Tel est le titre du beau film réalisé par Emma Le Bail Deconchat pour Pyramide Production et France Télévisions qui commence ces jours-ci sa carrière publique après quinze mois de tournage. Un beau film en vérité, qui approche d'aussi près que possible le mystère de la création chez un artiste de premier ordre à la personnalité attachante dont les oeuvres sont surtout visibles à Limoges (un espace lui est dédié par la galerie Artset ) et à Ajaccio (le musée Marc Petit a ouvert ses portes en octobre 2008 au Lazaret Ollandini). Emma Le Bail Deconchat s'est posé la question suivante : « Comment est-on sculpteur, jour après jour, pièce après pièce ? Quelle énergie nourrit l'esprit, incite à se mettre au travail coûte que coûte ? Sans savoir ce qu'il va sortir de la matière, inerte avant que les mains ne viennent s'y plonger, avant que le coeur ne cherche à s'y trouver mêlé ?... » Sa caméra a accompagné intimement le sculpteur, à tel point que l'on entend de bout en bout le bruit de sa respiration, une respiration rauque et saccadée, peut-être parce que Marc Petit, malgré ses quarante années de pratique, éprouve toujours de la peur mêlée au plaisir de créer quand il travaille. Cette peur est plus grande encore s'il s'agit de dessiner, alors il se force à aller vite. Pour un grand projet, il travaille debout, courbé sur le papier posé sur le sol : il faut surmonter le mal de dos pour aboutir rapidement à une admirable Pietà qui deviendra un vitrail dans une chapelle du XIIe siècle.
Dès l'adolescence, Marc Petit qui ignorait encore les musées et les livres d'art, a éprouvé une attirance irrésistible pour la sculpture. Une unique image a décidé de sa vocation : celle de Ptolémée III par Jean Arp (le seul sculpteur dont il prononce le nom au cours du film). Mais il ne sera lui-même ni surréaliste ni abstrait. A partir de vieux morceaux de bois, du plâtre, de la glaise et du bronze, il inventera une immense population de figures bouleversantes. Des figures féminines le plus souvent, car le souvenir de sa grand-mère et de sa mère le hante. Sa mère surtout, disparue alors « qu'elle s'inquiétait encore » pour son fils artiste ! On entend quelques questions d'Emma, auxquelles il répond en confiance : eh oui, sculpter c'est pour lui non seulement installer un volume dans l'espace, mais c'est surtout tenter d'effacer le temps et poser la question de la mort. Question sans réponse bien sûr, alors il faut tâcher de réussir des oeuvres pérennes, c'est-à-dire en bronze qu'il coule lui-même...
On éprouve, devant les oeuvres soigneusement choisies par la réalisatrice, une émotion comparable à celle qui saisit le spectateur devant L'Enfant à la soupe populaire de Medardo Rosso (1893) par exemple, une petite figure de cire qui a conservé la trace des doigts du sculpteur. Mais Marc Petit, alors même que, de deux ou trois rapides coups de couteau dans l'argile, il représente des visages submergés par la douleur ou la résignation, refuse tout misérabilisme. Le film tourne notamment autour d'un groupe d'enfants, bronze visible au Lazaret Ollandini, tragiquement serrés dans un enclos, dont les visages expriment la terreur. Marc Petit était parti d'un souvenir de son fils petit garçon qu'il répugnait à mettre dans son parc. Le parc s'est rempli de figures enfantines qui s'écrasent les unes contre les autres. Né en 1961 et n'ayant pas connu la Shoah, il n'a pas voulu y faire la moindre référence, mais le public voit souvent dans ses oeuvres une réflexion douloureuse sur la condition humaine. C'est ainsi, et l'artiste qui affirme par ailleurs aimer la vie, laisse ses figures de désolation surgir au fil de son travail acharné sur la matière. Du grand art, dont le film d'Emma Le Bail Deconchat rend compte avec une épatante efficacité à laquelle contribue grandement la musique composée et jouée par la violoncelliste Sonia Wieder-Atherton.
(Le DVD Marc Petit, sous le ciel des vivants est d'ores et déjà disponible, notamment dans les FNAC.)
www.marc-petit.com
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