Les journées courtes de décembre et son ciel plombé, les interminables contraintes de la pandémie, le fond brunâtre de l'actualité politique enfin peuvent inciter à rechercher derrière le brouillard de la morosité ambiante quelques scintillements de merveilleux. D'autant plus que les fêtes de Noël approchent... Ces dernières cependant, récupérées largement, on le sait, par l'injonction consumériste, ne proposent le plus souvent qu'une version kitsch et « disneyisée » de ce merveilleux, formatant une imagination qui n'aspirait, tout au contraire, qu'à s'éblouir à la lumière d'autres possibles. Alors, se tournant vers des propositions artistiques qui semblent vouloir relayer un merveilleux pour enfants, on peut toujours aller avec eux voir l'exposition Mondes imaginaires de Speedy Graphito au Musée en Herbe et, avec ou sans eux, découvrir Le Théorème de Narcisse de Jean-Michel Othoniel, jusqu'au 2 janvier au Musée du Petit Palais. Mais celles et ceux qui ont gardé la mémoire des artistes ayant porté haut ce merveilleux n'y trouveront pas forcément leur compte...
Depuis presque un demi-siècle, le Musée en Herbe présente des expositions d'art « adaptées à tous, de 3 à 103 ans. (...) Une approche de l'art basée sur le jeu et l'humour » (sic). Aujourd'hui le Musée en Herbe se flatte d'être « situé à proximité immédiate du Louvre et de la Bourse de Commerce - Pinault Collection » (sic). Devenus grands, nos chers bambins, nourris de ludique et d'humour, sauront vite où diriger leurs pas ! Speedy Graphito, dont le nom « sonne comme une marque » (c'est lui-même qui le dit) est un Street artiste, affichiste, créateur d'une ligne de T - shirts, etc. La présentation, ici faite de son travail, paraît adéquate à ce que l'on peut voir de ses oeuvres « où se mêlent références à l'histoire de l'Art, la bande dessinée, les dessins animés, le consumérisme et l'écologie » . Comme dans un supermarché au temps béni des soldes, chacun pourra donc trouver son bonheur dans cette gondole diversifiée à bas prix. Et effectivement, sur un décor aux couleurs vives, « flashy » (car il semble indiscutable que les enfants ne puissent adorer que ce type de couleurs), on voit des tableaux où les personnages de Walt Disney occupent une place prépondérante. Ils sont pris parfois dans des signes basiques de Street Art ou alors dans du surdécoratif, comme ce Jumbo qui devient Ganesha . Mais l'on repère aussi des références à Keith Haring, Picasso, Dali, Matisse, etc. Toutes ces icônes d'art, loin d'être associées par un montage stimulant l'imaginaire, se voient surtout juxtaposées dans le souci d'être agréables à l'oeil. Une autre partie plus intéressante de l'exposition joue la carte de la sensibilité écologique, avec un foisonnement végétal et décoratif, ou bien des ronces dessinant des figures mythologiques. Mais on est vite repris plus loin par un « tunnel spatiotemporel », une installation « totalement immersive (...) où se mêlent science-fiction et consumérisme » . Si jamais nos enfants avaient espéré un instant s'échapper du consumérisme et de l'univers Disney, omniprésents (avant le Louvre, la Tour Eiffel et le Château de Versailles, Disneyland est le site touristico-culturel le plus visité de France), et découvrir ailleurs leur merveilleux, cette sympathique exposition, Mondes imaginaires , aurait vite recadré une telle contestation précoce! Les parents peuvent maintenant, dans une continuité agréable, emmener leurs marmots vers les vitrines de Noël. Elles ne sont d'ailleurs pas loin...
Une large partie de la presse s'est délectée de l' « enchantement », du « merveilleux », de la « féerie », de la « magie », etc. de l'exposition au Petit Palais du plasticien français Jean-Michel Othoniel, aujourd'hui académicien... On peut courir se pâmer devant les carreaux de verre bleu sur les marches du musée, ou les sculptures enfilant des boules de verre soufflé dans le beau jardin intérieur, cette multitude de noeuds-bijoux suspendus aux arbres, et cet énorme lustre sur l'escalier en spirale du lieu. Sans doute l'on y aimera, à travers ces immenses colliers de perles, l'onéreuse féerie des joailliers ou bien, selon les références sociales, le kitsch des décorations de Noël... Soixante-quatorze pièces, dont quelques-unes cèdent à la mode bien spectaculaire du monumental. Cet or précieux, ces rassurantes rondeurs, ces guirlandes ornementales, ces boules dans lesquelles on peut se mirer (s'offrir même un double selfie !) avec la satisfaction d'être inscrit dans Le Théorème de Narcisse : oui, l'exposition ne pouvait que séduire un large public, d'autant plus qu'elle est gratuite. Mais, nonobstant les références de l'artiste à Lacan et sa collaboration avec un mathématicien mexicain, le regard a vite appréhendé, maîtrisé la logique de ces ronds, de ces boules, de cette circularité. Alors il ne voyage plus... Et d'autant moins qu'il était déjà conditionné par le décor festif et son clinquant, qu'il était familier de ses matériaux, formes et accessoires.
Avec des signatures diverses (Jeff Koons en est une autre bien sûr), ces propositions ne s'inscrivent-elles pas dans ce que le professeur Peter K. Fallon, de l'université Roosevelt de Chicago, appelle la disneyisation de la société ? Processus de lissage, simplification, édulcoration infantilisant qui, par-delà tel ou tel artiste, amplifie le kitsch passé, et offre à la société de consommation une esthétique optimum pour célébrer son « merveilleux » aliénant. Si loin, bien entendu, de celui proposé jadis par Lewis Carroll et revendiqué par André Breton. Ou d'un merveilleux utopique comme lumière des possibles.
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