Le Fonds Hélène & Edouard Leclerc pour la culture à Landerneau présente, jusqu'au 2 avril 2022, une rétrospective de Françoise Pétrovitch, peintre, graveur, dessinatrice, sculptrice et céramiste de grand renom. Cette agrégée d'arts plastiques, professeure à l'Ecole Estienne pendant 33 ans, s'est toujours donné le temps de construire une oeuvre extrêmement riche et variée sur la base d'une science accomplie du dessin (à l'âge de six ans, elle ignorait ce que voulait dire le mot artiste, mais elle avait décidé de devenir dessinatrice). Camille Morineau, commissaire de l'exposition, a choisi le principe d'un parcours chrono-thématique. Les thèmes du « dessin dans les marges », des âges de la vie, du double, des échos, des gestes, des nocturnes et des hybrides se succèdent ainsi selon une intention générale empruntée à Paul Valéry. Ce dernier écrivait, à propos de Berthe Morisot, qu'elle accomplit cette « fonction naturelle et nécessaire » de « vivre sa peinture et de peindre sa vie ». Le parcours fait de cette façon valoir à la fois « l'aspect caché, noir, dur » et « la proximité avec les choses et les êtres ».
On s'arrête d'abord, à l'occasion du « dessin dans les marges » sur une étonnante série de cinq dessins au crayon de couleur sur papier (34 x 21,5 cm chacun) représentant uniquement les yeux d'Ingres tels qu'il les avait vus dans ses autoportraits et chez Monsieur Bertin. « Agrandir le dessin, a dit Françoise Pétrovitch, c'est accroître ses capacités : les miennes et celle de l'oeuvre. Un petit dessin peut être monumental et, à l'inverse, une oeuvre de très grand format, se révéler intime.» Les yeux d'Ingres apparaissent en effet monumentaux et, par exemple, « Etendu », un grand lavis d'encre sur papier de 1 mètre 60 sur 2 mètres 40 nous apparaît étonnamment intime. On parvient plus tard à la séquence « Dialogues entre peinture et dessin » avec l'extraordinaire série des Saint Sébastien, des lavis d'encre sur papier de 80 x 120 cm chacun, d'après des maîtres de l'histoire de l'art comme Guerchin, Le Titien, Gentile da Fabriano, Giovanni Bellini etc. Le torse nu du martyr est observé à mi-corps, et le commentaire lapidaire de l'artiste doit être suffisant pour comprendre : « La jeunesse, la beauté, la souffrance, la mort... J'aime bien l'idée qu'une femme traite ce sujet : l'icône gay. »
C'est ici qu'apparaît la troublante actualité de la démarche de Pétrovitch : ses figures sont décontextualisées, les fonds sont neutres car l'artiste ne veut pas entrer dans la narration. Elle semble s'intéresser principalement à l'enfance et à l'adolescence, mais surtout, observe Camille Morineau « ces oeuvres parlent de l'indétermination de l'âge adulte au XXIe siècle, où l'on voudrait rester dans une perpétuelle jeunesse. La réflexion sur les genres s'y joue aussi : ils sont assez indéterminés également, à l'aune d'un siècle où masculin et féminin ne sont plus de mise ? » L'Ogresse, une oeuvre réalisée pour l'exposition résume l'entreprise de déconstruction des stéréotypes de genre qui est au centre de l'oeuvre de Françoise Pétrovitch depuis toujours. Partie d'une variation sur le garçon à la flûte de Pan, proche du meurtrier de Sa Majesté des Mouches, elle le féminise et le marie au conte de Barbe Bleue. « Ainsi naît l'Ogresse, explique la commissaire, version féminine et féministe où l'une des petites filles aurait choisi, plutôt que d'être victime de l'inceste collectif, de tuer puis de manger l'ogre dans une sorte de rite monstrueux... » Une exposition belle et étrange par laquelle Françoise Pétrovitch montre comment elle vit sa peinture et peint sa vie avec une intensité d'autant plus grande que, pour elle, « Notre temps de vie sur terre n'est pas long. »
www.francoisepetrovitch.com
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