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31-01-2019

 
[verso-hebdo]
31-01-2019
La chronique
de Pierre Corcos
Une parole...
La représentation de sa pièce, « La Roue de l'Histoire », dans ce village autrichien perdu (dont il ne se souvient jamais du nom), va avoir lieu, et rien, rien ne va : le théâtre est minable, le plateau pourri, l'acoustique nulle, l'éclairage défaillant. Et le public ? Des idiots, des béotiens, des ignares xénophobes, sans doute cryptonazis… bref, des Autrichiens ! Et sa troupe ? Juste son fils, sa fille et sa femme, trois redoutables anti-talents ! De toutes façons, « un comédien talentueux est aussi rare qu'un trou du cul au milieu de la figure », peste Bruscon, auteur, metteur en scène et acteur, misanthrope bourru que la médiocrité de ses semblables et l'inertie des choses dégoûtent, exaspèrent. On est juste avant le lever du rideau, et madame Bruscon, qui tousse à en crever, ses enfants, de fichus incapables, l'hôtelier, qui bricole ici et là et se fout complètement de l'art, s'empressent autour de Bruscon, Le Faiseur de théâtre, ce double cabotin, cette ombre grimaçante de Thomas Bernhard… Sur la scène, on voit le plateau qu'arpente Bruscon (admirable André Marcon) en fulminant et, au fond, les fauteuils de la salle encore vide. Théâtre dans le théâtre qui donne l'occasion à Thomas Bernhard de régler ses comptes : la petitesse des uns, la platitude des autres, les innombrables anti-talents, la fausse culture, et enfin l'Autriche, qu'il exècre toujours. Notamment parce que, non contente d'être le lieu de naissance d'Hitler, elle accueillit avec ferveur le nazisme.
Le Faiseur de théâtre (jusqu'au 9 mars au théâtre Déjazet) n'est pas tant une tragicomédie sur le théâtre qu'un constat désespéré, furibond de la fragilité, de l'exception artistique dans un monde trivial, vulgaire et brutal. Les diatribes de Bruscon/Bernhard s'entendront comme un acte de résistance individuelle contre la masse, le troupeau. Ces imprécations vont même plus loin : « la métaphysique du malheur », dont parle Christophe Perton - nous proposant une mise en scène réaliste de la pièce, et fidèle à l'esprit bernhardien -, c'est la prise en compte de l'« être-là » figé des choses. Pour secouer l'inertie accablante, cette parole qui ressasse, s'emporte, digresse, éructe, gémit, vaut plus encore que ses thèmes, polémiques, et ses sujets, de prédilection et d'imprécation... C'est la véritable signature de Thomas Bernhard, unique, immédiatement reconnaissable. Une parole réfractaire par principe et drôlissime par élans. Une parole que Christophe Perton, André Marcon ont si bien portée…

Tandis que la langue nous parle, autant que nous parlons la langue, que les discours révèlent les usages sociaux, souvent préconstruits, de la langue (comme le montrent des linguistes), la notion de « parole », elle, reste un usage individualisé de la langue, une sauvegarde de l'autonomie du sujet parlant, et l'ouverture à une créativité qui transcende les figures de rhétorique. Bien au-delà de ce à quoi elle se réfère, la parole de Bernhard, c'est son rythme, son souffle, sa musique, ses ritournelles… Mais que dire de celle de Jacques Prévert ?

L'un de ses recueils de poèmes s'appelait justement Paroles (1946). En donnant à entendre cette parole qui est si chère à nos mémoires, Yolande Moreau et Christian Olivier, dans leur spectacle musical intitulé simplement Prévert (jusqu'au 10 février au Théâtre du Rond-Point), ont su mettre en valeur toute la continuité entre le poète, le parolier de chansons, et le dialoguiste que fut Jacques Prévert (1900-1977). Cette parole simple, directe, lumineuse, on l'a vite intégrée dans un courant stylistique appelé « réalisme poétique ». Mais, au-delà de ce repérage, auquel on ne manquerait pas de rajouter l'empreinte du surréalisme - et notamment par ses inventaires hétéroclites -, il y a l'individu Prévert qui, de toutes ses forces, en génial « cancre » anarchisant, échappait par le calembour, l'allitération, les rimes libres, les variations de rythme, les détournements, etc., aux stéréotypes de la langue, aux figements sémantiques et syntaxiques. Tout le spectacle n'est donc pas seulement l'évocation émouvante d'un grand poète, et quelque peu nostalgique d'un temps où l'argot, le parler fleuri avaient alors plus d'importance qu'aujourd'hui, hélas, n'en a la langue de bois de nos « communiquants », mais encore ce spectacle Prévert est un chaleureux hommage à la liberté d'un poète qui ne consentit jamais à se draper dans l'hermétisme ou l'ésotérisme. Lire et chanter des textes, souvent bien connus, de Jacques Prévert dans cette séduisante composition où trois musiciens accompagnent (de leur accordéon, scie musicale, clavier, etc.) l'actrice Yolande Moreau et le compositeur Christian Olivier, c'est aussi suggérer que, par sa singularité, cette parole s'entendait comme une musique, un souffle, une respiration… Avec un mixte d'accent belge et de terroir, la truculente Yolande Moreau (qu'on a surtout appréciée au cinéma dernièrement) dit en les savourant les paroles fantaisistes et populaires de Jacques Prévert, et parfois elle les chante. Alternant musique et paroles, Christian Olivier interprète, et même théâtralise ces mots magiques qui, touches après touches, peignent un portrait impressionniste du poète. Un poète tendre, sensible au miracle et à la fragilité de la vie : « Mangez sur l'herbe/Dépêchez-vous/Un jour ou l'autre/L'herbe mangera sur vous. »
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
31-01-2019
 

Verso n°136

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