L'exposition actuelle de Noël Pasquier galerie Véronique Smagghe (jusqu'au 17 décembre) se présente à nous comme un accrochage élégant composé de quelques pièces de formats variés, accompagnées par une vitrine permettant de rappeler que Pasquier est aussi sculpteur et inventeur d'objets en trois dimensions. Ce n'est pas une rétrospective, mais une séduisante anthologie des travaux d'un artiste qui oeuvre depuis un demi siècle. On pense immédiatement au jugement du grand spécialiste de l'art abstrait, Marcelin Pleynet, qui écrivait naguère : « Ce qui incontestablement séduit et surprend lorsque l'on se trouve en présence d'un ensemble d'oeuvres de Noël Pasquier, c'est la variété, l'ampleur et la diversité des formes, du vocabulaire formel, qui constituent la partition, le clavier plastique de sa détermination artistique. » Il n'y a pas un mot à changer : à travers les péripéties de la vie du monde de la peinture, Pasquier est resté fidèle à sa manière d'affronter l'écran de la toile.
Profondément abstrait, il n'a rien emprunté au néo-expressionnisme allemand des années 60, rien à la bad painting, rien à la transavantgarde. Souvent présent aux Etats Unis (il est représenté par deux galeries new-yorkaises), il a observé avec intérêt, mais sans s'y engager, le minimal art ou le land art. Bref, il a toujours été, comme il est aujourd'hui, un des représentants importants de l'abstraction de l'Ecole de Paris. A propos de Pasquier, de quelle abstraction parle-t-on ? Pour m'en approcher, j'évoquerais volontiers Delacroix. D'où vient qu'aujourd'hui nous nous moquons de savoir si ce sont bien des soldats de Dieu qui entrent à Constantinople, alors que nous tenons « L'Entrée des Croisés » pour une oeuvre essentielle ? C'est que Delacroix est d'abord un peintre de la touche revendiquée contre Ingres comme un des moyens spécifiques de la peinture. S'il cède apparemment aux conventions de l'époque, c'est pour être plus libre de capter les secrets de la matière peinte, porteuse d'une mémoire qui n'appartient qu'à elle.
Eh bien, chez Noël Pasquier aujourd'hui, c'est pareil : la touche est essentielle. Avec elle, ses tableaux entretiennent d'étranges relations avec le temps, qu'il s'agit, non pas de représenter, mais d'intégrer. Bien sûr, l'amateur reconnaîtra ici une chute d'eau en « bleu Pasquier » (Cascade, 2020, mixte sur toile 55 x 38 cm), là une averse (Pluie d'été, 2000, mixte sur papier, 30 x 30 cm), mais ce n'est pas vraiment l'essentiel. Chez Pasquier, si légère que soit la matière, elle ne se réduit ni à ce que, parfois, elle peut représenter, ni à ses composants chimiques. Chez lui, la peinture renvoie plutôt à l'idée que Bergson se faisait de la matière qui, ramenée à ses éléments premiers, tend à n'être « qu'une succession de moments infiniment rapides qui se déduisent les uns des autres. » Tout tableau de Pasquier, même Sable gris (1995, mixte sur papier) présent à l'exposition, est ainsi : une matière faite d'une suite de moments. D'où son incontestable pouvoir de séduction.
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