Artistes juifs de l'Ecole de Paris, sous la direction de Nadine Nieszawer, préface de Claude Lanzmann, Somogy Editions d'Art, 576 p., 49 euro.
Cette nouvelle édition de cet ouvrage est considérablement enrichie et est publiée en trois langues (outre le français, l'anglais et le russe). On y retrouve les plus célèbres des peintres qui ont fréquenté Montparnasse au début du XXe siècle, Amedeo Modigliani, Jules Pascin, Max Jacob, Jules Pascin, Moïse Kisling, Chana Orloff, Chaïm Soutine, Marc Chagall, Louis Marcoussis, mais aussi une foule de créateurs qui ne sont souvent connus que des spécialistes. Comme le fait remarquer Claude Lanzmann dans sa préface, bon nombre d'entre eux ont fini dans la Nuit et brouillard des camps de la mort. Je pense que ce livre aurait pu être accompagné d'une anthologie de la critique d'art (d'une certaine critique d'art, de Camille Mauclair à Waldemar-George, qui figure pourtant dans les archives de l'IMEC, en passant par pas mal d'autres) de l'entre-deux-guerres, qui se déchainait contre les métèques qui envahissaient les cimaises de nos belles galeries et enjuivaient notre grand art français. Une importante exposition sur l'Ecole de Paris au musée d'Art moderne de la Ville de Paris avait très bien mis en évidence cette inclination, qui avait tendance à faire tache d'huile. L'art en France, pendant cette période, c'était Picasso, Gris, Severini, Zadkine, Larionov, Archipenko, puis Kandinsky, Torrès Garcia et tant d'étrangers qui ont prêté main forte au mythe de Paris capitale des arts avec Braque, les frères Duchamp, Georges Rouault, Henri Matisse, André Derain. Ce dictionnaire des artistes juifs est indispensable pour comprendre cette période si féconde. On y retrouve des Tchèques comme Othon Coubine (qui s'appelait à l'origine Kubin), Georges Kars, François Zdenek Eberl, par exemple. Beaucoup provenaient de l'Europe orientale et de la Russie. C'est là un excellent instrument de travail, mais c'est aussi un moyen de prendre la mesure de la perte considérable de peintres et de sculpteurs dont la vie et l'oeuvre ont été tronqué à causes des lois infâmes de Vichy et de la barbarie nazie. Enfin, c'est aussi un excellent prétexte pour se familiariser avec des hommes et des femmes, qui n'ont pas eu une grande fortune de leur temps. Le seul qui ait été un peu remis en valeur est Philippe Hosiasson. De certains d'entre eux, déportés, nous ne connaissons presque rien de leurs travaux. La passionnante exposition du musée du Montparnasse en 2005, à l'occasion de l'anniversaire de la libération d'Auschwitz, avait déjà permis la découverte de plusieurs créateurs absolument inconnus. Avec le temps, ce volume prendra encore de l'ampleur car il est évident que des découvertes seront faites. Inutile d'ajouter qu'une telle somme doit faire partie de la bibliothèque idéale de l'honnête homme (et de l'honnête femme !) de notre temps.
Le Livre d'or du corps humain, G. Bordin, M. Bussagli, L. Polo D'Ambrogio, Traduit de l'italien par J. Bonnet & T. Tradito, Hazan, 504 p., 29,45 euro.
Non, il ne s'agit pas ici d'un livre d'anatomie, ni une histoire de cette science. Ce n'est pas non plus un livre d'art. Et cela même si ces deux domaines de la connaissance sont omniprésents dans ces pages. Les trois auteurs se sont employés à déclin er tout ce qui peut concerner le corps, de ses différentes parties, du sexe, du sang, des organes, des sens, mais aussi à montrer comment ce corps ressent les choses, comme la douleur. Ils se sont également employés à faire un panorama de sa représentation dans l'art occidental selon les différents siècles. Mais de nombreux exemples dans l'art oriental sont dispersés dans les autres articles. La maladie (auquel toute une partie de ce volumineux ouvrage est consacrée) est prise en ligne de compte, tout comme le rêve de voler qu'a traduit le myrrhe d'Icare. La notion de malade est aussi étudiée de près. En somme, les auteurs se sont donnés beaucoup de mal pour ne rien oublier, ce qui fait de l'ouvrage une véritable encyclopédie, riche et plaisante à consulter avec sa merveilleuse iconographie. Vous voulez savoir de quoi il retourne en ce qui concerne la pratique et l'histoire l'autopsie ? Un gros chapitre leur est consacré, autant sur le plan médical que sur le plan littéraire ou artistique. Le Body Art est également présent (là, avec des absences gênantes, comme Journiac et Urs Lüthi, pour ne citer qu'eux). Une partie curieuse est dédiée aux différents âges de l'homme, avec des oeuvres merveilleuses, de Edvard Munch à Medardo Rosso. Cela fait un livre qui peut et doit être consulté autant que le manuel de médecine qui fait partie de la vie de chaque foyer. Il faut saluer cet immense travail qui, malgré les petits défauts (mais comment une telle entreprise pourrait-elle être réalisée sans le plus petit défaut ?) et l'adopter pour comprendre et voir le corps humain de plusieurs points de vue, la science et les arts y faisant cause commune.
OEuvres, J.-B. Pontalis, « Quarto », Gallimard, 1344 p., 32 euro.
Je dois avouer que si je me suis intéressé de près à la collection que dirigeait J.-B. Pontalis chez Gallimard - « L'un et l'autre » - depuis 1989, que si j'avais lu quelques numéros de la Revue française de psychanalyse pendant mes études, je n'avais pas lu grand chose de lui. A ma décharge, je dois dire que personne dans mon entourage ne m'a conseillé de le faire. Dommage ! Dans ce volume impressionnant, on découvre un grand écrivain. Il n'a jamais eu l'ambition d'être un romancier. Tous ses écrits sont brefs. Sans doute, ces petits récits sont-ils réunis dans des recueils, ce qui peut constituer un ensemble littéraire cohérent. Ce qui frappe le plus dans ses oeuvre, c'est qu'il ne fait pas de différence, ni dans l'écriture, ni dans le fond, entre les nouvelles autobiographiques ou imaginaires et les textes strictement liés à la psychanalyse. Par exemple, on trouve un très bel essai sur l'amitié qui s'est nouée entre Wilhelm Fleiss et Sigmund Freud, une amitié très forte qui se termine par une rupture qu'il examine avec le plus grand soin. Pontalis la raconte comme s'il s'agissait d'une histoire entre deux personnages de fiction. Il faut d'ailleurs souligner que cet homme qui avait été en analyse avec Lacan en 1953, n'a jamais succombé à la tentation du jargon professionnel, qui atteint son paroxysme pendant les années soixante-dix. Il rédige avec Jean Laplanche le Vocabulaire de psychanalyse, justement conçu pour rendre accessibles les concepts énoncés par Freud, ses disciples et les différentes écoles qui vont faire par la suite leur apparition. Après avoir participé à la création de l'Association de psychanalytique de France, voulue par Lacan, il s'en éloigne et fonde en 1970 la Nouvelle revue de psychanalyse, qui va exister pendant près d'un quart de siècle. Ce n'est qu'à la fin de sa vie qu'il a commencé à faire paraître ses oeuvres littéraires. Il y a chez lui quelque chose de très singulier : il privilégie les textes très courts, qui se concentrent sur un objet précis, ou un sentiment, un état d'âme, une vision fugace. Son premier livre est Fenêtres, qui sort de presse qu'en 2002. Avant cela, il avait tenu à faire paraître l'essentiel de sa pensée sur la psychanalyse. Il y a chez lui quelque chose qui le rapproche de Montaigne, un Montaigne moderne, avec une autre bibliothèque et d'autres moyens de connaissance. Et comme Montaigne, il n'a pas de projet globalisant. Il ne parle que de ce qui l'intéresse et qui le touche. Pontalis n'est pas un héritier des encyclopédistes, même si sa culture a été immense. Fenêtres est un exemple parfait : en une ou deux pages, il traite le point qui a élu et constitue ainsi un petit dictionnaire de ses centres d'intérêts (et aussi de ses souvenirs) avec une extrême simplicité dans l'écriture qui, en ré »alité, est très élaborée : il ne retient que ce qui est essentiel à ses yeux. Il a écrit des textes plus narratifs, comme l'Amour des commencements ou Un homme disparaît. Mais peu à peu s'impose cette forme qui lui convient à merveille. Même dans le Dormeur éveillé (2006), qui aurait du être un essai, il ne cherche pas cette linéarité du texte et ses essais se changent en des méditations, où l'art joue un rôle de premier plan, de Piero della Francesca à Turner. Mais il ne s'est jamais jeté à corps perdu dans une débauche de références et de mise en scène du savoir. Au contraire. Les choses prennent sens par l'écriture. Je pense au chapitre du Dormeur éveillé, intitulé « Devant les livres, des images », qui est une belle digression sur un type de comportement. En fin de compte, il va chercher la petite bête, mais sans emphase et sans le désir d'en imposer. Le plus complexe semble d'une limpidité extrême sous sa plume. Et les curiosités de l'esprit humain ne sont pas grossis ni extrapolés : ils s'intègrent à un art de vivre qui est aussi un art de pratiquer l'exercice de l'écriture.
Histoire humaine et inhumaine, Giorgio Pressburger, traduit de l'italien par Margueritte Pozzoli, Actes Sud, 432 p., 25 euro.
Au contraire des artistes et des écrivains qui, avec le cours des ans, commencent à se répéter et à se raccrocher à des formes bien éprouvées (quand ils ne vont pas à reculons vers le plus facile), Giorgio Pressburger a terminé le second tome d'un livre colossal, un tant soit peu monstrueux et inclassable en tout cas. C'est la suite de Dans l'obscur royaume). C'est encore et toujours l'Enfer de Dante, mais vu avec ses propres yeux, donc pas un pastiche ou une transposition moderne. A la place du magnifique Virgile ou de la jeune, belle et douce Beatrice, il choisit de voyager en compagnie de Sigmund Freud. Après tout, c'est son choix et nous ne le discuterons pas ! Cette Odyssée dans les abysses de l'histoire et de la culture, Pressburger la présente comme une sorte de grand poème lyrique. Mais il ne cherche pas à faire le poète ni au sens propre ni au sens figure, et n'est pas non plus un vate, un guide spirituel ou même intellectuel influent de quelque espèce que ce soit. Il y a dans ces pages quelque chose qui fait penser aux vers visionnaires de Victor Hugo, une ampleur digne de John Milton et de son Paradise Lost. En plus, il y a toute la modernité, dans ses torts et ses raisons qui se retrouve dans ce grand oeuvre. Comment le définir ? C'est un parcours dans l'Histoire qui est conjugué avec un autre parcours, qui est celui de l'auteur. Ensuite, c'est une course effrénée dans la culture que cette histoire véhicule dans notre civilisation. Le plus grand et ce que considère le plus important ne l'est pas ici : les membres de sa familles, les personnes qu'il a connues à Budapest et qu'on pu découvrir dans le livre qu'il a écrit avec son frère jumeau, le Huitième district (son premier livre, traduit en français en 1989), sont aussi importants que les figures bibliques ou les grands noms de souverains, de papes ou de seigneurs de la guerre. En réalité, les faits mémorables, les personnages historiques vivent à travers nous, comme les dieux ont vécus par nous. Dans cette Danse de mort à la fort joyeuse et destructrice, l'auteur nous fait découvrir les spires complexes de son univers intérieur. C'est un univers à la Borges, avec des bibliothèques qui n'ont plus d'ordre, mais qui laissent échapper des phrases et des interprétations, des épisodes anciens et des légendes contemporaines. C'est un livre halluciné, qui fonctionne par bribes et par lambeaux et pourtant il y a toujours des fils rouges qui sont tissés en palimpseste et qui nous permet de nous y retrouver à un moment ou à un autre. Giorgio Pressburger est un créateur de talent et qui est inspiré du début jusqu'à la fin. Le terme « dantesque » s'applique fort bien à son aventure tumultueuse où l'on croise ici Flavius Joseph et là Christian Boltanski ! Ses connaissances vertigineuses n'ont pas rendu son texte indigeste, bien au contraire. Mais nous sommes comme dans un couloir ou les miroirs posés de part et d'autre renvoient l'image de la personne qui passe à l'infini. Et l'infini fait peur ! Mais le plaisir de se jeter à corps perdu dans ce récit désarticulé qui nous pose mille et une questions est magique : il nous renvoie à la terrible réalité de notre monde qui est sans cesse en perte de sens.
Magie, G. K. Chesterton, traduit de l'anglais par Thierry Beauchamp, Rivages poches, 128 p., 7,50 euro.
Il s'agit d'une pièce de théâtre que G. K. Chesterton, l'inventeur du personnage du Père Brown, a pu faire représenter en 1913. Elle a connu alors un véritable succès. L'écrivain a réussi dans un domaine qui n'était vraiment pas le sien (alors que Henry James, qui s'est obstiné à composer des pièces, n'y est jamais parvenu). La trame est simple. UN duc, qui est un personnage assez fantasque, décide d'organiser une soirée de magie. Il y a invite plusieurs personnes, dont son médecin, qui est un rationaliste convaincu et un adepte des théories sur l'évolution de Darwin, le pasteur de la petite communauté du lieu, une jeune fille très perméable aux contes de fées et son frère, plus pragmatique. Tous cherchent à percer le mystère des tours réalisés devant leurs yeux, d'abord sceptiques, et puis émerveillés, par le magicien. Ils y parviennent en partie. A la fin, le docteur tente de négocier la révélation du dernier tour réalisé et qui a ébloui tout le monde. Le duc ne cesse de se demander comment le magicien a pu le réaliser. Le duc va jusqu'à proposer de l'argent. Et tout le monde a une bonne raison pour tenter de découvrir la manipulation qui a donné naissance à ce tour final. Le magicien refuse, même à Patricia, la jeune fille qui croit aux fées. Avec cette histoire, G. K. Chesterton ne veut pas magnifier l'irrationnel, mais plutôt donner plus de poids et de vérité à l'art, qui est illusion par définition.
La Sphère et la croix, G. K. Chesterton, traduit de l'anglais par Charles Grolleau, Rivages poche, 320 p., 9 euro.
Etrange début de ce livre lui-même étrange et magnifique ! En effet, Lucifer, juché sur un char triomphal fait de toutes sortes d'objets empruntés à la vie humaine, apparaît comme une vision sortie tout droit d'un dessin de Victor Hugo ! A côté se trouve un moine qui est aussi un savant. Le vaisseau spatial arrive à Londres où Lucifer est ravi de trouver une sphère, et le moine, Michaël, de pouvoir toucher une croix. Ce dernier voit apparaître Dieu et il change du tout au tout. Dans les rues de la ville, il voit un jeune homme détruire une vitrine avec sa canne. Il veut intervenir. On l'interpelle et on le place dans une maison de fous. Le magasin en question était la rédaction de L'Athée, journal qui avait cessé de paraître. Le jeune homme était un Ecossais nommé MacIan qui méprisait les idées qu'il colportait. Il provoqua son directeur, Turbull, en duel. Ils se sont rendus dans un magasin d'antiquités pour acheter des épées et le duel eut lieu dans le jardin derrière la boutique. Mais le marchand juif qui avait enfermé avait réussi à se libérer et avait appelé à l'aide. Les duellistes ont bâillonné et ligoté alors de s'enfuir. Ils sont monté dans un cab et ont échappé à la police qui est arrivée pour sauver le malheureux fils d'Israël. La presse s'empara de cette nouvelle en fit une affaire monumentale qui alla jusqu'aux Communes. Les deux hommes s'en sont beaucoup amusés. Mais MacIan voulut encore croiser le fer. Le combat reprit jusqu'au moment où un homme apparut. Celui était un adepte de la paix civile. Il cita Tolstoï. La police arriva. Ils fuirent dans la campagne. Ils se retrouvent dans une auberge enchantée. Le lendemain, les voici devant une énorme idole de pierre. Un petit homme d'apparence inoffensive, est ravi de voir les deux hommes s'entretuer. MacIan lui met une épée en main et commence à ferrailler avec lui. Le petit homme prit peut et s'enfuit. Après quoi, les deux duellistes vont accomplir un périple qui le mène en France et puis dans des terres inconnues pour se retrouver en Angleterre, faisant des rencontres des plus bizarres. Le picaresque se mêle sans cesse au rêve et leur complicité ne fait que croître. Ils se retrouvent dans un asile d'aliénés. L'histoire se termine avec une vision hautement symbolique avec leurs épées qui se croisent pour former une croix. Cette longue méditation sur la foi s'est traduite par un roman d'aventures extraordinaires ou l'athée et le catholique deviennent inséparables dans une course éperdue et métaphorique.
Le Retour de Gustav Mahler, Stefan Zweig, traduit de l'allemand par David Sanson, préface de Bertrand Dermoncourt, Actes Sud, 64 p., 9,80 euro.
Symphonie n°5, Gustav Mahler, Orchestre National Bordeaux Aquitaine, « Onba Live » Musicales Actes Sud, avec CD.
L'écrivain Stefan Zweig a eu un rapport particulier avec Gustav Mahler. Il n'a quasiment pas connu l'homme, mais a apprécié le chef d'orchestre qui, très jeune, s'est vu offert la direction de l'Opéra de Vienne. Il a été à la tête de cette prestigieuse institution de 1897 à 1907, date où il a été congédié. L'intelligentsia autrichienne s'est alors mobilisée pour protester. Parmi les plus connus, il y a eu Gustav Klimt, Arthur Schnitzler, Arnold Schoenberg, Hugo von Hofmannsthal. Zweig, qui appartient à une autre génération, s'est joint à cet aréopage. Mais rien a faire : Mahler est mort en 1911 sans avoir retrouvé son poste. Et cela malgré les nombreux hommages recueillis dans un volume édité pour ses cinquante ans par ses admirateurs les plus célèbres. Zweig parle à plusieurs reprises dans ses mémoires, le Monde d'hier, de sa profonde admiration pour le compositeur. Mais avant cela, il a écrit un long et vibrant article sur lui en 1915 dans la Neue Freie Presse après avoir pu assister à l'exécution du Chant de la Terre, la dernière oeuvre qu'il ait achevée. C'est cet article qui figure dans cet ouvrage. Sans doute a-t-il été écrit pour annoncer la « résurrection » du grand maître, mais aussi pour tenter de dissiper les doutes et les réticences d'un certain nombre de ses contemporains, en premier lieu son ami Romain Rolland. Il contient aussi un poème, où Zweig a écrit un long et beau poème qui exalte la maestria du chef d'orchestre. L'auteur de la sérieuse préface tient à nous préciser que l'écrivain viennois a eu un autre rapport privilégié avec un autre grand musicien, Richard Strauss. Au début des années trente, il écrit des livrets pour ce derniers. Celui de la Femme silencieuse, inspiré par une pièce de Ben Johnson, est épinglé par la propagande des nazis qui sont désormais installés au pouvoir en Allemagne. Goebbels exige qu'on retire le nom de l'auteur, ce que Strauss refuse. Par la suite, Zweig continue à collaborer en secret avec lui. En somme, jusqu'à son exil, il a eu des relations étroites avec la musique. En même que ce petit recueil, paraît chez le même éditeur un enregistrement de la Symphonie n°5 de Mahler. Cette nouvelle interprétation, dirigée par Pierre Daniel, est accompagnée d'un petit livre qui permet à l'amateur de découvrir l'oeuvre de Mahler et de comprendre la place que tient cette oeuvre dans son histoire. En effet, le finale marque un tournant décisif dans son art. Le compositeur y a introduit de nouvelles conceptions musicales qui seront développées par la suite.
OEuvres posthumes, tome II, Jean Ristat, Gallimard, 236 p.
Jean Ristat est sans doute l'un des poètes français les plus importants. Mais personne ne paraît devoir le reconnaître. A cause de ses liens étroits avec Louis Aragon ? Pour son appartenance au parti communiste ? Pour des inclinations qui ne sont pas du goût de tout le monde ? Qui sait, un peu de tout. Et puis il y a sa posture poétique qui, depuis le début (depuis le Lit de Nicolas Boileau et de Jules Verne, paru dans la toute jeune collection 10/18), n'est ni classique ni moderne, néanmoins peut être qualifiée à la fois de classique et de moderne (je ne donnerai que deux exemples : la Perruque du vieux Lénine (1980) et Artémis chasse à courre... (2007)) : il y a dans ses recueils un étrange mélange d'esprit classique, dans le pur sens du terme, mais aussi de réminiscences gréco-latines, c'est-à-dire dans l'esprit du XVIIe siècle, de pastiches, d'emprunts plus ou moins malicieux, et d'un genre de « déconstruction » qu'il aurait sans aucun doute soutiré à Jacques Derrida, qu'il admirait beaucoup. Et encore, en disant, cela, nous sommes bien loin de la vérité. L'écriture, la forme, ont des origines solidement ancrées dans la stricte obédience d'un Racine, d'un Boileau, d'un Malherbe. Mais leur « mise en page » le change en quelque chose qui rappelle Lautréamont, Rimbaud, parfois Byron et Maïakovski. Aragon, bien sûr, mais pas seulement lui. En somme, la poésie est pour lui un jeu, constitué un peu comme les théâtres de la mémoire, avec quelque chose qui serait une scène de théâtre aux scènes innombrables et quelque peu illusoires. Ces OEuvres posthumes se situent bien dans cette optique, car ce second tome ne fait suite à nul premier ! L'ironie et la mystification font partie de cette autobiographie. Les trente lettres qui inaugurent ce volume, sous leur aspect léger, sont en réalité la description d'un état tragique de la pensée de l'auteur, qui se cherche et ne parvient pas à se retrouver ni dans le reflet du miroir, ni dans le travestissement et même le changement de sexe. Le récit qui fait suite ressemble à un compte à rebours partant de l'enfance pour aller jusqu'à l'adolescence. Au lieu de composer un récit linéaire, il a choisi de numéroter chaque moment consigné. La seconde partie de l'ouvrage, « Conversation dans un salon d'amour », est une pastorale (à en croire l'écrivain !). Elle est composée de lettres adressées à un inconnu. C'est une confession. Ce sont des lettres d'amour. C'est une expectative qui redoute les écueils du temps. C'est une lente descente aux enfers. Tout cela dans un esprit qui lui vient du siècle des Lumières, mi badin, mi libertin. Et pourtant, on y décèle un désespoir intense. Le salon d'amour s'est peu à peu peuplé et donc s'est dénaturé. Les jeux galants se teintent d'une angoisse profonde. C'est émouvant, drolatiques et saturé d'une auto ironie cruelle.
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