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[verso-hebdo]
16-02-2023
La chronique
de Pierre Corcos
De merveilleux cauchemars
En général les figures qui émergent spontanément de la main créatrice échappent aux codes esthétiques, aux canons du Beau et aux principes de la communication. Sauvages, criantes, rebelles, farouches, elles évoquent des images de mauvais rêves, de cauchemars. Mais dans le même temps, leur surgissement fluide et comme par enchantement les associe au merveilleux... Un certain nombre de créateurs, dépouillés de leur livrée esthétique ou ne l'ayant jamais eue, se présentent nus et innocents aux carrefours périphériques de l'art brut, de l'art naïf et de l'art populaire, sans guetter la moindre reconnaissance.
Ils restent pour la plupart ignorés, jusqu'à ce que des collectionneurs s'entichent de ces créations hors-normes, les rassemblent parfois en un lieu marginal devenant une sorte de réserve où se conserveront dans leur folie amniotique ces espèces surprenantes, bizarroïdes, extraordinaires... Ce fut le cas de la Fabuloserie à Dicy, une maison et un jardin musées ouverts il y a juste quarante ans par Alain Bourbonnais, architecte et collectionneur acharné, avec son épouse, de ces oeuvres éminemment singulières. L'endroit idéal pour célébrer ce quarantième anniversaire reste évidemment la Halle Saint-Pierre à Paris qui, jusqu'au 25 août, nous propose de découvrir sur deux niveaux une bonne part de cette fabuleuse collection.

Voici donc une bonne cinquantaine de ces créateurs hors-normes, présentés ici avec une notice qui nous renseigne sur leur démarche et, c'est très important, sur leur vie. Alors, s'il fallait trouver un point commun à toutes ces individualités, on pourrait dire qu'il ne s'agit nullement pour elles de rejoindre le monde, le milieu de l'art mais plutôt, échappant à leur condition ou à leur métier, de suivre, habitées par leurs délires et obsessions, leur chemin créatif. Un chemin ô combien solitaire et escarpé ! Ce qu'arrivent à nous rendre, par leur présentation et leurs commentaires, les commissaires d'exposition, Sophie Bourbonnais et Martine Lusardy, c'est justement la solitude immense de celles et ceux qui n'appartiennent à aucun milieu de référence : ni professionnel ni artistique. Ils évoluent seulement dans le monde étrange qu'ils ont eux-mêmes créé... Ce monde est loin d'être socialisable ! Et plus précisément - dans le cas de ces productions atypiques - vendable. Déjà, les matériaux et médiums utilisés ne correspondent pas vraiment à la panoplie classique ou contemporaine des Beaux-Arts, de la peinture à l'huile au numérique. Ainsi, et pour ne citer que ces exemples, Paul Amar travaille avec des coquillages peints au vernis à ongles, Denise Aubertin avec des... livres cuits, Michèle Burles avec fil et couture, Philippe Dereux avec des épluchures, Marcel Landreau avec des cailloux, Fernand Michel avec des plaques de zinc, Michel Nedjar avec des poupées, François Portrat avec des tessons... Bref, un immense bric-à-brac dont aucun matériau n'est a priori exclu pour ces oeuvres au transport et à la conservation problématiques. Après les matériaux les manières. Elles peuvent tout à fait être répulsives pour l'amateur d'art et le galeriste traditionnels. Voici des formulations outrancières ou kitsch ou enfantines ou supposées « maladroites » qu'ils associeront à de l'anesthétique, voire de l'inesthétique. Pour aggraver l'affaire, les concepts et les protocoles de l'art contemporain sont totalement absents de cette collection hétéroclite. Enfin les thèmes que l'on trouve illustrés dans cette Fabuloserie ne visent en rien à séduire un potentiel client. Le regard autocritique, qui peut en bonne partie être de la norme sociale et esthétique (ou la présence d'autrui) intériorisées, semble pour ces créateurs autarciques absent.

Mais les aspects anticommerciaux et même asociaux de ces oeuvres restent leur chance, leur privilège, leur exception dans un monde capitaliste où tout s'évalue par son prix, et consumériste où tout s'estompe, se vaporise dans l'obsolescence accélérée des modes. Lorsque dès 1972 à Paris d'abord, à l'Atelier Jacob, puis à Dicy en Bourgogne, Alain et Caroline Bourbonnais commencèrent, dans le sillage de Jean Dubuffet (avec lequel Alain entretiendra une correspondance régulière dix années durant), cette collection d'« art hors-les-normes », ils savaient sans doute qu'ils construisaient un hâvre protégeant ces fragiles créations à la fois de la négligence destructrice et de l'incohérente dispersion. Les commissaires d'exposition nous rappellent que « pour ces hommes du commun habités par une force créatrice irrépressible, Alain Bourbonnais voulait « un temple du rêve, de l'imagination, de l'émotion » où tout est étrange, surprenant, isolite ».
Mais notre collectionneur (lui-même créateur) a sans doute fait plus que ça : sa Fabuloserie reste aussi un exemple - à défaut d'être le modèle - d'un autre rapport à l'art, à la création et qui ne cesse d'ébranler ses normes. En effet, l'opposition amateurs/professionnels, laideur/beauté, détritus/matériaux nobles, folie/santé mentale s'en trouvent heurtée, sapée, déconstruite un peu comme ces châteaux de sable que la mer est venue ruiner. Dans Prospectus aux amateurs de tout genre, Jean Dubuffet écrivait : « L'homme écrit sur la sable. Moi ça me convient bien ainsi ; l'effacement ne me contrarie pas ; à marée descendante, je recommence ».
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
16-02-2023
 

Verso n°136

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