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[verso-hebdo]
23-06-2021
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La chronique de Gérard-Georges Lemaire |
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Chronique d'un bibliomane mélancolique |
Les Iconophages, une histoire de l'ingestion des images, Jérémie Kiering, Actes Sud, 352 p., 34 euro.
Le point de vue adopté par l'auteur est des plus singuliers. En effet, il ne fait pas qu'associer une certaine iconographie - celle de la représentation des aliments, mais va jusqu'à confondre ce qui est comestible avec le fait de l'ingérer. Ce qui est une gageure car l'opération ne saurait être effectuée qu'à travers le regard. Il part d'un film où le personnage central, un criminel, dévore une oeuvre de William Blake dans une institution artistique (Red Dragon, Brett Rattner, 2004). Puis il cite quelques exemples de créations où l'oeuvre est comestible : John Cage, Jasper Johns, François-Xavier Lalanne. Il y ajoute La Cuisine futuriste de F. T. Marinetti et Filia, qui est d'une bien autre nature car il s'agit là de plats, en théorie réalisables et comestibles. Il aurait pu y ajouter Michel Journiac, Daniel Spoerri, Josef Beuys et bien d'autres encore. L'art contemporain, dans sa chercher éperdue de recoins jusque là négligés, a été généreux en matière de gastronomie. Il remonte alors le temps de l'histoire de l'art et prend surtout en considération les statues d'Horus sur des crocodiles. Il s'intéresse ensuite aux statues guérisseuses des Egyptiens. Mais ce qu'il a pu puiser comme information dans le monde antique ne vint pas étayer sa thèse - et cela est évident. En fait, il faut attendre le monde chrétien pour que le croyant puisse symboliquement manger le corps du Christ, de manière symbolique à travers l'histoire.
Il examine ensuite la question de l'eau et des huiles bénites et, en élargissant la question, des pratiques prophylactiques des paléochrétiens et puis des Byzantins. L'étude s'étend alors à l'incarnation, qui est le propre de l'évolution du christianisme, qui a eu sans cesse plus tendance à rendre tangible l'invisible par la définition d'une image ayant le pouvoir de rendre au plus juste les formes cachées des entités divines ou des saints. Chemin faisant, l'auteur aborde des problèmes pertinents de la religion, mais s'éloigne toujours plus de son sujet. Après avoir parlé de fétichisme de certains pèlerins qui grattaient la surface des images saintes, il traite en détail de la médecine sacrée et des miracles. Il fait état d'une chose curieuse : celle des Vierges à gratter, que le pèlerins emportait chez lui et grattait la surface qu'il mélangeait à du vin pour se soigner. Il existait aussi les vertus de l'Agnus Dei, qui auraient eu la faculté de guérir. Il en vient à évoquer une pratique curieuse qui fait son apparition au XVIe siècle en Bavière : celle des Shluckbilden, c'est-à-dire des petites images à avaler.
Celles-ci se présentaient sur des planches comprenant souvent une centaine de reliques ou de scènes miraculeuses. Ces estampes pouvaient être placées sur des gâteaux, des pains d'épices ou encore broyées dans des aliments. De plus, elles pouvaient avoir la faculté de protéger les voyageurs, les femmes en train d'accoucher, etc. Au XVIIe siècle, des objets mis à leur contact pouvaient acquérir quelque vertu curatrice ou autre. Par la suite, l'auteur consacre une longue partie de son livre sur la question de l'ingestion. Il y est question du lait de la Vierge (il n'est que de songer à la lactation de saint Bernard de Clairvaux - ce miracle a été fréquemment représenté) et du sang du Christ. Il nous fait découvrir un étrange tableau de Francesco Vanni, Sainte Catherine buvant à la côte du Christ (1594). Cette croyance reposerait sur l'idée que Dieu aurait transmis l'esprit par l'intermédiaire du sang. Sainte Catherine de Sienne a indiqué que boire le sang du Sauveur était une façon de s'identifier à ce dernier. Si cette conception est déjà fortement ancrée au Moyen Âge, ce n'est que plus tard qu'elle prend son essor. Il en vient à parler d'une pratique encore plus singulière : celle de manger des livres. Et elle remonte à l'époque égyptienne. Le vol par un magicien du livre de Thot en est l'exemple le plus connu.
Mais on retrouve quelque chose de comparable dans la Torah : dans le Livre des Prophètes, Ezéchiel avale un rouleau sacré. Et Celui qui n'a pas de nom lui aurait dit : « Vas vers la maison d'Israël, et dis-leur mes paroles ! » Le Moyen Âge chrétien s'est emparé de cette iconographie. Dürer a gravé un Saint Jean dévorant le Livre. Le fait que Dieu soit ineffable a donné à la transmission une dimension plus intense. Horace parle d'enseignement par les lettres et Erasme pense qu'il est bien de donner aux petits enfants des lettres en biscuit pour l'apprentissage de l'alphabet. L'expression « se nourrir l'esprit » s'est traduite par toutes sortes de réflexions sur l'analogie entre manger et les nourritures spirituelles ou intellectuelles. Sénèque comme Pétrarque ont fait usage de cette image. Avec la Réforme, la critique de l'emploi immodéré des images saintes a pris la forme d'une dévoration effrénée, d'un « cannibalisme dévotionnel ». Le « mangeur d'images » a souvent été comparé à un sauvage. William Hogarth a beaucoup utilisé dans ses compostions sarcastiques une iconographie de ce genre avec un humour destructeur. Cette idolâtrie populaire a adopté les décennies suivantes des formes diverses, en générale politiques ou sont réservées à l'enfance avec les figurines en pan d'épices. Jérémie Koering revient sur l'utilisation du gâteau sacrificiel ou du pain qui est la métaphore du corps christique, sur les ordalies, sur le miracle de la multiplication des pains, sur les pains estampés et les gaufres bénites, complétant ainsi les considérations avancées précédemment.
Il nous fait connaître les rites des pâtisseries familiales et aussi sur ceux relatifs aux morts, qui ont existé dans le monde chrétiens et qu'on retrouve aujourd'hui dans la fête des morts au Mexique digne d'un carnaval, avec toutes ses friandises. Et l'ouvrage s'achève sur des observations tout à fait intéressantes sur des fêtes princières et sur des créations artistiques que l'auteur analyse avec soin. C'est un livre, on l'aura compris, qui a des aspects passionnants, qui trait un sujet qui n'est pas inconnu, mais dont on ne connaît pas toujours les logiques dans l'histoire. L'auteur a tendance à prendre des chemins de traverse et de se perdre en considérations annexes pas toujours justifiées. Mais il n'empêche que son travail mérite le respect et donc d'être lu avec le plus haut intérêt.
Le Déclin de l'Occident, Oswald Spengler, préface de Johann Chapoutot, traduit de l'allemand par Mohand Tazerout, « Tel », Gallimard, 2 volumes, 1128 p., 29 euro.
Oswald Spengler (1880-1936) est l'auteur d'un livre qui a marqué la pensée occidentale pendant la première moitié du XXe siècle : Der Untergang des Abendlandes. Umrisse einer Morphologie der Weltgeschichte. La première partie du Déclin de l'Occident a paru en 1918. Une date symbolique. La seconde partie est sortie de presse en 1922. Cette oeuvre a eu un retentissement énorme. Son dernier ouvrage, ahre der Entscheidung. Erster Teil. Deutschland und die weltgesc hischtliche Entwicklung (Années des décisions), publié à Munich en 1933 a connu un succès énorme et est devenu un best-seller. Sa renommée l'a conduit à s'impliquer dans la politique allemande. Il a d'abord soutenu Hana von Seeckl, général de la Reichswehr, grand réformateur de l'armée allemande en 1919, mais ce fut un échec. Il a ensuite voté pour Hitler contre Hindenburg. Toutefois, ses théories ont vite lassé le führer et son entourage.
Il s'est vivement disputé contre l'idéologue du parti national-socialiste, Alfred Rosenberg, et ne partageait pas les conceptions raciales préconisées par le parti, ni son pangermanisme (il voulait un idéal occidental). Il fut mis à l'écart et pendant les dernières années de sa vie qu'il a passées à Munich, il s'est consacré surtout à la littérature et à la musique. Ni historien, ni même professeur d'université, Oswald Spengler s'est imaginé une vision historique qui relève de la morphogénèse de Goethe, qui avait repris un concept forgé par Aristote. Son ouvrage a déclenché des polémiques innombrables et a intéressé l'intelligentsia de son temps de Thomas Mann à Ernst Jünger en passant par Martin Heidegger. Il s'est inscrit dans une tradition spécifiquement allemande, qui est incarnée par Herder, qui est hostile à l'esprit des Lumières en France. Il entend ici inventer un art de la recherche historique. En réalité, il a conçu une sorte d'encyclopédie idiosyncrasique de la civilisation en embrassant tous les domaines imaginables, de la science à la religion. Il aborde même la question de l'art. Il a des intuitions remarquables quand il affirme que la peinture ne s'adresse pas uniquement à la vue, mais aussi à l'oreille, faisant table rase des théories physiologiques apparues au XIXe siècle. Il est persuadé que derrière chaque oeuvre (il prend ici exemple sur la musique) qui ne dissimule tout un cosmos d'impressions de natures diverses. Claudel est allé dans ce sens avec L'OEil écoute.
Ce qui nous intrigue, c'est lorsqu'il affirme que le Grec antique ne connaissait pas le « monde visionnaire de la jouissance artistique ». Il ne considère pas l'art sous un aspect formel, mais organique. Et il s'est alors lancé dans une longue dissertation sur l'évolution des arts depuis l'Antiquité et il développe l'idée d'une « musique faustienne ». Il réécrit l'évolution de la Renaissance et fait apparaître une rupture cruciale dans la peinture au XVIe siècle. Puis suit une digression assez longue sur le portrait. L'immense culture de Spengler est souvent trahie par des allers et venues dans le temps et des comparaisons surprenantes, comme, par exemple, mettre sur le même plan Manet et Wagner. Nous ne sommes pas surpris que cette partie s'achève avec l'art pharaonique, l'art islamique et l'art chinois de la période des Han. Il a voulu façonner une histoire de l'art qui lui est propre et qui correspond à ses visions historiques. Mais il se perd parfois dans des extrapolations non dénuées d'erreurs ou de propos qui sont des affabulations. Il serait impossible ici de donner toute la mesure de sa pensée. Rien que la question de l'art mériterait de bien plus amples commentaires. Mais il est certain que cet ouvrage pléthorique et baroque, sans pouvoir être considéré comme une théorie rigoureuse de la civilisation occidentale, n'en demeure pas moins une source d'une richesse inouïe pour méditer sur tous ces passés et aussi sur notre présent.
Salammbô, Sylvain Amic & Myriame Morel-Deledalle, Editions Gallimard / Mucem / Réunion des musées métropolitains de Rouen / Institut national du patrimoine de Tunisie, 336 p., 39 euro.
Cinq ans après la parution de Madame Bovary et de toutes les avanies judiciaires que ce livre a provoquées, Gustave Flaubert, après avoir voyagé en Orient en 1857, fait paraître Salammbô. A l'automne 1862, la critique et le monde littéraire français s'attendent à un autre roman provincial. Son histoire ramène le lecteur au IIIe siècle avant notre ère, à l'époque de la révolte des mercenaires. L'auteur a fait de nombreuses recherches sur l'histoire de Carthage, sur sa culture, ses us et coutumes. Eugène Fromentin, qui a beaucoup fréquenté l'Afrique du Nord et y a peint des toiles mémorables, écrit à Flaubert qu'il est un grand peintre et, mieux encore, un visionnaire. Guy de Maupassant y voit un opéra en prose plus qu'un roman. En tout cas, Flaubert ne sacrifie pas aux poncifs de l'orientalisme très à la mode à l'époque. S'il s'agit bien d'un roman historique, Georg Lukàcs a compris que l'écrivain y a décrit le monde bourgeois après la Révolution de 1848. On ignore pourquoi il a choisi cette période particulière. Pour Sainte-Beuve, c'est une excentricité, un caprice. En fait, il aurait voulu y inscrire en palimpseste les évolutions modernes. Ses contemporains ont-ils compris ces allusions ?
Peut-être pas, mais ils ont en général aimé le livre. Dans ce catalogue une part importante est donnée à l'histoire de Carthage - une histoire illustrée par les enlumineurs du Moyen Âge et, de Simon Vouet à Pierre-Narcisse Guérin. Mais on ignorait alors pas mal de choses sur cette cité en dehors des guerres puniques. Flaubert se défend d'avoir eu un oeil d'archéologue. Salammbô, fille du général Hamilcar, n'a jamais existée. Il a cependant utilisé les sources directes à sa disposition. Il s'est efforcé de décrire les institutions politiques et religieuses. Sans vouloir faire oeuvre d'historien, Flaubert a tenté de rester au plus près possible des connaissances de son époque (encore assez lacunaires). La genèse de l'ouvrage est détaillée par Jacques Neefs. Celui-ci suggère que l'écrivain n'avait pas éprouvé l'envie de se lancer dans un nouveau « roman moderne ». Il s'est ouvert de son projet à Jules Michelet dont il était l'ami. Quand il écrit cette fiction, des recherches sont en cours (mais celle d'Ernest Renan, Mission de la Phénicie, ne sera publiée qu'en 1864). Son enquête tout de même sérieuse lui a permis de se retrouver dans un monde relativement concret. Il sera attaqué par des spécialistes, en particulier par l'archéologue Wilhelm Froechner. L'un des traits marquants de son projet est l'omniprésence de la guerre, qui est une sorte de leitmotiv soutenant l'ensemble du drame.
Neefs insiste aussi sur la dimension fantasmagorique de ces pages où se conjuguent l'onirisme, la mélancolie, le désir, en plus de la violence terrible qui s'y exerce. L'essai est accompagné de nombreuses feuilles manuscrites des brouillons de Flaubert. Dans ce superbe catalogue, on trouve aussi des réflexions sur l'anthropologie. Mais l'art y a une place considérable. Dominique Lobstein étudie la présence des oeuvres inspirées par Salammbô au Salon. L'ouvrage ne tarde pas à inspirer les artistes. Le très académique Alexandre Cabanel a signé Le Serpent en 1875. En 1882, Adrien-Adophe Bonnefoy exécute une Salammbô. L'année suivante, Claude Bourgonnier a représenté La Confrontation de Salammbô et de Mâtho. Théodore Rivière a réalisé en 1893 plusieurs versions sculptées de Salammbô chez Mathô. Bien d'autres artistes ont exploité ce filon, comme Georges-Antoine Rochegrosse, ou Antoine Druet, Gaston Bussière, Théodore Rivière, même Antoine Bourdelle ainsi que les peintres Carl Strathmann et Franz von Stuck. Une autre partie du livre est dédiée aux nombreuses illustration du second roman de Flaubert (on compte Rochegrosse parmi ces dessinateurs). Robert de Montesquiou a aussi été du nombre. A l'époque l'Art Nouveau, on peut voir que l sujet n'a pas perdu de son actualité : Victor Prouvé a peint sa Salammbô et en a décliné différentes versions. Et Alfons Mucha a fait une superbe affiche en 1897 pour la revue L'Estampe moderne. Frantisek Kubista a réalisé plusieurs dessins sur ce thème entre 1913 et 1918.
Dans le domaine musical, on rencontre Erik Sarie, dans une de ses Gymnopédies (1888) et quelques opéras mineurs ont exploité un nom magique qui résonnait dans l'esprit de la Belle époque. Je vous laisse le soin de découvrir les nombreuses adaptations cinématographiques, à partir de celle de Domenico Galdo en 1914. Qui ne révèle hélas aucun chef-d'oeuvre. Je ferai l'impasse sur la période contemporaine. Ce catalogue est une merveille pour qui aime Gustave Flaubert mais aussi pour ceux qui éprouvent un intérêt pour l'art orientaliste. C'est là un travail remarquable tant pour les commentaires que pour l'iconographie.
Les Amours de Psyché et de Cupidon, précédé d'Adonis et du Songe de Vaux, Jean de La Fontaine, édition de Céline Bohnert, Patrick Dandrey et Boris Bonné, Folio « classique », Gallimard, 464 p., 9 ,70 euro.
Ses Fables sont à tel point célèbres et appréciées qu'on en oublie la vie de leur auteur. Jean de La Fontaine (1621-1695) est le fils du surintendant des eaux et forêts de Château-Thierry. Celui-ci voulait le destiner à la vie ecclésiastique. Il suit donc ses études à la Congrégation de l'Oratoire. Il se marie à l'âge de vingt-six ans, a un fils ; mais il se sépare de son épouse rapidement. Il s'installe à Paris pour étudier le droit. Il fréquente le cénacle des Paladins. Il se lie avec Nicolas Fouquet, pour lequel il écrit des livrets d'opéra, des madrigaux et des comédies. Quand son protecteur est arrêté, il écrit un texte pour sa défense et cela lui vaut de tomber en disgrâce. Il connaît alors de grandes difficultés financières. En 1658, il reprend la charge de son père, mais hérite aussi de ses dettes. Il devient alors le gentilhomme servant de Madame d'Orléans du Luxembourg puis a pu se trouver sous la protection de Madame de la Sablière. Ses Contes et nouvelles en vers paraissent en 1666.
Les Fables sont éditées deux ans plus tard. Une seconde version élargie paraît en 1679. Ces fables sont inspirées par les Anciens - Phèdre, Esope, etc. Il est élu à l'Académie française en 1683. Ses dernières oeuvres sont des livrets d'opéra destinés à Lulli. Si ses Fables et ses Contes connaissent un grand succès, il est demeuré dans une situation économique précaire. Sa première pièce en vers est Adonis, qu'il a écrit en 1658 et fait imprimer en 1671 et qui figure dans ce recueil. Puis il écrit Les Amours de Psyché et de Cupidon et les publie en 1668. Dans cette oeuvre, Vénus est représentée sous un jour peu plaisant. Elle exerce une influence jalouse sur son fils Cupidon et maltraite sa bru, Psyché. Quand ce livre paraît en 1668, il n'est guère apprécié. Le Songe de Vaux, écrit entre 1659 et 1681, répond à une commande Fouquet et est la description de son grand projet architectural, qui ne nous est parvenu que sous forme de fragments. Mais c'est un ouvrage qui est plus qu'un éloge de l'entreprise de Fouquet : c'est un ensemble de considérations sur le bon gouvernement. Il y fait alterner des harangues en vers et un récit en prose. La forme de ces textes ne nuit pas à leur lecture car La Fontaine est passé maître dans l'art de la narration. Il est indispensable de redécouvrir ce qu'a pu écrire La Fontaine en dehors des Fables.
Proust, L'Herne, 304 p., 33 euro.
Ces nouveau Cahiers de L'Herne parviennent souvent à créer la surprise, surtout avec la présence de textes inédits de l'auteur choisi. Ici, dans le cas de Marcel Proust, nous trouvons plusieurs pages de ses cahiers. Conservé à la Bibliothèque nationale de France qui aide à comprendre de quelle façon a été construite la Recherche. Le « Cahiers 2 » est important car il présente le premier personnage de la Recherche en dehors du narrateur : celui de la grand-mère. La vieille dame prendra ensuite toute son importance dans son conflit permanent avec la grand-tante. Le jardin est ici une sorte de proscénium où la grand-mère accueille ceux qu'elle attend. Le jardinier prendra ensuite une place conséquente car la grand-mère se plaint amèrement de l'état dans lequel se trouve ce jardin. Jardin et jardinier deviennent peu à peu l'enjeu d'un conflit familial que ne cesse de croître. Quant au « Cahier 34 », il fait apparaître les premières esquisses d' « A l'ombre des jeunes filles en fleurs » La scène qui y est décrite se déroule à Doncières. Montargis (qui deviendra par la suite Le tableau représenterait une cathédrale et fait penser aussitôt au cycle de Claude Monet. Cet édifice religieux est Saint-Loup) trouve prétexte pour se rendre chez la duchesse de Guermantes le fait qu'elle possède une oeuvre importante d'Elstir, qui sera la figure emblématique du peintre moderne dans tout le livre.
C'est pour Proust aussi l'occasion de mesurer l'importance respective de l'intelligence et de la sensibilité, la seconde prenant sans cesse plus d'ascendant. L'édifice religieux est aussi le moyen de confronter la modernité avec le passé. Dans ce cahier, plusieurs passages ne seront jamais réutilisés : celle de la pensée d'Elstir sur la restauration et la conclusion où le jeune homme change de point de vue. Ce qui est aussi intéressant dans ces pages, c'est qu'on y comprend que Proust s'est inspiré des écrits d'Emile Mâle. Passons au « Cahier 34 ». La question des tableaux de la duchesse de Guermantes revient et on y trouve l'expression de « Bible historiée » pour la cathédrale qui est une idée de John Ruskin. Elstir parle ici de l'église de Balbec. Proust y note différents points qui concernent les impressions chromatiques et qu'il ne va plus cesser d'approfondir. Le « Cahier 46 » nous campe le personnage d'Albertine. Ensuite, le « Cahier 64 » contient une scène intercalaire dans la relation avec Gilberte. Il nous présente des rues non loin du boulevard Malesherbes où Proust a passé son enfance. Ces rues sont pour l'auteur le moyen d'accéder aux Champs-Elysées. Quant au « Cahier 74 », il est le brouillon de diverses soirées chez la duchesse de Guermantes. Suit une lettre à Louis d'Albufera, un ami avec lequel il a eu une correspondance pendant sa jeunesse. Est reproduit aussi un petit poème de la main de l'écrivain qui est plutôt une pochade. Les lettres reproduites sont d'un intérêt mineur. Les documents permettent de lire des textes parus il y a longtemps, comme le long témoignage de Stephan Hudson, datant de 1923 ou encore les souvenirs de Valentine Thomson, « Mon cousin Marcel Proust », publié dans Harper's Magazine, qui ne s'est pas contentée de faire un portrait de famille, mais aussi celui de l'écrivain, qui est très judicieux.
On lira avec délectation « Proust et les parfums » de Blanc de Casas Fuerte, qui a été publié par La Revue hebdomadaire en juin 1936, c'est une étude très fine et utile. Le court texte de Reynaldo Hahn sur l'intérêt que Proust a pu avoir pour John Ruskin et qui a figuré dans Le Figaro d'avril 1945 donne de précieuses indications sur cette passion qui a poussé Proust à traduite les livres de grands critique anglais. Henri Barbac nous livre ses souvenirs sur Proust et Montesquiou dans un essai paru dans La Revue de Paris en 1948. Maurice Rostand relate une rencontre avec l'écrivain dans la même revue, la même année. Les derniers propos de Céleste Alberet sur son maître ont été recueillis dans Les Nouvelles littéraires en 1952 (on découvrira un long entretien réalisé en 1971 un peu plus loin dans le volume. Marcel L'Herbier nous apprend dans un article de 1969 que Proust avait acquis un théâtrophone, ce qui lui permettait de suivre de chez lui les représentations de l'Opéra de Paris. Et je ne saurais trop loué le beau texte d'Edouard Roditi, lamais publié, où il raconte sa relation à l'écriture de Proust. Je ne peux coter ici tous les auteurs qui ont été réédités à cette occasion, mais le dossier est aussi dense que passionnant.
Les essais écrits pour ce « Cahier » ne prêtent pas vraiment à d'énormes discussions. On peut lire avec intérêt celui de Michel Erman, sir ce que pensait Proust de la politique et celui de Luc Fraisse, « Proust et Bergson «. Nous avons même doit à un « Proust et Einstein »... c'est le défaut d ce genre d'édition : l'auteur célébré est mis à toutes les sauces. Que Proust ait été un lecteur attentif de Pierre Loti n'est pas indifférent, mais ne concerne que les spécialistes. En revanche, je suis heureux qu'Yves Uro ait parlé de Madeleine Lemaire, peintre très en vogue à la Belle Epoque et qui tenait un salon très couru : très présente dans les pages de Proust, on l'a soumis mise de côté. Proust et Michelet, Proust et Chateaubriand : cela fait partie des folies de la littérature comparée. Je ne dirai rien à ce sujet qui a le don de m'agacer. Quoi qu'il en soit, ce Proust mérite d'être consulté car il contient des perles en plus des « Cahiers » inédits.
Thomas Bernhard, sous la direction de Dieter Hornig & Ute Weinmann, L'Herne, 312 p., 33 euro.
L'Italien, suivi de A la lisière des arbres et de Kulterer, présenté par Didier Hornig, traduit de l'allemand par Claude Porcell, & Eliane Kaufholz-Messmer, L'Herne, 112 p., 14 euro.
S'il n'avait écrit que Alte Meister (Maîtres anciens, 1968), Thomas Bernhard (1931-1989) aurait mérité de figurer parmi les plus grands écrivains de la seconde moitié du XXe siècle. Dans leur présentation de ce Cahier, Dieter Hornig explique que l'essentiel de son oeuvre est l'interférence de son autobiographie et de ses considérations acides sur l'Autriche de l'après-guerre, qui s'est présentée comme victime du régime nazi et semble avoir été frappée d'amnésie. Cela peut expliquer qu'on mal jugé dans son propre pays, mais pas le fait qu'il n'ait pas reçu le prix Nobel de littérature (alors qu'après sa disparition, deux écrivains autrichien de second rang ont reçu cette distinction). Quoi qu'il en soit, la France l'a toujours considéré avec respect et admiration. Les maîtres d'oeuvre de ce Cahier ont réuni de nombreux inédits de l'écrivain. Les premiers concernent sa jeunesse. En 1965, il écrit « Ma propre solitude » où il évoque la ferme où il a trouvé refuge. Il s'est toujours tenu à l'écart du milieu intellectuel viennois. Puis on tombe sur une série de petits articles rédigés au début des années 1950 qui concerne des affaires judiciaires mineures, mais révélatrices, qu'il traite avec beaucoup d'ironie (et de révolte).
Deux longs poèmes nous donnent la mesure du registre qu'il a choisi, très loin de l'hermétisme. Quelques récits datant de ses débuts sont remarquables, comme « Une lettre tirée d'un drame » (1957) ou « Un imposteur à la campagne » (1969). On peut regretter (ce n'est pas une critique, mais un constat) que peu d'écrivains réputés, à part Ingeborg Bachmann, à laquelle on peut ajouter Hélène Cixous, Fernando Arrabal et Peter Handke, ont écrit sur lui ou sur son oeuvre. On a le sentiment qu'on a tracé autour de lui un no man's land délicat à franchir. En France les lecteurs cultivés ont heureusement suivi leur instinct et on su apprécier sa démarche littéraire. Cela ne signifie pas qu'on ne rencontre pas ici d'excellents essais, si l'on fait exception des sempiternelles associations improbables (par exemple : « Thomas Bernhard - Arthur Rimbaud face à la question de Dieu », pur produit de la glose universitaire qui fait feu de tout bois - on a aussi des comparaisons incongrues entre l'auteur de La Cave avec Samuel Beckett, Elias Canetti et même Jean-Paul Sartre...) La correspondance avec ses éditeurs est là pour nous consoler. Mais il y a de quoi satisfaire tout un chacun dans ce recueil qui met en lumière n écrivain qui reste cantonné dans une sorte de pénombre, malgré l'engouement du public. Cela pourra servir à le rendre plus populaire, c'est tout du moins ce que je peux espérer.
Les trois nouvelles réunies sous le titre de L'Italien peuvent nous donner une idée de ce que Thomas Bernhard a pu entreprendre dans la perspective du récit. Elles ont été réunies en 1969 par l'auteur pour une édition réservée aux bibliophiles et illustrée par Anton Lehmden. Elles avaient été publiées antérieurement dans des revues. Der Italianer a paru en 1964 et est annoncé comme étant un « fragment ». Il l'a réédité un an plus tard en le présentant comme un morceau d'un roman en cours (peut-être La Cervelle, qu'il n'a jamais fini), sans doute conscient qu'il ne s'agit là que de deux portraits, celui du jeune maître des lieux et surtout celui d'un père qui meurt dans des circonstances troubles et qui avait exprimé le désir d'être exposé dans le pavillon de plaisance de la propriété. Deux histoires s'entremêlent et le lien entre les deux paraît être celui de la Toscane.
Dans A la lisière des arbres, Bernhard utilise les ficelles d'un roman policier et là encore deux histoires sont associées : celle de la lettre que la narrateur écrit à la femme qui est enceinte de lui et la discussion des deux fiancés dans l'auberge qu'il écoute en oubliant sa propre lettre. Kulturer est sans doute l'histoire la plus intéressante et la plus belle des trois : il l'avait publié dans une première version intitulée Le Facteur en 1967 (il l'avait écrite cinq ans plus tôt). Il parle ici d'un prisonnier qui ne parvient à ne plus concevoir son existence qu'à travers l'écriture (il a connue un écrivain qui se nomme Hubert Fabian Kulturer). Il y a là un vague écho de Franz Kafka dans cette nouvelle qui a une tonalité tragique.
Strip-tease, tout sur ma vie, tout sur mon art, Orlan, «Témoins de l’art », Gallimard, 352 p., 29 euro.
Orlan est devenue une des artistes les plus en vue en France. Elle est également la plus radicale dans cet art corporel qui nécessite d'importantes interventions chirurgicales. Je me souviens de l'une de ses premières apparitions publiques à la FIAC de 1977 où elle arpentait les couloirs de la foire en proposant son baiser d'artiste : j'ai été le premier à en bénéficier (gracieusement !). Dans ce livre, elle a écrit son autobiographie et, forcément, l'histoire de sa recherche artistique. Pas de littérature : c'est un récit simple et cru, où elle ne dissimule pas des questions gênantes, comme l'affaire délicate avec son propre père. Adolescente, elle a connu une période dépressive. Elle a été tentée par le suicide. C'est alors qu'elle a lu De l'inconvénient d'être né de Cioran. De cette retraite, elle a retiré un goût subit pour le jaune, alors qu'elle ne portait que du noir. Et elle se retrouve dans un poème de Victor Hugo, Les Djinns. Sa vie reprend et elle trouve du travail pour pouvoir voyager. C'est ainsi qu'elle a pu se rendre plusieurs fois en Afrique.
Elle fait alors de la sculpture, compose des poèmes. Mais elle connaît aussi les problèmes des jeunes femmes de son temps et doit se faire avorter. Elle publie en 1963 ses Proésies. Elle a seize ans. Timide à l'extrême, elle fait une expérience théâtrale qui l'aide beaucoup dans ce sens. Elle travaille beaucoup et commence à exposer. Elle réalise ses premières performances à partir de 1964. Son propre corps devient le matériau principal de sa création. Elle collabore bientôt avec Jan Fabre et Marina Abramovic. Le Baiser de l'artiste est un tournant dans son histoire personnelle. Elle fait aussi au milieu des années 1970 ses premiers pas dans l'enseignement. En 1979, elle crée le premier Symposium international de poésie et de vidéo de Lyon. Elle se fait connaître et est invitée à l'étranger, en particulier à New York. C'est à parti du début des années 1990 qu'elle se lance dans les opérations-performances. Cela commence par des actions préliminaires comme la Réincarnation de Sainte Orlan. En 1975 elle avait écrit le Manifeste de l'Art charnel. C'est désormais le dépassement des principes qu'elle avait édictés alors. Elle est allée encore plus loin avec les Auto-Hybridations.
Elle s'est aussi intéressée de près aux nouvelles technologies. Dès lors, elle ne cesse plus de multiplier les transformations de son corps soit sous la forme d'une oeuvre d'art, soit d'une figure théâtrale. Sa Victoire de Samothrace comme les différentes versions de la Sainte Thérèse d'Avila du Bernin sont les expressions les plus abouties de cette quête. A mesure qu'on progresse dans cet ouvrage, on se retrouve devant une énumération de manifestations dans les lieux les plus divers et, hélas, des listes interminables de ses amis artistes, critiques, conservateurs. Cela se change en une autocélébration. Par bonheur, elle s'attache à exposer les grands thèmes qui l'ont inspiré : le baroque, l'amour, le corps comme support de l'art, etc. En tout cas, on sait tout sur Orlan, et même plus qu'on l'aurait souhaité !
Les Inséparables, Simone de Beauvoir, Introduction de Sylvie Le Bon de Beauvoir, L'Herne, 176 p., 14 euro.
Cette oeuvre de fiction est en réalité une oeuvre autobiographique où Simone de Beauvoir raconte la relation intense qu'elle a eue avec une amie au sein du collège Adélaïde (dans la réalité le cours Désir de la rue Jacob). Dans ces pages, elle est Sylvie Lepage et Andrée Gallard était en réalité Elisabeth Lacoin. L'action se déroule en grande partie pendant le « drôle de guerre » et nous héroïnes évoluent dans des milieux catholiques plutôt conformistes. L'auteur y dépeint tous les sujets qui intéressent les deux adolescentes, mais aussi leurs univers familiaux, leurs vacances de conserve, l'atmosphère de religiosité conservatrice qui les entoure et les bride avec force. Simone de Beauvoir a su avec beaucoup de délicatesse et de vivacité éclairer toutes les facettes de cette amitié très exclusive. Sylvie et Elisabeth finissent par engendrer une sorte de relation de symbiose tout en étant très différentes.
Elle parle avec beaucoup de pudeur de leurs premiers émois amoureux. On retrouve les deux jeunes filles étudiantes, l'une en lettres, l'autres en philosophie. Mais ce choix ne les a pas séparées. Elles travaillent côte à côte à la bibliothèque. Andrée tombe amoureuse de Pascal (Maurice Merleau-Ponty dans la réalité). Et l'auteur connaît déjà Sartre en 1929 (un cahier de documents nous montre des photographies et aussi des lettres). Andrée mourut à l'âge de vingt-et-un ans, foudroyée par une encéphalite virale. Elle n'a jamais disparu de 'oeuvre de Simone de Beauvoir : elle réapparaît dans Les Mémoires d'une jeune fille rangée et aussi dans la première version des Mandarins (mais ce passage est retiré de l'édition définitive). Ce n'est pas là seulement un petit morceau d'histoire de la littérature du XXe siècle, c'est aussi un court roman composé avec grâce.
Il était une fois une plage atlantique, Sophia de Mello Breyner, traduit du portugais et préfacé par Colette Lambrichs, Editions du Canoë, 48 p., 10 euro.
Ce n'est pas tant le sujet qui peut fasciner dans cette nouvelle car il s'agit de souvenirs de jeunesse égrenés avec beaucoup de finesse et de concision. Tout réside dans l'art de la narration. L'auteur se remémore des moments heureux passés au bord de la mer, du cercle de famille et surtout du procès concernant la tante - procès perdu conduisant à une catastrophe après la mort impromptue du jeune maître-nageur. L'histoire est mince, mais ce n'est pas cela qui compte. C'est la façon dont l'auteur relate les faits et ce bonheur perdu pour des raisons juridiques. Sophia de Mello Breyner est experte dans l'art du récit. Il faut dire qu'elle a été surtout poétesse et cela se reflète dans sa manière d'être très économe dans l'usage des mots, dans le déroulé très elliptique de cette histoire, où beaucoup est suggéré plus qu'exposé, dans la simplicité de son écriture qui est d'abord une expression de sentiments profonds et complexes. C'est d'abord la description de la perte d'un paradis dont les protagonistes sont chassés ans des circonstances dont on ne connaît ni les tenants ni les aboutissants en dehors du fait qu'une nouvelle construction moderne et laide remplace l'ancienne maison. Mais l'essentiel est dit.
Métro Ciel, Claire Fourier, Editions du Canoë, 48 p., 8 euro.
L'histoire que narre avec bonheur Claire Fourier est d'une extrême simplicité : il s'agit d'une rencontre dans le métro. La narratrice se rend compte qu'un homme loin d'être déplaisant la regarde et elle comprend qu'il y a dans ce regard du désir. Elle détaille tous les moments de cette relation à distance qui finit par devenir une rencontre et une histoire d'amour. Ce qui compte ici, ce n'est pas ce dialogue qui se métamorphose rapidement, mais la façon de l'écrire. Claire Fourier est parvenue à nous restituer toutes les subtilités de ces instants qui se font de plus en plus intenses. Et sans paroles ! L'amour est un aboutissement de cette relation impromptue. C'est une petite nouvelle charmante qui se lit avec grand plaisir et qui se savoure sans réserve.
Bamboo Song, le plénipotentiaire du vent, Louis-Ferdinand Despreez, , Editions du Canoë, 384 p., 21 euro.
Cette histoire commence à Addis Abeba peu avant l'invasion de l'Abyssinie par les troupes italiennes envoyées par Mussolini pour s'emparer de l'un des rares pays demeurés indépendants en Afrique, la Grande Bretagne et la France s'étant partagé le plus gros du continent. L'empereur Hailé Sélassié Ier charge Aman d'une mission diplomatique qui lui semble d'une importance primordiale : se rendre au Laos et convaincre le souverain de prendre fait et cause pour l'indépendance de son pays. Le Laos étant d'ores et déjà un protectorat français (la France avait habilement profité du conflit avec le Siam pour faire main basse sur ce territoire), la chose pouvait sembler curieuse. Mais l'officier ne pouvait qu'exécuter les ordres du négus. Son périple se transforme rapidement en une véritable saga. Ce voyage lui fait découvrir toute l'Asie du Sud-Est, de la Cochinchine jusqu'à Singapour en passant par le Cambodge.
La longue traversée qu'il a dû entreprendre au départ d'Aden, lui fait découvrir l'univers oisif et cynique des coloniaux de tous poils provenant de toute l'Europe et aussi le monde diplomatique qui tire les ficelles de ces énormes régions du globe conquis par des Blancs. Il fait aussi la découverte de pays qui sont aux antipodes du sien et dont les cultures et les moeurs l'étonne et le fascine. Il découvre aussi les différents trafics qui enrichissent les puissances dominantes, de cette exploitation effrénées des richesses locales. Ce long périple est pour le jeune officier une source d'émerveillements en dépit des avatars de sa mission. Une fois parvenu à Luang Prabang, il sait déjà beaucoup de la réalité géopolitique de cette période. Il apprend un beau jour que les Italiens avaient attaqué son pays et que le régime n'en avait plus que pour quelques mois en dépit d'une résistance acharnée. Louis-Ferdinand Despreez nous fait connaître cette réalité des empires coloniaux à une époque où l'Italie voulait prendre une revanche après la défaite humiliante d'Adoua en mars 1896 et se forger elle aussi son empire. Calqué sur les anciens récits de voyage, ce livre est passionnant et fournit aussi un éclairage moderne sur ce qu'a pu être l'emprise de l'Occident sur une grande partie de la Terre, mais aussi nous offre une vision de ce qu'ont pu être tous ces pays qui avaient perdu leur liberté, mais pas leurs traditions et leurs cultures. Aussi atypique soit-il, ce roman est une belle réussite.
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Gérard-Georges Lemaire 23-06-2021 |
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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