Klimt, Valérie Mettais, Editions Hazan, s. p., 29, 95 euro.
Dans ce merveilleux album, qui met surtout en relief l'aspect décoratif de la seconde partie de l'oeuvre de Gustav Klimt (1862-1918) (ce qui ne la dévalorise en rien, au contraire : la dimension décorative fait partie du centre vital de son oeuvre). Il s'affirme alors comme le plus grand, le plus éblouissant représentant de tout ce qu'on a pu être rassemblé sous le terme d'Art Nouveau en Europe à la Belle Epoque. Son père, d'origine tchèque, était ciseleur de métaux précieux, et il y a fort à parier qu'il en a tiré un enseignement très profitable. Il a connu une enfance plutôt malheureuse et assez triste, avec une mère frappée par une profonde dépression quand meurt une de ses jeunes soeurs. Sa scolarité est lacunaire et il vit replié sur lui-même, sans parvenir à se lier avec les autres élèves. Bientôt, il travaille avec son père dans l'atelier d'orfèvrerie. Il s'inscrit à l'Ecole des Arts appliqués de Vienne en 1876. Trois ans plus tard, il fait partie de l'équipe de collaborateurs de Hans Makart, un peintre académique célébré et auquel il aurait aimé ressembler. Il adhère peu après au Kunstlerhaus. Il a collaboré à de nombreux travaux décoratifs sous la direction de Makart. En 1883, il crée, avec son frère Ernst et avec Franz Matsch, la Künstler Compagnie. Ces trois artistes ont dès lor réalisé des peintures murales pour des théâtres (dont celui de Carlsbach, le Burgtheater de Vienne, celui de Fiume et celui de Trieste), ainsi que les intérieurs d' édifices publics.
Ils ont également décoré la villa Hermès dans le Lainzer Tiergarten. Les trois amis se séparent et travaillent chacun de leur côté. En 1888, Klimt a reçu la croix du Mérite artistique. Deux ans plus tard, il décore le escalier du musée d'histoire de l'art. Il s'est forgé une solide réputation, mais son style est resté plutôt académique. Peu à peu, il s'intéresse au japonisme, à l'impressionnisme français et au symbolisme qui déferle dan toute l'Europe. C'est en 1897 qu'il fonde le groupe de la Sécession en association avec des peintres et des architectes tels que Koloman Moser, Josef Maria Olbrich, Carl Moll, Josef Hoffmann, Josef Engelhart et quelques autres, tous en rupture de ban avec les institutions académiques. Un an plus tard, il est à l'origine de la somptueuse revue Ver sacrum. Il participe aussi à la mise sur pied de l'Union des Artistes figuratifs et en devient le président. Son écriture plastique a épousé les conceptions de l'Art Nouveau, mais avec une originalité certaine qui l'a distingué de ses compagnons. Olbrich a construit le Palais de la Sécession qui peut être considéré comme le manifeste de l'esprit du sécessionnisme.
C'est vraiment alors qu'il est parvenu à se forger un style propre et surtout très novateur. Il réalise ses premier paysages en 1797 (ce sont des compositions bien loin de l'impressionnisme, mais avec la volonté de faire triompher la couleur) et, un an plus tard, il a peint Pallas Athénée, qui sert d'affiche pour la seconde exposition de la Sécession. En 1900, l'université lui a commandé trois grandes oeuvres murales: La Médecine, La Jurisprudence, La Philosophie. Elles ont représenté le tournant de son art : il n'a pas encore tourné le dos complètement au style officiel, mais s'en éloigne de façon résolue. Il est d'ailleurs vivement critiqué par les autorités universitaires. Mais la dernière de ces toiles lui vaut la médaille d'or lors de l'Exposition universelle de Paris. Et c'est en 1902, à l'occasion de la quatrième exposition du groupe, qu'il a dévoilé au public sa grande frise installée dans le Palais de la Sécession : la Frise Beethoven.
Il a atteint le sommet de son art, qui s'est caractérisé par sa référence constante à l'art byzantin, une liberté formelle intense et un imaginaire débordant, parfois frôlant l'onirisme pur, mélangeant les thèmes antiques et les thèmes modernes. A partir de là, il s'est employé à réaliser ce qu'on a appelé le cycle d'or qu'il poursuit jusqu'en 1909, avec l'Attente ou l'Accomplissement. Il y a inscrit des éléments décoratifs qui entrent littéralement en fusion avec de figures somptuaires et sensuelles. Le Baiser (1906-1908) et sans doute son oeuvre la plus connue dans cet ensemble d'oeuvres. A cette époque, il s'est déjà séparé des autres artistes membres de la Sécession. En 1908, il découvre à la faveur d'une exposition à la Kunstchau de Vienne les travaux de Toulouse-Lautrec, de Van Gogh, de Bonnard, de Munch, de Toorop, de Bonnard. Tout cela l'encourage à encore plus d'audace. Il se met à composer de nombreux paysages de format carré, réalise la frise de la villa Stoclet à Bruxelles à partir de 1909. Il est présent à la Biennale de Venise en 1910. Le portrait tient une place de plus en plus importante dans ses créations et sa réputation est au zénith. Dans ce volume, on peut suivre dans ses moindres détails l'histoire de cette seconde phase de son existence d'artiste, qui allie un sens prononcé du rendu du visage et du corps de ses modèles et un fond décoratif, le plis souvent orné d'or, qui lui permet de sublimer la figure dépeinte. Ce volume permet ainsi de savourer pleinement la beauté et l'invention fabuleuse - géniale - de Gustav Klimt.
Picasso par Picasso, Autoportraits 1894-1972, Pascal Bonafoux, Editions du Seuil, 192 p., 32 euro.
Pascal Bonafoux s'est toujours passionné pour la question de l'autoportrait dans l'art occidental (ce fut le sujet de sa thèse). Il avait monté une exposition sur ce thème et a écrit plusieurs ouvrages comme celui sur le cas de Rembrandt. Dans le cas de Picasso, il s'agit de bien autre chose. Même s'il a au long de sa carrière prolifique éprouvé souvent le désir de se représenter - et cela jusqu'à la fin, en incluant les nombreux tableaux où apparaissent le peintre et son modèle -, sans pour autant avoir un projet défini comme ce fut le cas pour le maître hollandais. Pascal Bonafoux s'interroge sur les nombreuses façons qu'a eu Picasso de se présenter au monde -, des changements incessants correspondant à ses changements d'orientation plastique qui sont allés du cubisme au néoclassicisme, en passant par mille modes stylistiques, parfois menés en parallèle. D.-H. Kahnweiler a déclaré que son oeuvre était essentiellement autobiographique (ce qui n'est, à mon sens, qu'en partie vrai). Ce qui est certain, c'est que l'artiste n'a pas cessé de poser pour lui-même, de s'interroger, de mesurer le passage du temps sur ses trait.
Mais, à l'inverse de Rembrandt, il a travaillé à une époque où la figure de l'artiste pouvait très bien être l'objet de l'engouement de collectionneurs. Et puis demeure la question des thèmes et des sujets : après les période bleues et roses, il s'est débarrassé très souvent des grands thèmes classiques (mais il a toujours éprouvé l'envie de se référer à la mythologie antique). Et dans ce contexte, qu'il soit ancillaire ou encore lié aux histoires anciennes, il a inséré sa propre personne, ses femmes et ses enfants (- là, il se rapproche de Poulbot avec un sentimentalisme maladroit : c'est ce qui d'ailleurs a été la partie la plus faible de son oeuvre). Comme on peut le constater dans cet ouvrage, Picasso s'est dépeint depuis ses jeune années (le premier portrait reproduit ici date de 1895 !) et il ne s'est plus jamais arrêté depuis lors car son dernier autoportrait date de 1972, donc peu de temps avant sa disparition. Pascal Bonafoux explique très bien le cheminement de sa vision de lui-même qui n'est pas un pur et simple exercice. Aussi curieux que cela puisse paraître, cette recherche manquait à l'énorme bibliographie consacrée au grand artiste. Et ce livre présente un grand intérêt pour eux qui désirent découvrir Picasso comme pour ceux qui désirent en savoir plus sur son compte.
En chemin avec Gustav Klimt, Christian Demilly & Didier Baraud, « Hazan jeunesse », Editions Hazan, 32 p., 14, 95 p.
Les éditions Hazan ont lancé depuis quelque temps une collection d'ouvrages sur l'art destinés aux écoliers et aux jeunes lycéens. Ce n'est pas une nouveauté car pas mal de maisons d'éditions se sont lancés dans ce genre d'ouvrages. Et ce n'est pas non plus une nouveauté dans ce domaine, car des monographies d'artistes ont pu voir le jour dès la fin du XIXe siècle. Le problème de cette littérature d'initiation à l'art et qu'elle et souvent trop simpliste et parfois même un peu vulgaire par excès de zèle, pensant le lecteur, aussi bien le néophyte que les tout jeunes gens, est d'une ignorance absolue. Ce qu'a entrepris cet éditeur avec cette collection baptisée « En chemin avec... » représente à la fois un excellent travail pédagogique et aussi une manière de mieux aborder une oeuvre picturale qui ne se délivre pas aisément, soit qu'elle soit parce qu'elle est ancienne, avec des codes qui ne sont plus les nôtres, soit, au contraire, que sa modernité la rende difficile à interpréter, soit encore qu'elle se présente avec une certaine dose d'étrangeté. En fait, tout tableau mérite un commentaire pour l'aborder, quelle qu'en soit la raison.
Dans le cas de Klimt, il existe un aspect décoratif qui échappe aux règles du réalisme et fait appel à des références culturelles qui ne sont pas évidentes comme, par exemple la référence inattendue à la mosaïque byzantine. Les auteurs ont très bien su résumer le cheminement intérieur de cet artiste viennois qui a fini par révolutionner l'esthétique de son temps en imaginant sa propre vision de l'Art Nouveau. En faisant découvrir différentes oeuvres, les auteurs ont mis en exergue ses principales singularités techniques et aussi ses thèmes de prédilection. Le livre se révèle ainsi un instrument de travail qui peut être abordé avec plaisir, sans que naisse le sentiment d'un cours pédagogique. C'est une réussite incontestable car c'est d'abord l'amour de la peinture qui demeure le principal enseignement.
En chemin avec... Hokusai, Chrissrian Demilly & Didier Baraud, « Hazan jeunesse », Editions Hazan, 32 p., 14, 94 euro.
Les remarques faites dans cette chronique à propos du livre de Klimt peuvent très bien s'appliquer à cette petite monographie didactique sur le génial artiste Katsushika Hokusai, l'un de plus géniaux graveurs sur bois (xylographe) du XIXe siècle au Japon. La Vague qui et reproduite en couverture et sans aucun doute son oeuvre la plus célèbre. La question est ici que nous devons aborder une autre culture. Même le paysage est bien éloigné des nôtres, tout autant d'ailleurs que les sentiments qu'ils inspirent et qui sont traduit par les formes et le couleurs choisies par le créateur. Si Hokusai comme ses pairs dès la fin du XVIIe siècle ont transformé les modes de la production de oeuvres d'art et aussi leur caractère : le réalisme est associé à une façon de styliser et de magnifié le sujet avec un traitement de l'espace singulier et une schématisation des contours et des vêtements des personnages.
La question est dès lors de présenter chacune des grandes différences entre notre manière de voir et celle qu'ont choisi ces artistes en prenant exemple sur l'un des plus doué, Hokusai. Chercheur infatigable, ce dernier n'a jamais cessé de perfectionner son style et de rechercher ce qui serait son idéal. Sa force est aussi de pouvoir nous émouvoir en dépit de sa conception des choses qui appartient à une culture aux antipodes de celle que nous avons adoptée. Il n'en reste pas moins vrai que ses estampes peuvent nous toucher avant même de nous initier à sin univers qui embrasse tous le domaines. Les auteurs nous invitent ici à la découverte d'un de génies de l'art universel.
Haut en couleurs ! Nicolas Martin, « Hazan jeunesse », Editions Hazan, 64 p., 18 euro.
Ce volume est conçu dans le même esprit que les biographies d'artistes pour les enfants imprimée par les éditions Hazan. Il traite des différentes couleurs qui sont employées dans la peinture à différentes époques. Chaque couleur possède sa symbolique, son sens, sa valeur émotive, ses effets dans notre civilisation, avec des variations au fil des siècles. Le sujet est très vaste et relativement complexe. Nicolas Matin n'a pas voulu entrer dans tous les détails d'une affaire qui n'a pas cessé de changer en fonction des croyances religieuses, de notre rapport à la nature, en fonction des codes de la société, etc. Il n'est pas d'ailleurs pas uniquement question de chaque couleur en soi - il compare, pour le marron, un tableau de Rembrandt avec une oeuvre de Vincent Van Gogh -, mais aussi de relations que certaines teintes entretiennent les une avec le autres.
Par exemple, il monte comment le blanc, le rouge et le noir se combinent dans les toiles de Georges de La Tour (ici, La Madeleine aux deux flammes) ou dans celle de Piet Mondrian (avec pour exemple La Composition n° 1 de 1935) - les raisons de ce associations sont éloignées les unes de autres, mais il et évident que ce triangle chromatique. Ainsi, le lecteur est invité à mieux observer ce jeu entre les teintes utilisées par les peintres et d'un comprendre les finalités. Bien sûr, il ne 'agit là que de mettre l'accent sur des confrontations tonales qui jouent un rôle dans la conception plastique de la toile, et qui le plus souvent lui apporte un surcroît de signification, devenant même l'un de ses éléments essentiels, comme c'est le cas dans le Combat entre un tigre et un buffle du Douanier Rousseau en 1906. L'auteur insiste sur les différentes manières d'aborder la question : cela peut être une harmonie heureuse ou bien un conflit puissant comme dans le tâches noires et rouge dans Bleu III de Joan Mirò. Voilà comment l'on peut prendre conscience du rôle important et parfois complexe des couleurs dans la peinture ancienne comme dans la peinture moderne -, et cela est décrit avec pas mal de discernement.
Arithmomania, Lucien Suel, Dernier Télégramme, 224 p., 15 euro.
Cet ouvrage et une anthologie copieuse de poèmes arithmogrammatiques ou arithmonymes de Lucien Suel. Cet auteur s'est placé dans la perspective des recherches « concrètes » de la poésie de ces derniers temps. Il la renouvelle en apportant d'importantes variations dans l'ajustement de lignes, des mots, ce qui lui autorise un grand nombre de possibles visuels. Mais il y a plus : il lui arrive d'écrire de la prose, qui forme chaque fois un court récit. En somme, s'il y a bien un système sous-jacent, il y a aussi une grande liberté dans ses compositions. Il se rapproche souvent des arts plastiques et ses mots lui servent de vocables imprimés (ou plutôt dactylographié) plus intéressants pour les yeux que pour l'oreille. Mais il n'en démord pas : il ne veut pas être l'otage de principes immuables. Même ses courts poèmes peuvent contenir une histoire. C'est ce qui fait l'originalité de sa démarche qui joue sur deux plans différents et a priori incompatibles ou mal assortis.
Il privilégie les contes presque abstraits comme on peut le noter par exemple dans « Nuages ». Et il fait preuve d'une grande fantaisie qui ne nuit pas à la gravité de son propos. Il y a parfois des images baroques, fulgurantes même, ce qui entre en contradiction avec la forme presque mathématique de ses poésies. Le lecteur pourra peut-être dérouté au début, mais il parviendra assez vite à se retrouver dans ce cosmos à l'aspect si singulier. Le fait qu'il ait choisi de réunir en un volume tant de textes est fait pour que nous puissions comprendre le sens de a démarche aux mille variantes. Ce qui nous paraît à première vue une sorte de collection de petits tableaux abstraits se révèle en réalité un jeu assez sophistiqué qui dépasse de loin les frontières obtuses de la poésie concrète. Lucien Suel a un pied dans la modernité la plus tranchée et un autre dans le paradis enchanté de la poésie ancienne, dont parfois il s'amuse, mais où souvent il tient à retrouver le charme.
Dante versus Bonifacio VIII, Michelangelo Coviello, prefazione di Angelo Di Gregorio, « contra mossa », New Press edizioni/letteratura, 168 p., 12 euro.
L'auteur, qui se surnomme pour l'occasion « pape satan », nous invite à voyager à rebours dan le temps. Précisément en 1300, date choisie par Dante Alighieri pour entreprendre son voyage dans l'univers souterrain du poète. Le préfacier nous indique que le noyau de cette étude historique et néanmoins ludique concerne avant tout le conflit entre Dante et le pape Boniface VIII. Mais avant d'aborder la question centrale qui le a retenu l'attention de Michelangelo Coviello, celui-ci nous rappelle qu'à Paris, sainte Geneviève a pu arrêter les Huns d'Attila. Plus tard, on faut connaissance avec le pape Nicolas IV en train de rédiger une bulle dans cette ville renommé pour son université, la Sorbonne.
Le jeune Alighieri aurait été présent à cet événement qui aurait eu lieu en 1290. Puis l'auteur nous fait de nouveau remonter le temps jusqu'au sacre du roi des Francs, Clovis, dans la cathédrale de Reims en 496. De retour à Rome, le pape demande un service important au cardinal Caetani qui sera son successeur. Celui-ci, au terme d'intrigues sournoises, remplit sa mission, mais parvint ensuite à s'emparer du trône pontifical. Il fit en sorte de mettre à l'écart la puissante famille Colonna. Il s'employa à rapidement renforcer son pouvoir. Mais les membres de la famille Colonna ont rédigé un manifeste venimeux où ils ont voulu contester la légitimité du nouveau pape. Alors Boniface fait raser leur château, le dépouillent en partie. S'en suivent des intrigues machiavéliques et sanglantes, des trahisons, des vols, qui ont des ramifications bien au-delà de la Cité éternelle. A Florence, ls partisan de l'empereur, les Ghibelins, s'allient avec Charles de France et combattent les Gulefes, les partisans de la papauté. Au terme de tous ces conflits, qui sont surtout des affaires de familles puissantes, (le pape n'et pas parvenu à réconcilier les Guelfes blanc et les Guelfes noirs), Boniface VIII rentre à Rome sous la protection des Orsini t y meurt peu après. Quant à Dante, il est contraint à l'exil et ne reverra jamais plus sa ville natale. Ce curieux enchevêtrement d'histoire authentique et de fiction est d'une lecture attachante. Il nous restitue bien l'esprit d'une époque tourmentée d'où émerge la figure de Dante qui en transforme la philosophie par on écriture en langue vulgaire.
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