Hans Hartung, Musée d'Art moderne de la ville de Paris, 272 p., 44, 90 euro.
Vous direz, avec raison, que cette exposition de Hans Hartung a eu lieu à partir de la fin de l'année 2019. Mais elle s'est déroulée en partie lors du début de cette épidémie qui a été une véritable catastrophe. Hartung (1904-1989), né à Leipzig, fils de médecins, il a montré très tôt des dispositions pour le dessin (dès l'âge de six ans). La famille s'installe à Bâle en 1912 et y demeure deux ans. Il fréquente ensuite le lycée de Dresde et se passionne pour la peinture ancienne. Il choisit l'abstraction en 1922. Il poursuite des études de littérature et d'histoire de l'art à Leipzig entre 1924 et 1926. En 1925, il s'inscrit à l'Académie des Beaux-arts de Dresde. L'Exposition internationale qui a lieu dans cette ville lui permet de découvrir les oeuvres impressionnistes, mais aussi le cubisme. Il entreprend des voyages dans les pays voisins de l'Allemagne. Il décide alors d'aller s'installer à Paris. Il s'inscrit à la Sorbonne (où il dit n'être jamais allé) et entre dans deux ateliers, celui de Fernand Léger et celui d'André Lhote. Il est plutôt déçu par leur enseignement. Il se rend souvent au Louvre pour y faire des copies des maîtres anciens (dont Le Greco) et fréquente les galeries, en particulier celle de frères Rosenberg. Il est littéralement fasciné par les tableaux de Pablo Picasso.
En 1929, il épouse Anna-Eva Bergman, artiste norvégienne. Le couple décide de vivre aux Baléares. Hartung voyage en Belgique et aux Pays-Bas. En 1935, il décide de retourner en Allemagne. Il y est arrêté par la Gestapo à Berlin pour avoir fréquenté des amis juifs. Il décide alors de retourner au plus vite en France. Il expose, souvent en compagnie de ses amis - Joan Mirò, Magnelli, César Domela, Jean Hélion, pour ne citer qu'eux. Il expose en 1936 à la galerie Pierre, au Salon des Surindépendants et aussi à la London Gallery en Angleterre. A cette époque, il est encore à la recherche d'une écriture plastique qui lui soit propre. Il développe en secret sa technique de la « spontanéité calculée ». Dès lors, ses compositions sont plus construites. Mais il demeure dans une optique assez proche de ses contemporains, même si on peut y découvrir des éléments qui lui seront caractéristiques par la suite. Il ne leur donne pas de titres, mais un code chiffré.
Il réalise aussi une sculpture noire, qui a des affinités avec Giacometti, Calder et Gonzalez. Il exécute aussi des collages. Il connaît à la fin des années 1930 des difficultés matérielles et est abrité par Adrien Goetz et travaille dans l'atelier de Julio Gonzalez. Il expose par deux fois à Londres en 1938. En 1939, il épouse Roberto Gonzalez, mais est arrêté en tant que ressortissant allemand. En 1940, volontaire, il se retrouve sous les drapeaux en Algérie. Il peint alors des portraits figuratifs ayant des affinités avec Picasso. Puis il revient à ses travaux abstraits avec toujours le souci de leur donner une apparence plus architecturale. Avec l'armistice, il est démobilisé. Il part se réfugier dans le Lot. En 1943, il doit s'enfuir en Espagne. Il est arrêté et interrogé par la police espagnole. Il est alors interné dans un camp. Il parvient à se rendre en Afrique du Nord. Il y devient brancardier. Sérieusement blessé, il doit être amputé d'une jambe à la fin de 1944. On lui accorde la nationalité française à la fin de la guerre et il reçoit la légion d'honneur en 1952.
Les critiques commencent à s'intéresser à ses recherches, comme Charles Estienne. Les collectionneurs suivent ses expositions. Il faut dire qu'il enfin trouvé son langage, avec ces grands traits verticaux qui peuvent sembler parfois une calligraphie rageuse. Il n'aura de laisse de décliner ce principe, ne cessant d'introduire des éléments nouveaux ou encore à introduire des variations notables. Mais son style est aussi sa signature. L'imposant catalogue publié par le MAMVP nous fournit l'opportunité de reconstruire sa carrière dont la cohérence n'a jamais été perturbé par les événements dramatiques qui ont ponctué son existence. Accompagnant une exposition rétrospective remarquable, il décrit avec beaucoup de science et de nombreux documents le parcours d'un homme qu'aucun obstacle n'a pu éloigner de son rêve pictural.
L'Artiste du Beau, Nathaniel Hawthorne, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Alexandra Lefebvre, Editions Allia, 60 p.
Des innombrables nouvelles que Nathaniel Hawthorne (1804-1864), « The Artist of the Beautiful » a été l'une des plus choyées par ses pairs, d'abord par Herman Melville et ensuite par Henry James, deux de ses illustres admirateurs. (Edgar Allan Poe fut au contraire un peu critique à son encontre). Il fait dire que c'est un petit bijou, qui a paru dans les pages de la Democratic Review en 1844, puis est repris dans un recueil en 1846 -Peter Anderson, Les Mousses du vieux presbytère. L'histoire naît de la rivalité qui existe entre deux hommes, Peter Hovenden (qui a une fille, Annie), un horloger à la retraite, et Owen Warland, horloger en exercice, qui s'était mis en tête de réaliser le mouvement perpétuel. Mais Warland ne recherchait pas le mouvement perpétuel. Il était en quête de quelque chose qui était plus important à ses yeux. Il était en quête du beau, ce qui paraissait à ses proches et voisins aussi fou qu'absurde.
Il avait quitté le chemin des choses utiles pour aller rechercher quelque chose des plus subjectives. Les erreurs se dressent sur son chemin, il y a des accidents (dont un provoqué involontairement par Annie), et c'est au prix de gros efforts qu'il est parvenu au terme de son travail acharné. Cela se présentait sous la forme d'un coffret en bois ciselé d'où s'et échappé un papillon. Celui s'était échappé du coeur de l'artiste et ne pouvait plus y retourner. Tout le monde (Hovenden, sa fille, son mari, leur enfant, le forgeron) est forcé de reconnaître la beauté de cette vision réelle et pourtant presque impalpable et éphémère par définition. C'est une fable, qui notifie avec une curieuse précision les limites matérielles et théoriques de cette beauté tant convoitée, insaisissable, et qui pourtant échappe à toute nécessité.
La clé à molette, Primo Levi, traduit de l'italien par Roland Straglisti, « Pavillons poche », Robert Laffont, 304 p., 9, 80 euro.
Primo Levi demeure un cas très singulier de la littérature italienne du XXe siècle. Son premier livre, Se questo è un uomo a paru en 1947 (et a été réédité en 1958) est le récit de ce qu'il a vécu a Auschwitz Monowitz. A la fois Juif et partisan, sa profession de chimiste l'a sauvé de l'anéantissement : il a alors travaillé pour la manufacture de caoutchouc synthétique de la Buna dont les Allemand avaient un besoin pressant pour leurs équipements militaires. Quand il a tenté de proposer aux éditeurs de son pays le manuscrit de Si c'est un homme, il va de refus en refus. N'ayant aucun passé littéraire, on n'a pas jugé utile de faire paraître ce témoignage remarquable de ce qu'a été ce camp de la mort. Levi y a décrit, presque de manière scientifique, le fonctionnement d'un tel camp d'extermination, n'y introduisant que très peu d'émotion (ce qui n'était pas le cas dans la première version de l'oeuvre). Pour lui comptait seulement que le lecteur comprenne bien comment les choses se passaient avec une précision sans défaut.
Le livre, malgré les éloges d'Italo Calvino, est loin d'épuiser son premier tirage. Le retour en Italie a été pour lui difficile, après un incroyable voyage dans toute l'Europe qu'il a dépeint avec pas mal de verve et d'humour dans La Trêve. Il finit par trouver une place dans une société de peinture et de verni, la DUCO. Fin 1946, il a terminé la rédaction définitive de on premier vrai livre. Seul Franco Antonicelli se propose de le publier avec un tirage de 2.500 exemplaires ! L'année suivante, il se met à son compte et épouse Lucia Morpurgo (dont il a eu deux enfants). Il entre ensuite dans la société de Frederico Accatti (SIVA), dont il devient le directeur technique en 1950. Ce n'est en réalité » qu'en 1961 qu'il débute sa carrière littéraire avec la publication de La tregua qui lui vaut le prix Campiello. Il commence à collaborer au grand quotidien La Stampa. En 1965, il publie un recueil de poèmes, L'osteria di Brema. Il achève aussi un livre de caractère scientifique, Le Système méthodique, qui a aussi un aspect autobiographique. En 1978, il signe son roman le plus curieux, La Clé à molette. Il s'agit d'un dialogue amical entre deux hommes qui sont allés travailler en Russie (Basse Volga) à la construction d'une grande infrastructure.
Le premier des interlocuteurs est un jeune constructeur, Faussone, et le second, un spécialiste de la chimie, n'est autre que l'auteur. S'il a tenu à décrire la rencontre entre le monde du travail et celui des intellectuels, il a aussi fait l'éloge dans ce roman du travail, comme mode de rédemption de l'être humain. Ce dernier aspect a été assez mal reçu par les milieux de gauche italiens. L'aspect le plus curieux de ce roman est qu'il dresse un panorama d'un chantier important, avec un incroyable luxe de détails. Mais aussi qu'au grès de cette conversation, il glisse des réflexions qui sont éloignée du sujet principal : par exemple, il expose ce qu'il pense du métier d'écrivain. Ce livre est bien étrange, mais il véhicule la pensée de Primo Levi, ce qui est loin d'être indifférent. Cela lui a d'ailleurs valu le prestigieux prix Stresa.
Au nom des miens, Nina Wähä, traduit du suédois par Anna Postel, « Pavillons », Robert Laffont, 500 p., 22, 90 euro.
Cet ouvrage suédois écrit par Anna Wähä (née en 1979) fait songer aux grands feuilletons du XIXe siècle. Le récit s'étire en longueur, convoque une foule de personnages, ne cesse de faire rebondir l'intrigue, distille une vision particulière de la société suédoise d'il y a cinquante ans. L'écriture n'est pas classique, mais ne succombe pas non plus à un excès de modernité. Ces pages se déroulent avec une fluidité sans le moindre accroc. C'est absolument exemplaire en son genre. L'histoire proprement dite est celle d'une jeune femme qui a grandi dans le Nord du pays, dans la Tornèdalie, au sein d'une famille très nombreuse (l'héroïne, l'aînée de la fratrie, a onze frères et soeurs !). Elle était partie à Stockholm et là, elle était tombée enceinte. Mais n'ayant aucune perspective d'un futur avec son compagnon, elle décida de se faire avorter.
Quand débute le roman, elle est de nouveau enceinte et cette fois, elle veut garder l'enfant. Elle part dans sa famille, les Toimi, où chacun tente de faire valoir sa spécificité. Elle y retrouve tous les problèmes qu'elle avait laissés derrière elle. L'habilité de l'auteur est d'avoir su faire s'entrecroiser tous ces destin sans qu'on se perde dan un labyrinthe. C'est à la fois un roman familial et le « portrait » d'une certaine société bien éloignée du pays qu'on imagine si moderne et si exemplaire. L'autre personnage clef (mais absent) de cette histoire est le père, qui était un individu d'une grande brutalité. Il faut reconnaître à l'auteur un certain talent à construire ses intrigues, mais aussi une certaine faiblesse du point de vue littéraire. On apprend que ce livre a connu un grand succès en Suède. Mais cela n'en fait pas, hélas, un chef-d'oeuvre, loin s'en faut. On retiendra surtout la description de cette face très cachée, plutôt sombre et tragique de la vie en Suède.
Le Jour où mon grand-père a été un héros, Paulus Hochgatterer, traduit de l'allemand (Autriche) par Barbara Fontaine, « Bibliothèque étrangère », Mercure de France, 200 p., 15 euro.
L'auteur nous fait remonter dans le temps, jusqu'aux fêtes de Noël en 1944. Nous sommes dans une région paisible de l'Autriche où apparaissent soudain dans le ciel des avions alliés - des bombardements ont lieu dans les alentours. Et les armées russes approchent. Nous faisons la connaissance d'une famille de fermiers, avec le couple et leurs cinq enfants ainsi que le grand-père. Nous découvrons ensuite leur univers, alors que l'inquiétude gagne lentement les esprits des habitants du village. Et pas seulement l'inquiétude : tout le monde se met à être soupçonneux. Un prisonnier russe, ancien étudiant en art, enrôlé en 1941 dan l'Armée Rouge, qui a réussi à s'échapper, Mikaïl, est venu trouver refuge chez ces gens, qui acceptent de l'héberger. Celui-ci et originaire d'une bourgade aux environs de Minsk. Il passe le plus clair de son temps à dessiner et à peindre. Il se prétend être un suprématiste.
Quand arrivent à Pâques six soldats de la Vehrmacht, qui cherche de la nourriture, le jeune Russe passe devant la cour martiale et est condamné à mort. Mais les tableaux qui ont été retrouvés étaient-ils bien les siens ? Et puis il y a un chapitre qui forme une sorte de parenthèse dans cette histoire où l'on voit trois aviateurs américains en mission ; l'un d'eux est abattu. Il donne naissance à la légende du pilote pendu. En somme, la réalité et l'imaginaire s'enchevêtrent et se contredisent dans ces ultimes moments d'une guerre qui s'est jouée bien ailleurs qu'en ce lieu. A la fin, on assiste à la mise à mort d'un lieutenant qui est destiné à disparaître dans la chaux vive... C'est là une fiction des plus singulières, qui, avec une grande concision et grâce à une écriture tendue, parvient à donner une vision rétrospective de l'absurdité et de l'horreur d'un conflit qui ne concernait quasiment pas les habitants de cette campagne pacifique.
Tu seras un homme, mon fils, Pierre Assouline, Folio, Gallimard, 336 p., 8, 10 euro.
Dans ce nouveau livre, Pierre Assouline retrace un moment clef de l'existence de Rudyard Kipling, auteur désormais célèbre dans le monde entier. Il le fait par le biais d'une fiction : il imagine un professeur de lycée parisien, un grand admirateur, un certain Louis Lambert, qui déclare être un disciple de Stéphane Mallarmé, qui le rencontre dans le Midi de la France, se lie d'amitié avec lui et le prie avec insistance de le laisser traduire son long poème, « Tu seras un homme, mon fils » (qui sera traduit en français par André Maurois). Au bout du premier tiers de l'ouvrage, on découvre le personnage de John, le fils chéri du lauréat du Prix Nobel de littérature en 1907. Il termine alors ses études au Wellington College. Nous sommes en 1914. Il sera affecté aux Irish Guards et trouvera la mort sur le champ de bataille en France. Pour son père, cela a été un choc violent.
En fait, il ne se remettra jamais. La guerre achevée il se rendra dans les cimetière britanniques qui se trouve en France et y effectuera des modifications et des aménagements de manière obsessionnelles. La suite du livre se déroule dans l'imposante propriété du célèbre écrivain. Celui-ce se livre à son jeune interlocuteur français et nous révèle ainsi des pans de sa personnalité. Au bout du compte, on n'entre jamais vraiment dans son oeuvre, mais plutôt dans son univers qui est un mélange de conformiste (on l'a considéré comme le chantre de l'empire colonial anglais), et d'esprit aventureux ; on découvre ses marottes et ses hobbys et aussi sa vision toute particulière du monde de son époque. Assez curieusement, cette rencontre engendre des réflexions pertinentes et révèle des aspects peu connus concernant l'auteur du Livre de la jungle, mais on ne pénètre vraiment jamais la vérité de sa pensée littéraire. On en sait bien plus sur le déroulement d'une de ses journées ordinaires. Je ne saurais dire si Pierre Assouline a eu raison d'adopter la forme romanesque.
C'est bien écrit, bien mené, on ne s'ennuie jamais. Mais le sujet Kipling se dissout un peu dans cette affaire. Il et difficile de comprendre le poids qu'il a eu et les idées réactionnaires qui l'ont sans cesse guidé - c'est un pur et dur produit de l'ère victorienne, qui n'a quasiment écrit que des livres pour un public infantile. Ses contes sont encore lus de nos jours dans le monde entier et plaisent beaucoup. On en fit de nombreux films. On peut s'interroger sur le fait qu'il ait cessé d'écrire au milieu des années 1900. Et puis reste sa poésie (l'un de ses poèmes célèbre à donné ici le titre). Bref, personne ne sera déçu par ces pages, mais on se posera encore bien des questions sur le cas Kipling...
|