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[verso-hebdo]
16-09-2021
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La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau |
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L'école du regard selon Roberto Longhi |
L'actuelle exposition temporaire du musée des Beaux Arts de Caen (jusqu'au 17 octobre 2021) est passionnante. Placée sous la direction de Maria Cristina Bandera, avec la participation de la spécialiste Mina Gregori (présidente honoraire de la fondation Roberto Longhi à Florence, qui conserve la collection, la bibliothèque et la photothèque de l'historien de l'art dans sa maison), elle fera date. Roberto Longhi avait exactement 21 ans lorsqu'il soutint sa tesi di laurea (mémoire de fin d'études) le 28 décembre 1911 à l'Université de Turin. Le jeune homme avait déjà perçu la portée révolutionnaire de Michelangelo Merisi dit Le Caravage. Cette intuition conduirait ses travaux jusqu'à sa mort en 1970. D'emblée en effet, Longhi délégitimait la lecture académique dominante selon laquelle Caravage était le dernier des peintres classiques de la Renaissance. Au contraire, il démontrait que Caravage fut bel et bien l'inventeur d'un renouveau de la peinture. Le premier des modernes en fait, grâce à sa « peinture directe ».
Roberto Longhi avait compris le rôle et l'importance de Caravage en observant le grand mouvement naturaliste allant des frères Le Nain à Gustave Courbet en passant par Chardin. Son regard sur Courbet lui révéla que « Caravage est le socle essentiel sur lequel s'établit la tradition de la nouvelle plasticité obtenue en peinture avec l'aide de la lumière. » La méthode critique de Roberto Longhi consistait donc à passer du présent au passé. Pour lui « l'histoire passée est toujours teintée par celle du présent », étant entendu que « c'est le passé qui nous offre non pas la règle mais la liberté mentale nécessaire pour bien interpréter le présent. » Roberto Longhi rassemble progressivement une collection pour étayer ses propos critiques. Elle fut notamment présentée par lui au Palazzo Reale de Milan en 1951, et la voici réunie à nouveau à Caen avec le tableau de Caravage acquis en 1928 : le Garçon mordu par un lézard de 1597 (l'artiste en fit une deuxième version, actuellement à la National Gallery de Londres, de moindre qualité selon Longhi - « une réplique plus faible »). Au Caravage s'ajoutent plusieurs caravagesques découverts par Longhi, en particulier Mattia Preti sur lequel il avait rédigé une monographie dès 1913.
Arrêtons-nous au Garçon mordu par un lézard : chose remarquable, il est accompagné par un dessin au fusain de Roberto Longhi lui-même qui avait fait sien un propos de Goethe : « ce que je n'ai pas dessiné, je ne l'ai pas vu ». Ce dessin est daté 1930, Longhi y analyse uniquement le geste de surprise du garçon, mis en évidence par l'épaule proéminente, la bouche ouverte d'où jaillit évidemment un cri, et le froncement des sourcils. Ces trois éléments rendent compte de l'immédiateté de la douleur. Longhi laisse de côté la magnifique nature morte en bas et à droite du tableau. Il sait bien que Caravage est celui par qui l'art de la nature morte a pris toute son importance au XVIIe siècle en Europe, mais l'essentiel ici est de parler de la lumière. Dans un fond neutre de couleur ocre. Caravage a laissé apparaître la lumière, révélant le visage du garçon, son épaule et ses doigts dont l'un est mordu. Longhi a mis en valeur ce cheminement de la lumière en laissant en réserve le papier blanc. Avec ce judicieux clair-obscur, écrivent les auteures du catalogue, Longhi « démontre sa parfaite compréhension de l'organisation lumineuse du tableau. » C'est cela, l'école du Regard selon Roberto Longhi qui savait si bien mimer graphiquement le style des artistes qui l'intéressaient.
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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