Le célèbre Germano Celant doit rester pour la postérité comme le théoricien de l'Arte povera qui, en 1967 à Turin, révéla au monde Fabro, Boetti, Kounellis et quelques autres sous le titre Arte povera E Im Spazio. Les artistes plus significatifs de cette nouvelle tendance artistique étaient sans doute Kounellis qui avait installé un tas de charbon dans la galerie, et Luciano Fabro qui répandait des vieux journaux sur le sol. Celant avait conçu pour eux l'ébouriffant concept de l'art tautologique. Invité à exposer les oeuvres de ses poulains au Centre Pompidou en 1981, il concluait son texte par cette imparable déclaration : « Et voilà les « figures » : l'amas comme amas, la coupe comme coupe, le tas comme tas... » Le matériau n'était plus un moyen de l'art ou un instrument de recherche, il était devenu lui-même « un élément constitutif de l'art ». Timidement, Fabro avait tenté d'expliquer un peu plus tard que, pour ce qui le concernait, il ne s'agissait pas d'art mais plutôt de « provocation artistique », mais peu importait : ses déclarations étaient balayées par les thèses définitives et bardées de marxo-freudisme du grand critique.
Or je découvre dans le numéro de janvier 2021 de la newsletter des Archives de la Critique d'Art que Germano Celant apporte aujourd'hui une nouvelle révolution : non plus celle de l'art (grâce à lui n'est-ce pas, elle est déjà accomplie), mais celle de la critique elle-même. Tenez-vous bien, son nouveau positionnement est celui de « la critique acritique ». La nouvelle critique dont il se fait le prophète sera le fait de personnes qui procèderont « aux côtés de l'art » sans juger l'oeuvre. Autrement dit, le critique ne doit plus regarder les oeuvres, encore moins les commenter, il ne peut plus rien faire d'autre que d'accompagner l'artiste. Peut-être en lui portant ses valises en cas de besoin. Ce qui est un peu ennuyeux pour Celant, c'est que son concept de critique acritique, si farfelu soit-il, n'est pas nouveau.
Déjà, en 2015, Christophe Domino avait trouvé une réponse à la triste situation de la critique d'art : « sans se perdre en vaines déplorations de la lente agonie de la critique encerclée par l'érosion des supports et par la rivalité du curating », écrivait-il dans le numéro 45 de la revue Critique d'art, il faudrait passer à une nouvelle critique, une critique « impliquée ». Impliquée, c'est-à-dire « embarquée ». On se souvient des journalistes accrédités par l'armée américaine pendant l'invasion de l'Irak : ils devaient se contenter d'être « embedded » et ne rien écrire. Eh bien, pour le critique d'art, ce sera désormais la même chose : heureux sera-t-il si un(e) artiste l'admet pour simplement l'accompagner. Bien sûr, s'empresse de préciser l'auteur, les nouvelles conditions de « travail » du critique « n'obligent cependant en rien au renoncement théorique, sauf à internaliser la soumission et à accepter sa perte ». Ouf, on respire ! Tout ceci n'est d'ailleurs qu'un point de départ. Il faut réfléchir, « d'où le réexamen continu des conditions d'une critique embedded » peut-il conclure. Que le lecteur se rassure (si jamais il était inquiet). Comme pas mal de mes confrères, Je ne vais pas me résoudre tout de suite à devenir un critique acritique ou bien embarqué. Je vais encore écrire un petit peu, et surtout regarder des oeuvres quand il y en aura...
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