Le fait est presque incroyable : l'ensemble des musées de l'une des trois plus grandes villes de France invite actuellement une seule artiste contemporaine à un « dialogue avec les collections ». A ce geste de confiance en la peinture et ses pouvoirs, Véronique Bigo a répondu avec le talent qu'on lui connait, fait de générosité, d'inventivité, et aussi d' un peu d'humour. Il s'agit de Marseille, avec son musée d'archéologie méditerranéenne, celui d'histoire naturelle, celui des arts décoratifs, celui des arts africains, océaniens et amérindiens, celui d'histoire de la ville, mais aussi le musée d'art contemporain et naturellement le musée des Beaux Arts installé au Palais Longchamp d'où jaillissent majestueusement en son centre les eaux du canal de la Durance. Le fil conducteur, de Cantini à la Vieille Charité, serait donc l'eau célébrée par le décor du Palais Longchamp ? Pas vraiment ! Devant la richesse et l'extrême variété des images et objets qui lui étaient proposés, l'artiste parvenue au sommet de son art a choisi de créer des tableaux à partir de tout ce qui peut s'échapper du corps sous forme liquide : sueur, sang, urine, larmes, lait, salive, sperme... Non pas une eau mais des eaux devenues métaphores de la condition humaine.
Geste de confiance flatteur, stimulant, excitant peut-être, mais aussi défi technique devant lequel beaucoup de peintres auraient reculé : il ne fallait en aucun cas modifier les accrochages, pas même d'un centimètre. Les tableaux du solennel musée des Beaux Arts fondé par le Premier Consul en 1801 sont ainsi restés immuables, et autour d'eux Véronique Bigo disperse les fragments des oeuvres par lesquelles elle les commente. Le résultat apparaît parfaitement naturel. Par exemple, sous le petit format (46 x 37 cm) où Ingres, peignant Eliezer et Rébecca, rendait hommage à Poussin, Bigo repère un vase grec ancien (un stamnos) dont la forme lui rappelle un parapluie surmonté d'un verre d'eau par le facétieux Magritte. Son tableau en écho, comme toujours peint sur toile de lin écrue encollée, représente donc le stamnos fait pour contenir de l'eau ou du vin, décoré par le parapluie de Magritte. Mais le tableau d'Ingres représente surtout trois femmes vêtues de tissus de quatre couleurs. Quatre petits monochromes de Bigo rappelant ces quatre couleurs viennent donc encadrer le vase. Le dialogue allant de Poussin à Bigo via Ingres est à entrées multiples. Il faut prendre le temps de le goûter. Titre de l'oeuvre en cinq fragments : Robes/vase/Magritte/Ingres.
Et ainsi de suite. Devant le grand tableau Les adieux de Caton d'Utique à son fils par Le Guerchin, Véronique Bigo s'attarde sur le bras nu du jeune homme et pense au célèbre tatoueur américain Duke Riley. Dans son tableau-commentaire, le bras du rejeton de Caton est donc tatoué de nuages pleuvant sur la mer. Réponse humoristique à un tableau dramatique. Le contraire va se produire au Musée d'art contemporain où une salle est réservée à une drolatique sculpture de son fameux Chat en boxeur par Alain Séchas. Mais la boxe, pour Véronique Bigo, est aussi synonyme de souffrance. Il y a de la sueur et du sang au cours des combats, ce que rappelle de manière quasi abstraite un grand tableau accompagné d'un plus petit représentant une éponge environnée de gouttes de sang et de trois monochromes. Réponse dramatique à une oeuvre humoristique. La créativité de Véronique Bigo paraît inépuisable de musée en musée, et elle est actuelle. Voici une splendide réponse à ceux qui continuent à vouloir croire que la peinture, parce qu'elle est peinture, ne fait pas partie de l'art contemporain.
(Musées de Marseille jusqu'au 11 février 2018)
www.bigoveronique.com
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