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[verso-hebdo]
15-03-2018
La lettre hebdomadaire
de Jean-Luc Chalumeau
Philippe Comar, Dessin contre nature
Voici un livre exceptionnel : Dessin contre nature va passionner tous ceux qui s'intéressent à la pratique du dessin (Tohubohu éditions, 336 pages, 35 euros). Ce livre est magistral, ce qui est normal de la part d'un artiste qui est professeur de dessin et de morphologie aux Beaux-Arts de Paris depuis 1979. Le volume accompagne une importante exposition à la Villa Tamaris Centre d'Art de La Seyne-sur-Mer (jusqu'au 22 avril), mais il vaut par lui-même. Qu'est-ce qu'un bon dessin ? « C'est un dessin qu'on a envie de regarder » répond Philippe Comar qui nous régale et nous surprend avec un choix de trois cents pièces parmi les milliers qu'il a produites depuis une trentaine d'années. Cela me ramène à l'hiver 1982, date à laquelle je publiai dans OPUS International un texte épatant de Philippe Comar à propos des Ménines de Vélasquez. Il avait réalisé une maquette que l'on retrouve dans le livre. « En somme, j'ai construit, semblable à un micro-théâtre, la scène picturale des Ménines, avec ses espaces virtuels, sa construction perspective et ses trompe-l'oeil, avec ses points de fuite et ses ambiguïtés, afin de rendre visible l'architecture invisible du tableau... » ( l'oeuvre a été exposée au Centre Pompidou au même moment).

Artiste, professeur, Comar est aussi théoricien, romancier, commissaire d'expositions... Restons-en au dessin. Le sien est toujours près de la nature (contre nature !), mais il est aussi l'idée qui est la forme vraie de la chose (j'emprunte la position du philosophe Jean-Luc Nancy). Il est le geste qui procède du désir de montrer cette forme, et donc de la tracer afin de la montrer. Deux exemples : D'abord, cet Hippopotame couché, vu de trois quarts antérieurs observé au zoo de Vincennes en 2003 (graphite sur papier). Le gros animal nous regarde. Regard glauque sans doute, mais attentif tout de même. Sa tête est traitée avec soin alors que le reste du corps est seulement suggéré à grands traits. C'est exactement ce que l'on peut dire du Lion au repos vu à l'encre brune par Rembrandt en 1640 (Louvre). Là aussi l'important était dans les yeux de l'animal : Rembrandt avait saisi avec une incroyable exactitude le regard méfiant du lion. Philippe Comar distingue de son côté la vie présente dans la masse apparemment amorphe de son sujet.

Ensuite, dans la série « Crime parfait », ces fascinantes Huit têtes de suppliciés par la guillotine (moulages en plâtre du XIXe siècle, musée Orfila) traitées à la sanguine par Philppe Comar en 1997, à rapprocher de son bouleversant Portrait de mon père, Pierre Comar, sur son lit de mort, 6 juin 2003 (graphite sur papier), « la seule fois où j'ai éprouvé le besoin de le dessiner » précise-t-il. Une référence s'impose irrésistiblement, devant ces dessins si inhabituels, ce sont les Têtes de suppliciés dessinées au crayon noir par Théodore Géricault en 1817 (musée de Besançon). Même précision du trait pour aller au-delà du réalisme. Il y a, chez Géricault comme chez Comar qui tous deux sont des dessinateurs passionnés, l'édification d'un véritable « théâtre de la cruauté » au sens inventé par Antonin Artaud, un théâtre qui, selon les mots de Régis Michel (spécialiste de Géricault) « oscille entre les modes corollaires de l'énergie pulsionnelle, l'érotique et l'agonistique, l'étreinte et le combat ». Ajoutons que Comar ne dessine jamais d'après photographie (« j'en suis incapable »). Cela veut dire beaucoup de choses.

www.villatamaris.fr
J.-L. C.
verso.sarl@wanadoo.fr
15-03-2018
.S. Verso reçoit beaucoup de livres qui sont surtout traités dans une autre chronique par notre bibliomane solitaire, mais je souhaite tout spécialement attirer l'attention sur deux ouvrages de Sophie Nauleau qui viennent de paraître chez Actes Sud : La poésie à l'épreuve de soi et la voie de l'écuyer. Le premier, à la fois récit très personnel et manifeste très engagé, est dédié à l'ardeur poétique. Le second, décliné de « La voie du guerrier » de Chögyam Trungpa, est consacré à la prestigieuse Académie équestre nationale du domaine de Versailles, corps de ballet unique au monde fondé par Bartabas. Sophie Nauleau, écrivain, docteur en littérature française, diplômée de l'Ecole du Louvre, productrice à France Culture, est aussi une cavalière passionnée. D'où ces deux textes étincelants à ne vraiment pas manquer.
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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