André Velter est connu comme l'un des plus importants poètes de langue française. Son dernier livre, qu'il ne désigne pas comme un poème (cela lui arrive : Au cabaret de l'éphémère, Gallimard, 2005, n'était, lui aussi, ni poème, ni roman, ni essai, ni récit...) son dernier livre demande au lecteur d'atteindre la page 121 pour lui donner la clef de son titre. Il s'agit d'un fragment de la correspondance de Rimbaud : « Pour moi je compte quitter prochainement cette ville-ci pour aller trafiquer ou explorer à mon compte dans l'inconnu... » Velter commente : J'avoue qu'en choisissant le titre de ce livre, Trafiquer dans l'infini, j'avais assez précisément en tête, sans la moindre connaissance des mots retranchés d'Arthur, que je m'aventurais là pour explorer à mon compte, loin de tout commerce, mais par désir d'extension amoureuse et sans frein de l'inconnu, jusqu'aux rives extrêmes de l'infini. » Naturellement, on ne résume pas un livre d'André Velter. Tout au plus peut-on relever les signes d'une préoccupation particulière : dans une allusion à Marguerite Yourcenar par exemple, quand elle écrit que « Aribaze est pour moi plus beau que la beauté » ou quand il évoque (p. 106) « la rive de la beauté conquise » ou encore quand il parle (p. 42) de « la beauté d'une femme que l'on disait sans rivale sur terre ». Bref : le poète pense à la beauté, et l'on comprend pourquoi ses « onze fugues immobiles » on été écrites avec son ami François Cheng.
C'est François Cheng qui témoigne : « dans la durée qui habite une conscience, la beauté attire la beauté, en ce sens qu'une expérience de beauté rappelle d'autres expériences de beauté précédemment vécues, et dans le même temps, appelle aussi d'autres expériences de beauté à venir. » Il me semble que le créateur André Velter dont je fréquente les livres depuis trente ans fonctionne ainsi. Comme Cheng en tout cas, il se situe dans la ligne de Baudelaire cité par son ami : « Car c'est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage/ Que nous puissions donner de notre dignité/ Que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge/ Et vient mourir au bord de votre éternité ! » François Cheng explique que le poète, ici, rend hommage aux grands peintres de son temps. André Velter n'y manque pas à son tour, qui guette l'idée de beauté chez certains artistes dont il est particulièrement proche.
Ce sont par exemple, sous la plume de Velter, « les marches de Velickovic » dont voici la troisième strophe (dans Du Gange à Zanzibar, Gallimard, 1993) : « Ni haut / ni bas / le décor / est une fresque en flammes / un ciel opaque / un arbre mort / comme si le destin / en égarant ses signes / avait trouvé sa couleur d'amnésie / son élan de blasphème / et de fin ajournée. » Dans Au cabaret de l'éphémère, André Velter pense aux portraits d'Artaud et de Van Gogh dessinés par Ernest Pignon-Ernest : « Il est des êtres troués, troués par tout le corps du fond des yeux au fond des os et par un cri plus grand que leur bouche écorchée... » Le cinquième poème de L'AURA DES CHOSES est dédié à Zao Wou-KI, dont on retient une simple strophe : « C'est un volcan de lumière / qui laisse en marge sa mémoire / pour être bloc de présent / dans la distance abolie. » Oui, André Velter est poète, un poète qui traque les étincelles de beauté dans les oeuvres de ses amis artistes. « Poète, écrit-il, par l'écorce des arbres / par la mort endormie / par la migration hasardeuse / des papillons du Ventoux » Pour moi, nul doute que ces papillons viennent du jardin de René Char qui vivait non loin du Ventoux. René Char, un autre ami d'André, un autre grand poète. (Gallimard, 132 p., 15 euros)
J.-L. C.
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