Olivier Kaeppelin, directeur de la Fondation Maeght, va offrir une véritable apothéose à un peintre à la fois connu et à découvrir. Connu du public français en raison d'un émouvant livre autobiographique récent (Garouste y parle notamment d'un père collaborateur qui volait les biens des Juifs déportés *), à découvrir car l'artiste aime à se cacher derrière des images à la fois bien peintes et parfaitement énigmatiques (En chemin, du 27 juin au 29 novembre à Saint-Paul-de-Vence). Une pensée de Rabbi Nahman de Bratslav est en effet placée en exergue de l'exposition : « Ne demande jamais ton chemin à celui qui le connaît, tu risquerais de ne pas t'égarer. » Nous allons donc être invités à nous égarer dans une oeuvre qui puise son inspiration dans les grands textes littéraires ( Dante, Cervantès, Rabelais ou Goethe) et spirituels (je me souviens avoir vu un ouvrage de Maître Eckhart ouvert à côté de l'un de ses chevalets, dans l'atelier de Marcilly-sur-Eure). Il ne faudrait pas oublier Hergé et Tintin, car on trouvera un tableau intitulé Les cigares du Pharaon ! Nous voulons donc bien croire le dossier de presse quand il nous dit que l'artiste pratique le dérapage esthétique, l'ironie et le dérangement...
Mais nous doutons un peu de la pertinence du même dossier quand il évoque la reconnaissance internationale dont jouirait Gérard Garouste. S'il s'agit de sa place sur le marché mondial de l'art, on constate que le peintre est absent de la liste Artprice des 500 artistes ayant les meilleurs résultats en vente publique. A vrai dire, le désamour entre Garouste et les collectionneurs américains a commencé tôt. En 1988 déjà, après sa troisième (et dernière) exposition à New York chez Léo Castelli, il expliquait à mes étudiants que la cause était la faiblesse de sa production : ne pouvant créer qu'une quinzaine de tableaux par an au maximum, il ne pouvait faire l'objet d'une stratégie de conquête des marchés du type de celle réussie par Léo Castelli en association avec Charles Saatchi pour Julian Schnabel. « Si c'était mon tempérament de beaucoup produire, expliquait-il, ce serait tant mieux, car mon tempérament correspondrait au marché. Mais ce n'est pas le cas. Je continue donc de produire peu, et mon marché n'est pas des plus merveilleux. C'est comme ça et c'est tout. »
Au-delà des dérapages esthétiques et de l'ironie qui ont toujours été les marqueurs de l'art de Garouste, il est arrivé à ce dernier d'expliquer clairement ce qu'est pour lui la peinture. Il l'a fait en particulier dans un texte publié dans Opus International à propos des représentations de Sainte Casilde par Zurbaran (Prado et Collection Thyssen-Bornemiza). On sait que la jeune sainte, admirablement vêtue, nous présente des fleurs. Or selon la légende, Casilde portait en fait du pain aux prisonniers affamés par son père, un roi cruel qui, la rencontrant par hasard alors qu'elle le trahissait, la complimenta sur les fleurs qu'il croyait voir. Miracle ! En somme, en voyant le tableau, commente Garouste, « j'ai été dupé, comme l'a été son père. La peinture est une duperie par excellence... Tout cela m'a conforté dans ma conviction que la peinture est une mise en scène préparée pour tout à fait autre chose. Le tableau s'offre à nous comme un écran opaque, qui détourne notre attention de l'essentiel... » Si nous le pouvons, nous irons cet été nous perdre dans les duperies préparées par Gérard Garouste à notre intention, en admirant son inimitable manière de peindre qu'il a mis au point absolument seul en observant des maîtres comme Zurbaran. « Personnellement, quand j'étais étudiant aux Beaux-Arts, les professeurs étaient incultes, amnésiques, et incapables de parler de l'actualité... Au même moment Anselm Kiefer suivait les cours de Beuys : cela explique bien des choses... »
- L'Intranquille : Autoportrait d'un fils, d'un peintre, d'un fou. Editions l'Iconoclaste. 2009
• - www.fondation-maeght.com
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