Giò Minola - sinfonia per segno-forma-colore, Paola Stroppiani, Mudima, 64 p., 10 euros.
Bien malin qui sera capable d'enfermer la pratique artistique de Giò Minola dans une catégorie parfaitement définie. Ses oeuvres sont à la fois abstraites, surréalistes et parfois en partie figuratives. Bref, elles échappent à toute définition et je pense que c'est cela qui fait leur singularité dans un univers où il est bon d'appartenir à une sphère artistique bien précise. Il y a chez ce peintre et dessinateur un aspect ludique qui se traduit par des couleurs d'une grands vivacité et aussi des conjonctions formelles assez curieuses ; il y a pourtant une marque stylistique qui ne trompe personne : ses créations sont reconnaissables entre mille ! même si cela ne peut tout dévoiler de sa recherche, on peut dire que son travail est d'abord la quête d'une calligraphie entièrement imaginaires et sans relation non plus avec des oeuvres du XXe siècle, comme celles d'Henri Michaux ou de Brion Gysin. Il n'a pas de maître et ne tente pas de s'inscrire dans une histoire déjà bien constituée et facilement reconnaissable. Il n'a pas non plus pour objectif de proposer des espaces inimaginables, mais un jeu entre les signes et les plans colorés, qui peut se développer de plusieurs manières très différentes. On a le sentiment (mais je peux me tromper) que Giò Minola commence à peindre sans avoir une idée préconçue de ce qu'il va entreprendre : c'est son pinceau qui semble le conduire et à lui de relever le défi. D'où les tonalités parfois douces et parfois violentes, les enchevêtrements de signes de formes souvent antagonistes et, en général, cette sensation d'écriture décousue, mais volontairement décousue, car pas question pour lui de préméditer une logique à ses ouvrages ; bien sûr, il y a des substrats formels et une certaine gamme chromatique, une façon caractéristique de tracer ses signes, un sens de la composition qui lui est intrinsèque ; mais au-delà de ce qui peut constituer son moi esthétique, on se rend compte qu'il veut trouver une liberté dans l'exercice de s on art qui est sans doute l'une de ses cibles picturales.
Bucartelli-Roma, Sophie Guermès, Les Editions du Littéraire, 164 p., 19 euros.
J'ai déjà eu l'occasion de parler (en bien !) de ce livre il y a quelques semaines. Mais je crois avoir oublié plusieurs détails assez important sur cette grande figure de l'art italien du XXe siècle. Née en 1910 en Calabre, elle a été l'élève d'Adolfo Venturi et de Pietro Tosca. Etudiante brillante elle passe le concours haut la main et entre à la galerie Borghese de Rome. Puis elle est envoyée à Naples avant de devenir inspectrice entre 1939 et 1941. Elle prend alors la direction de la Galleria d'Arte Moderna de Rome. Sa carrière est fulgurante ! Elle subjugue tout le monde par sa beauté. Peggy Guggenheim a écrit dans ses mémoires : « Palma Bucarelli était une femme très belle. Elle avait le nez aquilin, les cheveux châtain, les yeux couleur mauve, des cils longs et superbes et une carnation immaculée. Elle était petite, maigre et d'une grande élégance « dans le journal très précieux qu'elle a écrit à la fin de la guerre, 1944. Cronache di sei mesi (publié seulement en 1997), elle est très consciente de ce pouvoir : "Je suis très élégante et belle, je me sens aimée, désirée, admirée, enviée". La conscience de cet atout dont elle est pleinement consciente lui a permis d'affronter toutes les difficultés de sa fonction. Elle a pu assumer des choix très controversés comme celui d'écrire sur Jean Fautrier, qui était loin de faire l'unanimité. Sa beauté était sans doute un bouclier, mais il lui a fallu une grande dose de courage et de détermination pour mener à bien ses projets sur l'art de son temps. Je le répète donc : il faut lire ce beau livre de Sophie Guermès, qui nous fait découvrir cette femme d'exception, qui a aussi été une grande directrice de musée, mais il faudrait maintenant publier ce petit journal qui révèle sa personnalité et ses combats.
Alessandro Lonati, Tensoculture, Francesca Apruzzese, Scoglio di Quarto, 24 p., 10 euros.
Il est de plus en plus rare de rencontrer un jeune artiste qui puisse à fois nous surprendre et nous séduire. Les principes de son art sont assez simples à comprendre : l'artiste utilise de large cadres en bois, tels quels, qui n sont pas préparés de quelque manière que ce soit, ni peints, et il va tendre des fils de couleurs différentes pour suspendre dans l'espace des objets le plus souvent assez communs. C'est la manière de disposer d'une part ces fils colorés et, d'autre part, de placer ses objets qui donnent à sa composition tout son sens et toute sa saveur ; Son langage plastique évoque, de loin, celui des constructivistes des années vingt ou encore les néoplasticiens néerlandais avec son grand dépouillement chromatique et formel et sa volonté de faire vivre le tableau qu'il a en tête dans l'espace concret et pas seulement dans notre imagination. Cela ne donne cependant pas une impression de déjà vu ni le sentiment qu'il se rattache à des courants qui ont été importants au cours du siècle dernier. Non : il ne fait que souligner des analogies avec ces mouvements radicaux, mais ne les prolonge pas ; il a besoin d'avoir une simplicité dans son expression plastique qui ne fait qu'évoquer ces tentatives qui ont maintenant près de cent ans ! Et je dois reconnaître que sa manière de construire ces « boîtes » (virtuelles !) qui se situe entre le tableau en relief et la sculpture, dans sa grande pureté graphique, ne manque ni d'humour ni d'esprit ludique : c'est ce qui fait la grande différence avec ses sources anciennes. Il aime jouer avec les objets qu'il utilise (comme, par exemple, comme dans A_Oooooo°_egocentrica (2018).) En somme, il est géométrique, radical, ascétique, mais en même temps capable de produire des effets humoristiques sans pour autant détricoter ses constructions. C'est plaisant, intelligent et original. Je pense qu'Alessandro Lonati a trouvé une voie royale pour inventer l'art de son temps tout en nous faisant penser aux origines de l'art moderne le plus sévère. A noter qu'à côté du catalogue classique, il a eu l'idée de créer un autre catalogue qui, par pliages, prend l'aspect d'une de ses oeuvres - en somme qui est une de ses oeuvres élaborée dans une optique bien particulière.
La disseminazione, Giorgio Bonomi, préface d'Achille Bonito Oliva, Rubbetino, 164 p., 19,50 euros.
Voilà un livre qui fait bien défaut dans notre langue. L'auteur ne s'inspire pas tant de ce que Jacques Derrida a pu théoriser (les analogie forcée et souvent inappropriées entre ce que les philosophes modernes ont pu élaborer et ce qui s'est imposé dans le langage de l'art contemporain ne sauraient par conséquent rien expliquer), mais plutôt de répondre l'attendre d'un artiste italien, Pino Pinelli, qui a voulu faire de ce thème l'un des aspects marquants de notre modernité. Giorgio Bonomi a commencé par faire une analyse sémantique qui me semble assez éclairante. Puis il est allé rechercher des exemples dans l'histoire de l'art moderne. Il a trouvé des précédents chez Umberto Boccioni, chez Jean Arp, puis, ultérieurement, chez Nigro et Capogrossi. De toute évidence, ce n'est pas une pratique qui a rencontré un grand intérêt pendant les deux premiers tiers du siècle dernier. E, fait, on commence à entrevoir les signes annonciateurs de cette pratique chez Carla Accardi, Lucio Fontana et Castellani. Selon Bonomi, Dadamaino fait aussi partie de ces précurseurs. L'Arte povera, les travaux de Richard Serra, de Robert Morris, de Joseph Beuys (pour ne citer qu'eux) auraient été conçus dans cette perspective (sur cette thèse, j'ai quelques doutes car les installation ou les oeuvres in situ de ces artistes ne recherchent pas cette dispersion spatiale qui est le sujet de la présente recherche). En revanche, Daniel Dezeuze, Noël Dolla, Patrick Saytour, et la plupart des membres du groupe Supports/Surfaces et aussi des artistes proches de leurs conceptions, comme Arnal, ont bien eu l'intention de disloquer l'aspect physique et théorique de l'oeuvre d'art. Mais je ne vois pas trop comment Daniel Buren pourrait s'inscrire dans ce propos. En Italie, Gianni Colombo, Bruno Di Bello et encore Luigi Mainolfi ont bien étudié ce genre de proposition pendant les années 1970. Cet essai est vraiment intéressant, car il met l'accent sur de spéculations qui ont eu lieu en Europe avant que ne s'affirme ce qu'on appelle à tort ou à raison l'« art contemporain ». D'une certaine façon, ce fut le chant du cygne de l'art moderne.
La Bourse, Max Weber, traduit de l'allemand et présenté par Pierre de Larminat, Allia, 162 p., 7, 50 euros.
Max Weber (1864-1920) est devenu célèbre grâce à son Ethique protestante et l'esprit du capitalisme (1904-1905), expression de ses spéculations sur la sociologie à l'opposé des conceptions plus pragmatiques de Durkheim. A la fin du XIXe siècle, éclate une crise assez grave qui oppose le monde rural à travers le Bund des Landwirte et le monde la spéculation boursière. Il est intéressant de noter qu'il écrit deux longs articles sur cette question en 1894 et en 1896 (ils seront réunis en un volume publié post mortem), paraissant peu de temps après le roman d'Emile Zola, L'Argent, paru en 1891, qui explique aux lecteurs les mécanismes du marché boursiers, en en montrant les vertus, mais surtout les failles, les dangers pernicieux et les nombreux vices, cachés ou non, de cette machinerie qui peut devenir infernale. Weber entre moins dans le détail des choses que Zola, mais expose avec simplicité les principes généraux de ce marché d'actions ou d'obligations, qui complète celui des matières premières. Il a conscience que l'avenir réside dans ces échanges passant par des coupons qui n'ont de valeur qu'au sein de l'univers boursier. Les personnes les plus ignares de ces questions apprendrons dans ce livre l'essentiel ; Weber sait parfaitement exposer une question et en montrer les conséquences. Il ne condamne pas un instant le système comme le fait Zola, comme on a condamné autrefois l'argent et puis les assignats. Cette tendance à l'abstraction de plus en plus forte dans un monde de plus en plus matériel est sans doute un curieux paradoxe. Il le note, mais ne le juge pas, fidèle à son principe de neutralité. Il explique très bien comment peut fonctionner le " marché à terme ", qui suppose un confiance entre les deux contractants, l'acheteur n'ayant peut-être pas les liquidités nécessaires au moment de la transaction. En fait, tous les rouages de cette mécanique spéculative ne sont pas si complexes, mais ils peuvent entrainer des complications extrêmes. Quoi qu'il en soit, Weber a compris quel était l'avenir de l'économie, avec peut-être un optimisme exagéré. Ce peut vadémécum est précieux car ce qu'il a décrit en son temps est encore valable en ce début de millénaire. Tout ménage qui se respecte doit se le procurer comme un bon livre de cuisine. Il y trouvera les bases d'une bonne économie domestique.
Le avventure di Pinocchio, Storia d'un burattino, Carlo Collodi, illustrations de Francesco De Francesco, Mudima, 208 p., 10 euros.
Carlo Collodi s'appelait en réalité Carlo Lorenzini (1826-1890) ; il était le fils d'un cuisinier et d'une femme de chambre de Florence. A l'âge de trois ans, il est confié à un oncle et à une tante habitant Collodi. Deux ans plus tard, il doit rentrer à Florence, car son oncle doit travailler pour le marquis de Ginori. Ce dernier place l'enfant dans un séminaire piariste. Il travaille alors pour la libraire Piatti. Il décide de se consacrer au journalisme et publie son premier article (sur la musique) en 1847. Puis il fait des chroniques théâtrales. En 1848, il participe à l'insurrection contre l'Autriche. Il participe ensuite à la création d'un journal satirique éphémère, Le Lampion. Il parvient néanmoins à créer son propre journal, Scaramouche, en 1853 et continue à écrire ailleurs des critiques. Puis il endosse de nouveau l'uniforme et participe à la bataille de Solferino. Il obtient des petits postes dans l'instruction publique. En 1881, il prend sa retraite et écrit pour le journal Il Fanfulla. C'est là qu'il écrit l'Histoire d'une marionnette sous forme de feuilleton ; ce petit roman s'achève en octobre 1881 par le suicide la marionnette. Mais il écrit de nouveaux chapitres qui sont publié en 1883. Le livre, illustré par Enrico Mazzanti, paraît cette même année. Plus de sept cent illustrateurs ont repris le personnage et Walt Disney en a fait un dessin animé célèbre ; de grands artistes comme Jim Dine et Mimmo Paladino s'en sont inspirés ! Dans le cas présent, c'est Francesco De Francesco qui a décidé d'illustrer à sa façon, dans un registre un tant soit peu nostalgique, le chef-d'oeuvre de Carlo Collodi. Un sacré défi, non des moindres !
Désir d'Italie, Jean-Noël Schifano, Folios essais, 544 p., 10, 50 euros.
Je dois reconnaître, d'ailleurs la moindre honte, le plaisir que j'ai toujours eu à lire les nouvelles de Jean-Noël Schifano. De son long séjour à Naples, il a su retirer les ingrédients de récits les uns pittoresques, les autres cruels, d'autres encore étranges. Mais s'il a une connaissance et de la tradition et de la littérature de la péninsule, il est resté un auteur français. La préface qu'il a faite pour le présent ouvrage me rappelle d'ailleurs un peu Stendhal, pas dans son écriture ni dans sa façon de présenter les choses, mais plutôt dans l'idée qu'il s'est faite de l'Italie. Stendhal, il faut le dire, n'a pas compris grand chose du monde italien, car c'est tout l'inverse de la France : comment l'aurait-il pu en ne fréquentant que les grands théâtres lyriques et les salons où l'on voulait bien lui ouvrir la porte ? Parfois il s'est intéressé à l'histoire, pillant quelque auteur local comme il l'avait fait pour son Histoire de la penture italienne, publiée en 1817, qui est un plagiat éhonté (tout comme ses biographies (sa Vie de Rossini, de 1823 ne me semble pas digne d'un amateur d'opéra et qui d'ailleurs ne veut guère mieux que sa Vie de Mozart). Mais vous l'aurez compris je ne suis pas un stendhalien à tout cran, et je ne suis pas convaincu par ses voyages, ni par ses Promenades dans Rome, ni par Rome, Naples et Florence, qui sont des ouvrages plaisants à lire, mais qui sont loin de révéler aux lecteur les vérités complexes de la péninsule. En fait, il a créé une Italie française, n'existant nulle part ailleurs que dans notre imagination, qui, malheureusement, continue à guider les voyageurs modernes de notre pays. J'ai un peu retrouvé cet esprit dans la préface et je le déplore. Mais je ne veux pas dissuader quiconque de lire ce recueil d'articles et d'essais, qui me semble le meilleur accès possible à la littérature italienne du XXe siècle, même si l'on constate de grandes absences, qui sont curieuses. Mais personne ne saurait être parfait dans ce genre d'exercice ! Il professe un amour sans borne pour l'écrivain sicilien Leonardo Sciascia (il faut dire que son père était aussi Sicilien !) dont il sait très bien exposer la démarche, qui paraît souvent aller à contre-courant de ce que l'on pense dans son pays et surtout sur la Sicile ! Et Schifano consacre de longues et passionnantes pages à Luigi Pirandello, s'intéresse à Giovanni Verga, ne néglige pas Vicenzo Consolo et consacre quelques lignes à Vitaliano Brancatti. Mais il nous convie à faire un tour d'Italie, en replaçant les auteurs dans leurs contextes respectifs. Il a même été jusqu'à attribuer quelques page à Grazia Deledda, écrivain sarde, prix Nobel de littérature en 1926, que presque personne ne lit de nos jours. Il y a d'ailleurs de grands entretiens, par exemple avec Alberto Moravia et, cela va de soi, avec Sciascia. Il parle beaucoup et bien d'Alberto Savinio, que nos contemporains ne daignent pas trop lire et fait l'éloge d'auteurs peu connus en France (même s'ils sont traduits) comme Luigi Malbeba et Raffalele La Capria. Avec ce gros livre, nous avons la chance de posséder une magnifique encyclopédie pour découvrir l'Italie des lettres modernes, sans avoir disposé un cheminement bien tracé : il nous fait découvrir ces auteurs et leurs créations au gré de sa fantaisie ou des éditions (il faut rappeler qu'il a commencer à écrire cette somme à partir de l'année 1990). Il nous transmet une passion au gré de ses lectures ou des parutions en librairie, sans aucune velléité de tout embrasser. Qu'il en soit remercié car pour l'instant, personne n'a pu l'égaler.
Le Patient anglais, Michael Ondaatje, traduit de l'anglais (Canada) par Marie-Odile Fortier-Masek, Points, 330 p., 7, 50 euros.
Quand ce roman est sorti en 1992, il a reçu le Booker Prize et a connu un très grand succès de librairie. Le film adapté par Anthony Minguella n'a fait que renforcer cet engouement qui a dépassé largement les pays anglophones. L'histoire est curieuse. On a l'impression que l'auteur a repris les recettes d'Ernest Hemingway et les a transposée dans un univers beaucoup plus mystérieux et avec un je ne sais quoi qui provient de Rudyard Kipling. L'héroïne de cette histoire est cette infirmière canadienne, Hana, qui s'est retrouvée dans une villa en partie détruite par un bombardement du Sud de l'Italie et transformée en hôpital ; celui-ci est désormais presque désert. Il n'y a en fait qu'un seul blessé grave, un aviateur anglais qui serait tombé au beau milieu du Sahara. Et elle n'a plus que pour assistant un jeune sikh, Kip. Il semblerait qu'on n'ait pas déplacé l'aviateur tant ses blessures sont graves. Il ne fait que bredouiller quelques mots qui demeurent énigmatiques. Deux personnages font leur apparition et l'un d'eux, Almesy, tombe amoureux de la jeune femme. Ce qui frappe le plus dans ce livre, c'est qu'il est difficile de comprendre quel est son sujet. Le sort peu enviable de l'aviateur, ses rêveries, le désert, la vie sentimentale d'Hana, les paysages italiens, l'arrivée du voleur David Caravaggio, qui a des liens avec la famille d'Hana... En réalité, c'est le tout qui constitue ce sujet qui se présente sous l'espèce d'une mosaïque. Cela rend assez déconcertant cet ouvrage qui échappe à toute définition, mais n'en est pas moins attachant et même fascinant. Toutes sortes d'intrigues et de réminiscences s'enchevêtrent ici et donne à l'ensemble une richesse inouïe et se révèle bien plus beau que le film qui a tant contribué à sa réputation car il tend à la simplification extrême de l'histoire qui, ici est complexe, et échappe souvent aux règles de la pure réalité. Différentes sortes de rêves et plusieurs époques de l'histoire sont associées dans ce labyrinthe tragique et cruel.
Des jours d'une stupéfiante clarté, Aharon Appelfeld, traduit de l'hébreu par Valérie Zenatti, Points, Seuil, 288 p., 7, 40 euros.
Aharon Appelfed nous a quitté l'année dernière. Né en 1932 à Jadova (petite ville qui se trouvait alors en Roumanie, aujourd'hui en Ukraine. Dans sa famille, on parlait l'allemand, mais il connaissait aussi le roumain, le ruthène et le français. Ses grands-parents, chez qui il se rendait souvent, lui ont appris le yiddish. En 1940, sa mère est assassinée lors d'un pogrom. Peu après la Bucovine a été annexée à l'Union Soviétique. Puis les Roumains et les Allemands occupent cette région en 1941 et le petit garçon se retrouve dans un ghetto alors que son père est déporté en Transnistrie. Aharon parvient à s'évader en 1942 et se cache dans les forêts pendant de longs mois. Des paysans l'hébergent et il travaille pour eux, mais demeurant toujours caché. Puis il rejoint l'Armée Rouge et combat pendant neuf mois dans ses rangs. Ensuite il erre dans plus pays de l'Europe avant d'être recueilli par un mouvement sioniste crée en Allemagne en 1933, l'Aliyat Hanoar, qui le permet de rejoindre l'Italie et ensuite de partir en Palestine ; là, il entre dans une école agricole. Il fait son service militaire puis fait des études et est diplômé à l'université hébraïque de Jérusalem, où il a été l'élève de Martin Buber. Il rencontre peu après Samuel Agnon et décide alors de se tourner vers la littérature. Ces rapides indications précieuses permettant de mieux comprendre la part autobiographique de ce livre qui, d'une certaine manière fait songer à La Trêve de Primo Levi. Libéré d'un camp, le héros de ce roman, Theo, décide de rentrer chez lui à Stenberg, une petite ville en Autriche. Si le récit progresse de manière chronologique, il est souvent interrompu par des réminiscences de son enfance. Il songe à sa mère, qu'il trouvait si belle et si fascinante, qui l'emmenant visiter des églises chrétiennes (c'était une de ses passions avec la musique) et qui semblait ne pas se soucier de la vie ordinaire. Il évoque aussi son père, qui était libraire et dont les affaires allaient toujours plus mal, jusqu'au jour où il a dû cesser définitivement son activité. Et il poursuit son périple sans jamais se décourager, même si la toute était très longue. Un beau jour il rencontre une femme âgée, qui s'appelle madeleine ; il fait tout pour l'aider et parvient à l'emmener à un hôpital. Elle lui dit qu'elle a très bien connu son père, Martin, et aussi des brides de sa vie familiales. Un lien très fort s'est noué entre le jeune homme et la femme âgée, mais rien ne peut désormais la sauver. Il poursuit son voyage sans désemparer, et les souvenirs viennent sans cesse par vagues le submerger : la folie (jamais dite) de sa mère qu'on a envoyé vivre chez une tante et les malheurs de son père dont il ne s'est pas senti très proche. Il fait des rencontres qui sont curieuses et parfois incongrues (comme celle de la bergère par exemple). Dans cet exode chaotique, avec tous ces êtres à la dérives, qui a l'espoir de retrouver quelque chose de leur existence, il semble animé par une volonté de fer, même s'il ne lui était pas aisé de savoir quelle direction prendre. Dans cet univers de gyrovagues qui ont survécu à la guerre monstrueuse, il trouve une humanité profonde et des sentiments qui paraissent soutenir ses efforts pour aller de l'avant. Cet enchevêtrement de du passé et du présent donne une sensation d'irréalité au tout de cette histoire une magnifique représentation d'un destin mais aussi du destin de tous ces survivants perdus au coeur de ce continent qui s'est changée en une sorte d'immense et de tragique circumnavigation de millions de personnes qui tentent de regagner leur identité.
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