Réalisée en collaboration avec le musée national de Stockholm et le musée Zorn de Mora, l'exposition actuelle du Petit Palais (jusqu'au 17 décembre) est une révélation pour les parisiens. Il faut voir les dames se pâmer devant la grande aquarelle sur papier Vacances d'été (76 x 56 cm, 1886) par laquelle Zorn démontrait son incroyable virtuosité dans l'art de représenter l'eau, ses vagues et ses reflets. La même année, dans une Italie en proie au divisionnisme, l'eau de l'Ave Maria en barque de Giovanni Segantini paraissait bien appliquée et presque besogneuse en comparaison avec celle du Suédois. Mais Anders Zorn n'était pas seulement un as des thèmes aquatiques, ni même un champion du portrait mondain à l'égal d'un autre italien, Giovanni Boldini. La vie d'Anders Zorn ressemble à une success story. Né en 1860, il fut élevé dans la ferme de ses grands-parents maternels qui avaient recueilli sa mère, Anna Andersdotter. Cette dernière, travailleuse saisonnière dans une brasserie allemande, avait conçu l'enfant avec le brasseur, Leonard Zorn, qui reconnut son fils mais ne le vit jamais et n'épousa pas la mère. Malgré tout, doué pour le dessin, Zorn fut admis à l'Académie royale des beaux-arts de Suède à l'âge de 15 ans. Cinq ans plus tard il se fit remarquer à l'exposition annuelle de l'Académie par une stupéfiante réussite : une aquarelle sur papier représentant une jeune fille en deuil, le visage couvert par un léger voile de crêpe (En deuil 42 x 31 cm, 1880). Le roi lui-même en commanda une variante. Zorn avait 20 ans, il était lancé.
Bien marié à une héritière de la grande bourgeoisie juive de Stockholm, Emma Lamm, Zorn se constitua rapidement un réseau de relations, voyagea en Espagne, vécut à Londres avant de se fixer à Paris de 1888 à 1896. Sa carrière y fut étincelante : achats de l'Etat, médaille de 1ère classe à l'Exposition Universelle de 1889, Légion d'honneur etc... Or le maître suédois, loin de rejoindre la communauté de ses compatriotes près de Fontainebleau, s'installa à Paris où il se lia à Auguste Rodin, Jacques-Emile Blanche, le comédien Coquelin Cadet ou le baryton Jean-Baptiste Faure, mais pas aux impressionnistes qui l'intéressaient, sans plus. En 1895, il participa au premier Salon de l'Art nouveau à la galerie Samuel Bing en compagnie de ses amis Rodin, Blanche, Charlotte et Albert Besnard ou encore Frits Thaulow le grand Norvégien dont la manière était proche de la sienne. Mais comment définir la manière de Zorn, ce « glorieux phénomène » selon les mots de Rodin, un connaisseur ?
Nous avons une piste avec les références revendiquées par l'artiste : Edouard Manet d'abord, dont il possédait un tableau, et le naturalisme français. Aquarelliste génial, il utilisait aussi la peinture à l'huile, mais fortement additionnée de solvants pour allonger les couleurs, et cela donnait par exemple l'ébouriffant portrait d'Elizabeth Sherman Cameron (1900). Comme Manet, il réfléchissait d'abord au coup de pinceau, ensuite l'exécutait directement sans passer par un dessin préparatoire sur la toile, et cela donnait le puissant portrait de Frans R. Heiss (1891, musée National de Stockholm). Nul doute que le peintre ait songé au Monsieur Bertin d'Ingres, mais avec un pinceau incomparablement plus léger, et autant d'acuité psychologique. Zorn, peintre mondain ? Sans doute, car il ne détestait ni la haute société, ni l'argent ni les honneurs. Mais, à la différence d'un Boldoni, il était aussi un peintre tout court, qui avait bien compris la modernité selon Manet et en avait proposé une version qui ne fut pas toujours comprise. Il savait en outre rendre compte de la personnalité d'un individu en le situant dans son milieu de vie, avec ses objets familiers. Le portrait de Viktor Rydberg, une aquarelle de 1886, en témoigne et pourrait être signée Vuillard. C'est tout dire.
www.parismusees.paris.fr
|