Le 33ème Festival international du photojournalisme Visa pour l'Image de Perpignan s'est achevé il y a quelques jours. Et celles et ceux qui ont pu voir ses multiples expositions de photographies documentées et ses films n'ont pu qu'être accablé(e)s par la « Misère du monde » - pour reprendre le titre d'un livre célèbre sous la direction de Pierre Bourdieu - mais aussi que ressentir de l'admiration pour le courage et la passion de ces photojournalistes. L'un d'eux, sélectionné (Danish Siddiqui), est mort sur le terrain à quelques semaines du festival ! Tant d'autres continuent à risquer leur vie ou leur liberté dans un contexte mondial où nationalismes, intégrismes exacerbent la violence et l'intolérance. Et cela même alors que précarité et paupérisation restent le lot fréquent du métier de photojournaliste. La bravoure et surtout la passion, elles transparaissaient bien quand, de la guerre en Syrie à la « révolution du printemps » en Birmanie, en passant par les conflits au Yémen ou Haut-Karabakh, etc., juste ce que montre l'image suggère ce qu'a risqué le photographe... Jean-François Leroy, directeur du festival, rappelle également « les quelques journaux et agences qui, malgré un contexte économique toujours plus difficile en France comme ailleurs, continuent d'être les garants d'une information vérifiée et fiable en envoyant leurs journalistes sur le terrain ».
Mais, du photojournalisme traçons d'abord quelques linéaments...
Depuis le moment, il y a un siècle, où le photographe allemand Erich Salomon (1886-1944) définissait le photojournalisme, jusqu'aux actuels « kiosques numériques » (PixPalace, Photoshelter), la financiarisation du marché de la photographie, cette profession a été maintes fois secouée : par la crise des grandes agences de presse, la mutation du numérique, la concurrence des chaînes d'info télé en continu, tandis que certains photojournalistes (Cartier-Bresson, premier exemple qui vient à l'esprit) se voyaient grassement récupérés par le marché de l'art contemporain. Les turbulences de cette profession, d'ailleurs régulièrement évoquées, discutées à Visa pour l'Image, ne doivent pas occulter le questionnement de fond... 1) Que nous apporte vraiment le photojournalisme ? Déjà un passage essentiel du Savoir (« on le sait déjà ») au Voir. Les pires catastrophes humanitaires, les conflits les plus brutaux, effroyables, peuvent se réduire à une banale information ou une simple statistique. La photo, elle, viendra heurter notre sensibilité, stimuler notre imagination. De plus, avec ces visages expressifs, ces corps qui se démènent, ces situations d'urgence concrètes, une identification est possible. 2) Le photojournalisme est-il objectif ? Le cadrage, le choix des scènes, l'angle de vue, la sélection finale des photos donnent à penser qu'il s'agit d'un regard personnel, même s'il s'efforce d'être véridique ou neutre. 3) Le photojournalisme peut-il être de l'art ? Dans la mesure où une recherche formelle peut accompagner le témoignage, pourquoi pas, ainsi que nous le montrent, par exemple, la revue et la galerie Polka. En outre, un travail suivi d'auteur, comme l'ont prouvé, pour ne citer qu'eux, Guillaume Herbaut (La Ve) ou Éric Bouvet, à Perpignan, reste tout à fait envisageable. 4) Les guerres, famines, décombres, massacres, catastrophes, réfugiés constituent-ils les thèmes récurrents du photojournalisme ? Oui majoritairement. Mais des sujets, bien entendu documentés, comme la passion délirante de nombre d'Américains pour les armes (The Ameriguns de Gabriele Galimberti), les illusions des « digital nomads » (Allô bureau bobo de Jérôme Gence), les safaris et leurs sanglants trophées (Sugar Moon), les joyeux mariages en Haïti (Bonne vie à deux de Valérie Baeriswyl), la plus grande laverie automatique du monde (Cycles américains de Darcy Padilla), sélectionnés à Perpignan, pénètrent dans cet aire iconique du photojournalisme traditionnellement dévolue aux photographies « périlleuses ou difficiles à prendre ». S'il est rare, et d'autant plus remarqué, un regard tendre (Mon Portugal de Patricia de Melo Moreira) ou extasié (Rétrospective de Vincent Munier, Les secrets des baleines de Brian Skerry) ou humoristique (Les seniors du sport de David Burnett) ouvre un nouveau champ des possibles à ce journalisme en photos, que taraude encore et toujours la question fondamentale : qu'est-ce qui fait vraiment sens aujourd'hui, et donc mériterait qu'on le montre ? S'il est exact qu'un photojournaliste est à la fois un journaliste et un photographe passionnés, ne conviendrait-il pas qu'il soit également un peu sociologue, au fait des nouvelles tendances de notre monde ?
Le questionnement sémantique, mais aussi éthique et déontologique bien entendu, reste au coeur du photojournalisme, un métier de passion, oui, mais en péril. Le passage du témoin en direction des générations montantes s'avère dès lors crucial. Ne sont-elles pas menacées par la banalisation de l'image et l'apathie face à l'horreur ? Leur portable à la main ne leur donne-t-il pas l'illusion que n'importe qui est photojournaliste ? La réponse consiste dans l'éducation en face de l'image. Saluons alors le remarquable travail pédagogique effectué à Perpignan dans Visa pour l'Image, à tous les niveaux avec les scolaires. En un même Festival, ils apprennent quelque chose sur la photo, le journalisme et l'état du monde.
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