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[verso-hebdo]
09-02-2023
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Vieira da Silva, l'oeil du labyrinthe, sous la direction de Guillaume Theulière & Naïs Lefrançais, Musée Cantini, Marseille / musées de Dijon, Editions In fine, 256 p., 35 euro.

Née à Lisbonne ne 1908, Maria Helena Vieira da Silva est décédée à Paris en 1992. Elle a été attirée par le dessin dès sa plus tendre enfance. Dès qu'elle a pu, elle s'est rendue à Paris en 1928 et a pu travailler sous la direction de Fernand Léger et d'Henry de Waroquier et elle a aussi suivi les cours de sculpture d'Antoine Bourdelle. Un sujet la fascine : la ville. Elle n'a de laisse de parcourir des rues, du survoler des toits, d'aligner des fenêtres, sans pour autant choisir une école de peinture. Elle est sans doute moderne d'esprit, mais elle ne souhaite pas figurer dans tel ou tel courant d'avant-garde. Elle se caractérise, au début des années trente, par une grande sobriété et un sens de l'ellipse spéculaire.
Que ce soit une petite chambre ou un phare à l'entrée d'un port, une nature morte, un lit, elle épure et travaille avec très peu de couleurs. Ce dépouillement la met sur la voie d'un cubisme bien à elle, qui ne cherche pas retrouver l'esprit des pionniers de cette manière d'appréhender l'art pictural. Elle s'essaye à plusieurs formules qui ont toutes en commun la simplicité dans l'expression avec parfois un doigt de naïveté (mais sans jamais accentuer trop cette tendance). Il y a cependant une main ferme qui conduit son pinceau, mais si le style n'est pas encore tout à fait défini. Il y a chez elle une profonde modestie et, en même temps, une véritable ambition, qu'elle ne tient pas à trop montrer. C'est dans cette tension paradoxale qu'elle avance dans sa réflexion sur la peinture. Vers 1936, elle passe à des compositions plus compliquées, où lignes et plans s'entrelacent, mais le plus souvent dans une perspective architecturale. Mais elle se libère alors des grands principes de la figuration.
Cela l'entraîne à se rapprocher quelque chose de quasiment abstrait, comme on le constate dans Les Lignes (1937). Un an passe, et elle choisit un autre genre de trame, qui est celui d'une tapisserie sans sujet, rien que des assemblages géométriques de formes colorées. Cette période ne dure pas, et la voici qui revient à une figuration très libre pendant les années de guerre. Elle ne s'arrête toujours pas à une écriture formelle bien solide. Elle hésite, elle tâtonne. En 1942, elle achève un tableau baptisé Le Désordre, où des hommes qui ont l'allure d'ouvriers s'activent autour d'énormes structures chancelantes. Ainsi s'est-elle interrogée sur sa vision de l'urbanisme et, plus généralement, sur les entreprises forcenées des hommes de son temps. Quel que soir son point de départ, le sujet choisi, la facture formelle, elle a tendance déjà depuis quelques années à traduire l'espace de ses compositions par des enchevêtrements compliqués, en somme par deux entrelacs labyrinthiques. La guerre achevée, elle reprend le thème de la cité et en exploite l'ordre linéaire avec plus de fermeté. Elle aboutit à une pure abstraction.
Elle valorise des constructions touffues avec des carreaux ou des lignes effilées. C'est à ce moment là qu'elle élabore ses cathédrales et surtout ses bibliothèques. Alors que s'impose l'abstraction de l'Ecole de Paris, elle est parvenue à travers son chemin en toute indépendance et aussi à se faire un nom. De plus, elle ne s'arrête toujours pas à une formule immuable. Elle ne c esse de décliner son écriture plastique en ayant grand soin de lui attribuer une grande et profonde poésie (il ne faut pas s'étonner que René Char ait écrit sur ses travaux très tôt). Au fil des années, elle a souvent tendance à élire le blanc comme clef de ses agencements. Elle n'en fait cependant pas une règle. Cette rétrospective est magnifique et nous remet en mémoire le parcours d'une grande artiste dont on ne se souvenait plus que d'une poignée d'oeuvres.




Rêve d'Egypte, collectif, musée Rodin / Editions in fine, 194 p., 35 euro.

L'existence et l'oeuvre d'Auguste Rodin ( 1840-1917) ont donné naissance à une multitude de livres et de catalogues. Il n'est as un aspect de sa création qui n'aient pas été examiné à la loupe et les diverses influences que le grand sculpteur a pu assimiler ont donné lieu à des expositions innombrables. Mais il faut admettre que sa relation personnelle à 'art égyptien n'a pas été beaucoup mise en avant. Il faut dire qu'il a commencé à collectionner les oeuvres égyptiennes qu'au crépuscule de sa vie, au début des années 1890. La campagne de Bonaparte en Egypte a fait naître une mode qui a laissé une marque profonde à Paris et a aussi été une des caractéristiques du style empire.
Les fontaines que Napoléon a fait construire (celle du Châtelet, celle dite du fellah rue de Sèvres) a fondation de salles réservées aux antiquités égyptiennes au musée du Louvre, décorées par Abel de Pujol, la grande colonne qui orne toujours la place de la Concorde, offerte à la France par le vi-roi d'Egypte Mehmet Ali en 1831 et érigée en 1833, sans oublier le tour de force de Champollion qui est parvenu à percer le mystère des hiéroglyphes, tout cela fait que l'Egypte des pharaons a tenu une place de choix dans les musées et dans les collections privées. L'honnête homme du XIXe siècle a dû placer l'art égyptien sur le même plan que l'art grec ou l'art romain. Rodin se prend de passion pour ces statues et ces temples au terme d'un parcours qui l'avait amené à réaliser Le Penseur et La Porte de l'Enfer. Il vient aussi de passer quasiment toute une décennie à élaborer Les Bourgeois de Calais (1881-1889). Il ne faut cependant ne pas oublier qu'il a produit un grand nombre de pièces, dans un bouillonnement incessant, explorant bien d'autres chemins. C'est d'ailleurs quand son regard se pose sur les formes de cette Egypte où les archéologues s'activent avec acharnement, qu'il a commencer à exécuter tous ces merveilleux dessins polychromes.
Sa collection ne cesse de s'accroître et sa façon de considérer ces objets millénaires se modifie sans cesse. Il est évident qu'il a été frappé par les séries impressionnantes qui ornent l'entrée des temples et aussi par l'économie formelle qui est de mise dans les codes esthétiques des anciens Egyptiens. Ce qui frappe le plus dans les choix qu'a pu faire Rodin, c'est qu'il n'a que rarement fait le choix de pièces ayant un aspect monumental : elles sont en général d'une grande simplicité et rendent les formes humaines avec des moyens très purs et presque abstraits. Il y recherche sans doute un langage épuré, mais néanmoins en mesure de restituer toutes les subtilités du corps. On a le sentiment qu'il en quête d'un éloignement de traités savants d'anatomie pour aller vers une symbolisation des formes.
Je dois souligner que déjà depuis un certain temps, les peintres ont puisé dans les xylographies japonaises des instruments plastiques pour restituer la réalité avec un dessin simplifié et une perspective raccourcie dans le but de donner plus de force et de liberté dans le rendu des paysages et des figures. Rodin poursuit une finalité assez analogue avec ses statuettes égyptiennes, d'autant plus qu'il doit prendre en ligne de compte le volume, qui place la sculpture dans un rapport circulaire, car le spectateur doit pouvoir la contempler de tous ses côtés. Ce que nous enseigne cette belle et instructive exposition, c'est qu'il est hanté par l'idée de pousser son art jusqu'à une autre formulation, bien loin du réalisme qui se trouve au fondement de sa conception. Le catalogue nous révèle une facette peu connue d'Auguste Rodin et s'avère un instrument formidable pour décrypter cette phase de sa vie qui se situe une fois ses oeuvres les plus célèbres exécutées. Je ne peux m'empêcher de faire un parallèle entre le Monument à Balzac qui se trouve dans les jardins de son musée à Paris ou qui se dresse boulevard Raspail depuis 1939 : on comprend que l'artiste a voulu exprimer l'esprit du grand écrivain par des traits simples et puissants, en faisant l'alliance entre une représentation intime (le peignoir) et une expression volontaire et universelle. Cette sculpture qui est à mes yeux une de ses plus superbes chefs-d'oeuvre, tirant une de ses sources de cette passion tardive pour a statuaire égyptienne (rappelons qu'il a été pensé et réalisé entre 1891 et 1897, l'idée ayant été lancée par Alexandre Dumas). Ce qui prouve qu'il nous reste toujours quelque chose à découvrir des maîtres qui ont été scrutés sous toutes les coutures.




Voyage au pied du mont Fuji, Hokusai, collection Georges Leskowicz, musée des arts départemental de Nice musée départemental des arts asiatiques, Nice / Editions in fine, 160 p., 29 euro.

Katsushika Hokusai (1760-1849) est sans nul doute le xylographe japonais le plus célèbre en Occident. De surcroît, il a produit un nombre d'oeuvres considérable, dans des veines parfois différentes et a traité tous les sujets possibles et imaginables en son temps. Il a donc été de ceux qui ont profondément influencé l'art en Occident à l'époque de l'impressionnisme. Il convient toutefois de préciser que la réciproque est vraie et, comme ses contemporains, il a été influencé par l'art européen. Mais qu'on ne croit pas que les Japonais ont imités leurs homologues occidentaux, pas plus que Claude Monet ou Vincent Van Gogh ont imité ces graveurs orientaux de l'ère d'Edo. Chacun a trouvé dans l'art des autres des suggestions pour faire progresser leurs recherches plastiques.
Cette vaste collection d'estampes de Georges Leskowicz , dont on ne découvre ici que celles réalisées par Hokusai, fait valoir que l'art du paysage en à cette époque en pleine transformation sous l'impulsion d'au moins deux générations de créateurs. Le grand intérêt de cette exposition et donc de ce catalogue, c'est de nous faire connaître l'essentiel de ce que Hokusai a voulu faire dans le domaine du paysage au début du XIXe siècle d'une part en réalisant plusieurs séries de planches polychromes des Vues du Tokaido (le Tokaido est la grande route de la mer de l'Est, sujet déjà classique à cette époque) et, de l'autre, en gravant les Trente-six vues du mont Fuji (1831-1834) autre sujet classique parmi tous. Ce qui frappe dans sa traduction de la nature, c'est qu'il n'a pas hésité à faire usage de grandes places colorées en n'utilisant qu'une teinte, son goût pour la perspective aérienne (mais pas de façon systématique), la mise en exergue de certains détails.
Si l'on examine de près chacune de ses compositions, l'on se rend compte qu'elles ont en commun un traitement stylistique, une « écriture », une très grande abstraction linéaire (ce qui n'empêche pas l'apparition de nombreux détails en ce qui concerne la végétation, les oiseaux, les voyageurs, les traits distinctifs des saisons), et l'on s'aperçoit aussi qu'il a tenu à marquer des différences notables entre chacune de ses oeuvres. Son univers se révèle d'une richesse inouïe alors que sa manière d'envisager le paysage implique une vision nouvelle. Cet homme qui a passé les décennies de sa jeunesse à imiter scrupuleusement ses aînés et même ses contemporains (ce qui, au Japon, n'était pas un défaut et parfois la marque d'une qualité méritoire). Son habilite extrême à conjuguer un rendu réaliste et un rendu « abstrait » est absolument remarquable, tout comme sa façon de placer en exergue un arbre, le toit d'une maison campagnarde, un pont, etc. Il était à la recherche d'une beauté qui soit à la fois celle de ses sujets (d'autant plus le mont Fuji, qui a une nature divine), et qui soit celle qu'il est le seul à pouvoir transmettre par ses coups de burin et les dix couches des teintes qu'il a retenues et qui sont appliquées les unes après les autres.
La Vague, qui est incontestablement son oeuvre la plus célèbre et aussi la plus aimée, est l'expression de cette duplicité dans son dessin, mêlant simplicité et sophistication, force de l'ensemble et charme des détails. S'il n'est en rien réaliste dans ce cas, il permet toutefois au spectateur de prendre toute la mesure de l'essence d'une haute vague. Ce catalogue est utile pour les visiteurs, mais représente une magnifique initiation au traitement du paysage dans le Japon des Tokugawa et une première et profonde approche de la gravure de Hokusaï.




Intensités, 12 artistes aujourd'hui, Yannick Mercoyrol, L'Atelier contemporain, 224 p., 25 euro.

L'auteur fait débuter son ouvrage sur des considérations relatives à la relation entre l'écrit et l'objet de l'écriture (en l'occurrence une oeuvre d'art). Ce petit discours préliminaire ne nous apprend rien à ce sujet. Il aurait mieux fait d'expliquer la raison profonde de ses choix, et aussi ce qui l'a conduit à élire ces douze artistes. Il se réfère à Roland Barthes et associe le plaisir de l'écriture au discours amoureux. Pourquoi pas ? Mais cela ne semble pas suffisant à mes yeux pour légitimer une recherche par l'écrit, aussi passionnée soit-elle. Le premier des créateurs élus est Paul Rebeyrolle (1926-2008), qui a été un grand iconoclaste, mais qui a aussi préservé la relation étroite avec la perception du réel. Yannick Mercoyol a donc choisi, pour commencer son parcours un peintre très connu et qui a été considéré comme un de ceux qui ont su métamorphoser la peinture avec une indéniable originalité et même une audace rare.
Ceux qui suivent me sont inconnus. Vient en premier Guillaume Bruère, qui semble préférer travailler plus le dessin que la peinture et qui se révèle une belle trouvaille. Lydie Arrickx, que je connais un peu et sur qui il a eu tendance à s'étendre longuement, mais en suivant les règles d'un abécédaire mettant en relief tous les aspects de ses spéculations plastiques. Viennent ensuite des artistes de style et d'esprit différent que je découvre : Alexandre Hollan, Tatiana di Borgo, qui a peint des citrons qui rappellent un peu Giorgio Morandi (mais la mise en espace est assez différente du maître de Bologne), Bae-Bien-U, Kölchi Kurita, qui réinvente une sorte de Minimal Art avec des carrés de différentes couleurs mais d'une dimension identique, alignés au sol.
Dans une partie finale intitulée « Placer/déplacer », on rencontre Philippe Cognée, bien connu des amateurs, François Weill, Georges Rousse, qui a eu son heure de gloire, Susumo Shinguet enfin Jérôme Zander. C'est un bon outil pour parvenir à s'immiscer dans ces univers. Je regretterai seulement qu'il y ait aussi peu de reproductions, surtout quand le personnage traité n'est pas connu du lecteur. Mais cette suite d'études est pas mal menée et mérite notre attention.




Comme un commun, Camille Saint-Jacques, préface de François Pernoud, L'Atelier contemporain, 260 p., 25 euro.

Né en 1956, Camille Saint-Jacques, ne s'est pas limité à la peinture. Il a enseigné le français et l'histoire, créé en 1992 un périodique, Le Journal des expositions, et a écrit volontiers sur l'art de son temps. Après la belle préface de François Pernoud, Camille Saint-Jacques nous délivre un ouvrage qui est à la fois un journal, un livre de méditation sur la peinture et sur l'art en général, une sorte d'autobiographie ironique, en somme quelque chose d'inclassable, mais qui, on s'en rend vite compte, a du corps et de la substance. Il est également évident qu'il s'écarte des moeurs artistiques de la fin du siècle dernier. Il se sent d'ailleurs gêné d'appartenir à ce monde où il songe qu'il n'a pas vraiment sa place. Il s'interroge et ce faisant, il nous interroge sur ce que signifie le métier de peindre (on lui a fait remarquer à plusieurs reprises qu'il était le représentant de cette fin annoncée de la peinture. Il n'y a pas une solution de continuité dans ses écrits, ni d'un point de vue chronologique, ni d'un point de vue théorique. Il laisse vagabonder sa pensée, mais sans pourtant s'abandonner à l'errance.
En fait, son regard est perçant et ses observations sont bien affutées. Il fait aussi état de ce qu'il vit quand il peint -, les déchirements, les hésitations, les doutes, les intuitions qui nourrissent sa réflexion au fur et à mesure que s'élabore l'oeuvre. Mais il ne cherche pas à expliquer ce qu'il fait, mais plutôt à nous relater le ressenti de ce moment où il en est venu à concevoir un objet esthétique, avec toutes les contradictions que cela implique. On ne peut que saluer son écriture, qui est en même temps simple et porteuse d'une réflexion qui paraît être la clef de voûte de son aventure intérieure. C'est donc là un livre précieux et rare car il mélange réalité et fiction, la mémoire et le sentiment de l'instant vécu, mais surtout ce qui se révèle un cheminement périlleux, qui n'aboutit pas nécessairement à l'accomplissement souhaité. Ce qui le différencie de tant de peintres ou de sculpteurs d'aujourd'hui, c'est qu'il ne forge pas son propre monument posthume. Il se limite à décrire toutes les difficultés - et parfois les bonheurs qui accompagnent la réalisation de ses fantasmes esthétiques. On ne s'ennuie pas une seconde et, mieux, on est charmé par son récit. C'est sans nul doute l'ouvrage le plus intéressant de ces dernières décennies en ce qui concerne le processus de la création que j'ai pu lire en France.
Gérard-Georges Lemaire
09-02-2023
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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Christophe Cartier au Musée Paul Delouvrier
du 6 au 28 Octobre 2012
Peintures 2007 - 2012
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D'une main peindre...
Préface de Jean-Pierre Maurel


Christophe Cartier

"Rêves, ou c'est la mort qui vient"
édité aux éditions du manuscrit.com