Marie Morel est peintre, c'est ce que nous affirmions en mars 2018, en consacrant une séquence de « l'artiste du mois » à cette artiste hors du commun, qui s'insurgeait alors contre l'occultation dont avaient été victimes au cours de l'Histoire une multitude femmes de talent dans toutes les disciplines, étouffées par le pouvoir masculin. Elle le faisait avec l'unique moyen de sa peinture : quatre cents petits portraits qui, associés en une immense composition à dominante bleue, parlaient de peinture au moins autant que de la révolte d'une femme découvrant le malheur de ses soeurs. Or déjà à ce moment, Marie Morel commençait à être elle-même victime d'un phénomène d'exclusion qui était nouveau pour elle. En 2009 et 2010 encore, elle avait pu exposer à la Halle saint Pierre à Paris un ensemble d'oeuvres, notamment érotiques, sans le moindre problème pendant six mois. Le signal d'un renversement avait été donné en 2014 à Aubagne : un grand tableau érotique intitulé L'Amour (peint en 1996) avait été retiré d'exposition par les organisateurs. Marie Morel, désolée, ne comprenait pas, elle ne faisait que « dire ce que je vois, ce que je sens, ce que j'aime ce n'est pas une provocation. L'amour est essentiel. »
Oui, mais l'amour implique le sexe. Marie Morel peint des fleurs, des oiseaux, mais aussi des quantités de sexes, masculins et féminins, unis dans une infinité de variations que lui inspire une créativité apparemment inépuisable. Or le sexe, en un temps de désinhibition générale des pulsions dans la société dite permissive est en train de changer de statut, comme l'a noté Jacques Julliard : « Longtemps le sexe fut associé à la faute, plus récemment au plaisir, désormais à l'effroi. » (Le Figaro, 3 février 2020). Un effroi qui condamne bizarrement l'oeuvre de Marie Morel, exclue des cimaises des institutions publiques et privées. Ce ne serait pas grave si la peinture de Marie Morel était médiocre, mais il se trouve que cette artiste est considérée, par exemple par Pascal Quignard, comme « un des plus grands peintres vivants. ». Puisque les musées et les grandes galeries, à Paris comme en province, n'exposent pas les tableaux de Marie Morel, elle vient de répliquer en éditant un beau livre, avec un texte de Pascal Quignard qui cherche à comprendre ce qui se passe dans la tête des décideurs qui ne veulent pas de la peinture érotique de Marie Morel : « Nous repoussons l'idée d'exposer durablement ces peintures imprévisibles, gigantesques, d'une peinture parfaitement libre, hardie, géniale. »
Pour se faire une idée de cette peinture libre et hardie, et même peut être géniale, on peut commencer par aller sur le site de Marie Morel : www.mariemorel.net. Bien sûr, d'excellentes galeries montrent son travail, mais il s'agit seulement de ses touchantes visions de fleurs, d'arbres et d'oiseaux, celles que présente par exemple la galerie Capazza. De fait, ses images de coït sont censurées. Curieux retour de la censure, que ne connaissaient ni le monde archaïque, ni le monde préhistorique, ni le monde antique, ni le monde médiéval. Serions-nous revenus aux prudes XVIIe siècle ou XIXe siècle ? Le livre a pour titre L'oeuvre censurée de Marie Morel, il comprend le texte de Pascal Quignard, Les deux offenses, et de nombreuses photos des oeuvres qui restent dorénavant cachées. 250 pages, format 30 x 33 cm, 2019. Edition Regard - J'en suis bleue. ISBN 978-2-919756-32-2. « Le coït est cette étrange danse qui nous a figurés. Pourquoi n'aimons-nous pas ce qui nous figure ? » (Pascal Quignard). Si, on peut aimer et admirer cette figuration hors des normes dont Marie Morel a pris le risque.
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