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[verso-hebdo]
02-12-2021
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La chronique de Gérard-Georges Lemaire |
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Chronique d'un bibliomane mélancolique |
D'encre et de papier, une histoire du livre imprimé, Olivier Deloignon, Jean-Marc Chatelain, Jean-Yves Mollier, sous la direction d'Olivier Deloignon, Imprimerie Nationale, 416 p., 89 euro.
Ce livre est une pure merveille. Une mine d'or pour l'intellect. Il nous apporte une vision rénovée de l'histoire de l'imprimerie, qui nous oblige à modifier notre optique sur la question. Il commence par nous amener en Extrême-Orient, là où s'est développé très tôt sous une forme bien différente de ce que nous connaissons. En effet, dès le VIIe siècle, les Chinois ont imaginé un système de tampons pour reproduite les textes. Il s'agissait alors de documents officiels ou de textes religieux. Puis, peu à peu, cette pratique s'est étendue à toutes sortes de publications. Le papier a été inventé au IIe ou IIIe siècle. Son usage s'est développé dans le monde arabo-musulman à partir du Xe siècle et a pu apparaître en Italie au milieu du XIIe siècle. L'imprimerie telle que nous l'entendons aurait été mise au point en Corée au début du XVe siècle. Gutenberg et Fust en 1455. L'histoire de cette invention est d'ailleurs assez complexe car il y a eu au préalable diverses tentatives.
Gutenberg en personne a fait plusieurs expériences dès les années 1430 à Strasbourg et ensuite à Mayence. La première Bible a vu le jour en 1458. Ce qui m'a frappé le plus en voyant la Bible exposée au musée de Mayence est qu'elle était enluminée comme les ouvrages manuscrit réalisés dans les scriptorium. Des livres profanes sont rapidement imprimés tel Le Laboureur de Bohême de Johannes von Telp. Une grammaire latine sort aussi de presse pendant cette période. C'est sans doute Gutenberg qui a pris l'initiative de produite un dictionnaire de la Bible. Autour de 1458, deux imprimeries existent ailleurs : à Strasbourg et à Bomberg. Les années qui suivent, de nombreux imprimeurs-libraires font leur apparition en Europe. Une Compagnie des mots est créée en France entre 1509 et 1519. C'était un moyen de trouver les financements de l'imprimerie, une activité qui exigeait un investissement notable. On pense que déjà en 1472 il y avait plus d'ouvrages imprimés que d'ouvrages écrits à la main. Ce renouveau technique implique une métamorphose graphique, qui mettra du temps à s'installer. La manuscriture a laissé une empreinte profonde. Et puis les illustrations constituent un attrait pour les acquéreurs.
Le développement des modes d'impression et de définition des images a nécessité des recherches nombreuses, mais dont l'évolution a été relativement rapide. Du dessin des lettres à la fabrication des blocs, en passant par tous les éléments mis en oeuvre dans ce travail encore très lent et assez délicat, sont l'objet de perfectionnements incessants. Les conséquences de telles transformation du livre sont à mettre en relation avec les événements historiques, les mutations des moeurs, la circulation des idées et bientôt la Réforme. Tous ces points sont analysés dans ces pages avec beaucoup de détails, mais sans jamais verser dans l'érudition absconde. La limpidité du texte est vraiment remarquable d'autant plus que les points abordés sont parfois assez difficiles à dissocier les uns des autres. La large diffusion des livres s'est faite dès le XVIIe siècle, même s'ils sont encore réservés à une élite. Le remplacement du latin par le français pour les ouvrages religieux voulu par les réformés va être profitable à tous. Bien sûr, cette plus grande facilité de mettre en circulation des écrits engendre la multiplication de volumes qui sont interdits pour des raisons religieuses ou politiques. L'édit de volumes qui sont interdits pour des raisons religieuses ou politiques. L'édit de Châteaubriant, rédigé en 1551 exige qu'il y ait le nom de l'auteur, le lieu et l'année de la parution et aussi une autorisation reproduite au sein du livre. Etienne Dolet est condamné à mort en 1546 pour avoir fait paraître Rabelais et Marot. Robert Estienne, pourtant imprimeur du roi, doit s'exiler à Genève pour avoir imprimé des Bibles en latin, en français et en hébreu. Sous l'Ancien Régime, les libraires vont s'ingénier à changer leur nom et le lieu de l'édition.
De nombreuses illustrations accompagnent cette étude très approfondie qui raconte l'histoire du livre à travers les siècles, mais aussi des tirages limités, des éditions clandestines, de la bibliophilie, des formes nouvelles d'ouvrages qui font leur apparition. D'encre et de papier est un compagnon indispensable pour les érudits et pour tout honnête homme (ou femme !). S'il a une vocation encyclopédique, il n'en reste pas moins la fable d'une aventure humaine qui a contribué à la construction du monde tel qu'on le connaît de nos jours. Et contrairement à ce qu'avaient annoncé des prophètes malveillants, c'est-à-dire la disparition de l'imprimerie traditionnelle désormais au bénéfice des nouvelles technologies. Rien de tel ne s'est produit.
Xavier Krebs, cheminement, sous la direction de Fanny Drugeon, Locus Solus, 112 p., 25 euro.
Je dois avouer que j'ignorais tout de l'oeuvre de Xavier Krebs (1923-2013). Il a fait parti de ce que l'Ecole de Paris a pu produite après la dernière guerre. Mais il ne s'est pas imposé, ce qu'il faut regretter quand on découvre ce volume où sont rassemblées ses oeuvres depuis les années 1950. L'originalité de sa démarche est évidente dès cette date, surtout si l'on songe à la richesse de l'art abstrait en France à cette époque, et à à sa grande diversité. Ce qui frappe chez lui, c'est qu'il a tenu à conserver des éléments figuratifs (souvent presque impossible à déceler) et parfois même à inscrire un paysage au sein d'une composition abstraite. Il lui est arrivé de tracer une ligne d'horizon qui traverse toute la largeur de la toile. On constate ensuite qu'il n'a pas cessé un instant de se métamorphoser.
De plus, il a subi l'influence de l'art japonais et cela est visible dans un certain nombre de ses créations, qui se rapprochent manifestement de la peinture ancienne de l'ancien Empire du Soleil Levant. C'est là une caractéristique de son choix esthétique qui le distingue de la majeure part des artistes de son temps. Mais il est loin de plagier cet art. Il l'utilise dans un esprit qui demeure celui d'un peintre occidental qui a eu la volonté d'explorer des régions encore inconnues de sa pratique. Il est passé d'agencements complexes à des formes plus épurées et a parfois eu recours à des formes géométriques. Jamais il ne s'écarte de son style, mais il lui a donné des configurations assez variées. Dans la seconde moitié des années 1990, il a joué plus volontiers avec ses références extrême-orientales, mais n'a pas du tout trahi sa démarche de base. Quand on lit les textes réunis dans ce livre, on apprend à connaître cet homme de valeurs, qui aurait mérité un sort meilleur de son vivant. Il ne fait aucun doute, à mon avis, que Xavier Krebs sera réhabilité et que ses tableaux trouveront des amateurs curieux et qui savent que le succès n'est pas un critère de valeur pour une oeuvre d'art. Ses passages du geste lyrique à une sorte de réduction extrême des moyens mis en oeuvre, dans une quête exigeante mais sans austérité ni sévérité. Le déroulement de sa pensée esthétique mérite le respect et aussi une profonde admiration.
Ne dis pas la nuit, Amos Oz, traduit de l'hébreu par Sylvie Cohen, Folio, Gallimard, 320 p., 8, 50 euro.
Amos Oz, de son vrai nom Klausner, (Jérusalem 1939-Tel Aviv 2018) a été sans nul doute l'un des auteurs les plus représentatifs de la première génération d'hommes de lettres d'Israël auteurs les plus représentatifs de la première génération d'hommes de lettres d'Israël les décennies suivant sa fondation. Son oeuvre n'est pas pléthorique, mais elle a marqué profondément ces dernières décennies. Professeur de littérature, il a participé à de nombreux combats en faveur de la démocratie et aussi de la constitution de deux Etats, reconnaissant aux Palestiniens la faculté de fonder leur propre pays à côté du sien.
Sans être un anticonformiste à tout cran, il a toujours fait preuve d'une liberté d'esprit. Ses romans ont toujours pour raison d'être le décryptage de la société israélienne au fur et à mesure de son évolution, des idées qui la traverses et bien sûr des guerres qu'elle doit mener. Oz est un homme qui ne revendique pas les idéaux des premiers temps de ce peuplement juif de cette partie du monde, mais n'est pas en accord avec la montée en puissance des extrémistes religieux qui ont pesé d'un poids si lourd et si néfaste sur la politique de son pays. Ne dis pas la nuit, paru en 1994, est une fiction assez singulière. Elle débute avec une description d'un crépuscule et du paysage nocturne dans le désert où s'est dressée la ville de Tel-Kedar.
Puis il choisit comme trame principale les relations intimes entre Noa, qui est enseignante, et Théo, qui est ingénieur civil. Leur couple commence à battre de l'aile. Leur histoire personnelle se mêle rapidement à l'existence d'une foule d'autres personnages qui font des apparitions plus ou moins brève. Il introduit aussi un drame : un jeune homme prénommé Emmanuel, est retrouvé mort. C'était un étudiant de Noa qui l'avait intrigué et ému. D'une certaine façon, Amos Oz a voulu faire une radiographie de la société israélienne. C'état de la fin du siècle dernier. Il n'est pas nostalgique des rêves sionistes et des premières colonies juives apparues à la fin du protectorat britannique. Mais il souligne sa désillusion sur ce monde qui a connu une croissance remarquable, mais qui demeure toujours assiégée. C'est une fiction qui repose sur un enchevêtrement de toutes ces voix et de tous ces événements de la vie citadine. Sans doute est-ce là l'un de ses livres les plus ambitions où il n'a cependant pas tenté d'être exhaustif et en faisant un portrait détaillé de ce monde si compliqué à comprendre et à analyser.
Il conduit son lecteur à prendre conscience qu'Israël est loin de former une Nation unifiée. Ce sont même les différences qui en font la substance et les difficultés énormes. Tel-Kedar lui fournit le creuset idéal pour mettre en relief la réalité israélienne qui semble désespérément divisée et sans véritable issue bien que près d'un demi-siècle a passé depuis l'indépendance. L'un des thèmes majeurs qu'Oz explore ici c'est l'échec. Mais sans pour autant monter la question en épingle et verser dans l'emphase. Cette société, il qu'aime en dépit de tout. Il ne l'absout pas, mais ne la condamne pas sans appel. En dépit de ce foisonnement, Ne dis pas la nuit se lit avec plaisir et intérêt et quiconque souhaiterait se faire une idée d'Israël se doit de le lire.
It's Magic, Noel William Anderson, Jade Bradget, Fondazione Mudima, Milan, 30 euro.
Noel W. Anderson est un jeune artiste américain (né en 1981). L'exposition qu'il présente à la Fondation Mudima à Milan tourne autour d'un thème unique : le basketball. Et il s'est aussi servi d'une technique unique : celle du tissage. Mais ce qui fait l'originalité de sa démarche est d'utiliser le tissage pour tous ses tableaux. Mais il n'en reste pas moins qu'il utilise des documents photographiques ou télévisuels et qu'il a voulu que ses tableaux (de tailles très diverses, parfois assez petits, parfois très grands) donnent l'impression d'avoir été peints. Ce mélange savant et bien venu de toutes ces techniques apporte à ses créations quelque chose de singulier et, de temps à autre, d'assez fascinant.
Le sujet n'est pas fascinant et son rendu fait parfois songer au Street Art. S'il n'avait pas eu la faculté d'obtenir ce rendu si étonnant et même d'absolument intriguant. Il y a chez lui le désir évident de miser sur la culture populaire américaine et de l'encenser. C'est ici l'un des évident de miser sur la culture populaire américaine et de l'encenser. C'est ici l'un des aspects de l'American Way of Life qu'il valorise. Sans doute, quand il s'attache à dépeindre des actions de ces joueurs, quand il agrandit ses figures ou qu'il se concentrent uniquement sur leurs seules chaussures, il tente de produire des effets plutôt sophistiqués et efficaces. Il est manifeste qu'il a tenté de se tenir à mi-chemin entre un art populaire et un art plus sophistiqué. Il n'en demeure pas moins dans une relative ambiguïté d'un point de vue de l'art. Il a trop tendance à flatter les goûts du public américain, qui touche toutes les couches de la société. Mais on ne peut qu'admirer sa dextérité et un talent indéniable. D'autant plus que la technique qu'il a mise au point n'est pas décelable au premier abord. Elle surprend et séduit, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Reste maintenant à savoir quelle orientation il va prendre et aussi à imaginer s'il va être en mesure de se dépasser et d'aborder des thèmes plus ardus.
L'Ennemie, Irène Némirovsky, préface d'Olivier Philipponnat, Folio, Gallimard, 102 p., 7, 50 euro.
Irène Némirovsky a été arrêtée en 1942 par la Gestapo et envoyée au camp d'Auschwitz où elle a disparu corps et bien la même année. Puis on l'a longtemps oubliée. Sa redécouverte, la réédition de ses livres lui ont valu de recevoir le prix Goncourt à titre posthume. La publication de Suite française lui a valu un grand succès et cette fiction a inspiré un film, malheureusement médiocre. L'important reste qu'elle soit de nouveau présente parmi nous grâce à sa littérature et qu'elle soit appréciée de nombreux lecteurs. L'excellente préface d'Olivier Philipponnat nous fait découvrir des aspects peu connus de sa biographie et surtout quelques thèmes récurrents dans son oeuvre.
L'Ennemie est une nouvelle montée en graine. Cet ouvrage nous raconte l'histoire de deux soeurs, Gabrielle (Gabri) et Michette, la cadette. Les deux filles sont généralement délaissées par leur mère. Elles grandissent sans connaître le bonheur. Michette meurt prématurément. Gabri se retrouve seule face à cette mère volage, Francine, ne s'occupe guère de son enfant et cette dernière la déteste. Le conjoint de Francine, Charles Bragance, revient au bercail. Pour se venger, Gabri entreprend de séduite ce dernier et il ne peut que succomber à son charme. Mais elle a d'autres relations masculines (dont un comte russe). Sa mère songe à la marier. La jeune fille arrive à ses fins et elle fait souffrir sa mère comme elle l'espérait. Mais elle disparaît elle aussi prématurément... Sans doute, cette fiction se révèle-t-elle un peu trop mélodramatique, mai sa grande faculté de narrer une histoire avec talent parvient à nous convaincre.
A cause de conditions extrêmes, Dune Delhomme, Editions Macula, 76 p., 14 euro.
C'est une fiction bien singulière. Elle nous est délivrée par bribes, par une suite de fragments, qui ne constituent pas une trame délivrée par séquences morcelées. Il s'agit plutôt de pensées qui sont celles d'une femme ou encore d'une relation entre un garçon et une fille. Donc : pas d'histoire à proprement parler. Il y a des scénettes révélant un instant de vie significatif ou alors une idée qui jaillit tout d'un coup, impromptue, ou une idée impérative qui se referme sur elle-même, solitaire. Il se peut que le lecteur se prenne au jeu, ou non. On n'évolue pas dans ces pages dans un univers chargé de problèmes graves ou éloigné de l'expérience commune. On est en droit de se demander quel dessein a poursuivi Dune Delhomme. En effet, il semble qu'elle n'a fait qu'esquisser un ouvrage dont on ne perçoit ici que quelques éléments. Bien sûr, la forme choisie permet ce suspens entre un point et un autre, l'ordre n'ayant pas la moindre importance. Toutefois, nous aurions été plus satisfaits si le projet avait pris une ampleur plus considérable.
A R. Penck , sous la direction de Simone Soldini, Museo d'arte di Mendrisio, 300 p., 38 euro.
Je reviens un instant sur la grande exposition dédiée à l'artiste allemand A. R. Penck dans le musée de Mendrisio, dans le Tessin (Suisse), qui réalise des manifestations souvent remarquables. Je m'étais trompé sur le nom du commissaire de l'exposition et une erreur s'était glissé dans l'intitulé. Je répare donc ces bévues. Et j'encourage tous ceux qui le peuvent d'aller visiter cette exposition exceptionnelle afin de découvrir le parcours complet de cet artiste allemand (originaire de la D. D. R.) qui s'est hissé jusqu'aux plus hautes marches de la notoriété. Cela vaut vraiment le déplacement.
Frammenti, Tulio Pericoli, sous la direction de Michele Bonuomo / Tulio Pericoli, Edizioni Skira, 176 p., 30 euro.
Je dois encore de vous demander de me pardonner une coquille faite dans l'article que j'avais fait la semaine passée sur l'exposition de Tulio Pericoli qui a lieu actuellement au palais royal de Milan. C'est une révélation, car si son oeuvre de dessinateur et souvent de caricaturiste très doué, peu sont ceux qui connaissent son travail de peintre, qui est des plus intéressante et originale. Si vous êtes lassé des frimas milanais, allez voir cette manifestation qui mérite le déplacement car son art joue sur une ambiguïté entre la réalité figurative et l'extrapolation abstraite.
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Gérard-Georges Lemaire 02-12-2021 |
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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