Il lui propose de reprendre leur exhibition avec l'allegro de la septième Symphonie de Beethoven. Finalement le mariage est célébré. Mais leur bonheur est assombri par l'accident de Villanzo que son père doit achever. C'est une belle métaphore sur les arts qui se conjuguent, écrit avec limpidité et concision. C'est un beau roman pour cette rentrée.
Okoalu, Véronique Sales, Vendémiaire Editions, 276 p., 18 euro.
Tout commence ici par une catastrophe aérienne : l'avion s'abîme dans l'océan Pacifique, et on pense qu'il y a pas eu de survivants. Au mois de mars 1959, les passagers avaient embarqué à Cairns. La catastrophe a eu lieu dans un lieu loin de tout, l'archipel de Lau. En réalité, quatre enfants se retrouvent sur la plage d'une île qu'ils croient déserte. Ils appartiennent à deux familles différentes. Leur histoire est bien loin de celle du Robinson Crusoe du grand livre de Daniel Defoe. Pas de bon sauvage, pas de récit philosophie sur la culture et le monde inconnu des continents inexplorés. Ils ne semblent pas même chercher à créer une microsociété à leur goût. Leurs relations demeurent un peu dans le flou sous la plume de l'auteur. Véronique Sales préfère relater des moments fragments de leur vie antérieure dans un cercle familial par nécessairement plaisant.
Les gamins prennent la mesure de ce nouveau monde où ils sentent la présence impalpable mais prégnante des contes anciens, et se mesurent à la silencieuse présence de la nature omnipuissante. C'est la mémoire qui est leur étoile polaire : c'est elle qui leur permet de trouver des repères dans leur existence alors que l'île ne leur propose que cette force indomptable de cette végétation et de cette fauve avec lesquelles ils ne partagent quasiment rien. L'histoire intime de chacun d'eux se rattache à des villes dispersées sur la planisphère et à des environnements familiaux très différents, mais jamais heureux. Ce roman est étrange car on a le sentiment que le temps s'est arrêté - alors qu'il semble évident que les naufragés restent sur cette terre providentielle pendant une longue période - et que seul le passé ait un sens, même s'il n'apporte guère de réconfort. Tout donne le sentiment ici de se dérouler dans une dimension un peu abstraite, et seilles ces incursions dans le temps révolu semble avoir une consistance. Mais il n'en reste pas moins que cet ouvrage, aussi peu enclin à nous dépeindre des événements prenants, et encore moins des aventures exotiques, n'en est pas mois intriguant et suggestif.
Avec Bas Jan Ader, Thomas Giraud, Editions La Contre Allée, 194 p., 18 euro.
Dire que ce roman est étrange, c'est être encore en dessous de la réalité. L'histoire de cet énigmatique artiste hollandais nommé Bas Jan Adler, décédé en 1975 n'est pas banale. Il a choisi la performance comme mode d'expression principal et il a été obsédé par l'idée de se jeter dans le vide. On ne peut s'empêcher de songer à la fameuse photographie où Yves Klein semble basculer d'une certaine hauteur pour symboliser le vide (il a fait d'ailleurs une exposition intitulée « Le vide »). Mais on peut se demander si cet artiste a bien existé où s'il est né de l'imagination de l'auteur de cet ouvrage. Ce qui est encore plus déroutant ici, c'est que cette posture esthétique est associée à une traversée de l'Atlantique. La folie de cette intrigue est curieusement contredite par l'écriture très posée et très policée de Thomas Giraud, qui décrit les événements ou les choses qui prennent sens dans son récit avec une précision extrême. On a l'impression qu'une contradiction a été recherchée dans la facture de cette histoire. D'un côté, le lecteur ne peut qu'être surpris et capté par le déroulement des événements, de l'autre, il ne peut qu'être dérouté par les intentions de ce créateur on ne peut plus contemporain, qui est en quête d'actions extrêmes qui ne sauraient un jour ou l'autre, que le conduire à sa perte.
Aussi curieux que cela puisse paraître, on lit ce roman avec sérénité et même un relatif plaisir en dépit de l'étonnement qu'il suscite. L'adhésion repose sur les qualités narratives indéniables qui sont mises à l'oeuvre ici. Mais pas sur le récit proprement dit et la personnalité de ce Bas Jan Ader est loin de convaincre. De tout évidence, l'écrivain a voulu associer deux points de vue qui ne coïncident en rien : le défi que se lance le navigateur solitaire, seul à lutter contre les éléments marins, et l'idiosyncrasie maladive de cet adepte de la performance la plus radicale, qui rappelle un peu Michel Journiac et Gina Pane. Plus on avance dans l'histoire, et plus on a l'impression que les principes de l'art romanesque sont tout à fait distordus et ont presque changé d'orientation. Je dois avouer que ce jeu ne m'a pas séduit, en premier lieu parce que je ne l'ai pas compris du tout. Mais je pense que d'autres pourront y trouver une certaine satisfaction de suivre des aventures qui s'entrecroisent dans un espace-temps qui n'est plus celui de la tradition. Je ne risquerai pas à fournir une conclusion à cette brève relation : faute d'en comprendre les codes, je laisse le soin aux lecteurs d'être leur propre juge et de décider de la validité et de la valeur de la démarche de Thomas Giraud.
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Gérard-Georges Lemaire 01-09-2021 |
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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