Les visites dans les écoles des Beaux-Arts de France, qu'elles soient nationales, régionales ou municipales, sont toujours intéressantes. Dans ces institutions, des jeunes qui se sentent déjà artistes se préparent à affronter le « monde de l'art », ils y montrent leurs premiers travaux. J'ai été particulièrement frappé par les mutations annoncées par l'exposition Face au mur (du 28 septembre au 29 octobre) de l'ESBA du Mans (site en lien avec les écoles de Tours et d'Angers). Indiquons d'abord que le bâtiment de l'école est moderne, bien situé dans le centre historique de la ville, non loin de la cathédrale. Les espaces sont clairs et vastes, ce qui n'est pas négligeable. Il s'agissait de la présentation d'oeuvres de diplômés en fin de cursus. Ce genre d'expérience est l'occasion pour les élèves de passer au statut d'artiste à part entière (ou bien de « créateur émergeant », comme on dit aujourd'hui). Cela se passe dans le hall d'entrée : tous les étudiants peuvent voir, comparer et discuter ce que font ceux qui ont cinq années d'école. Quant au public extérieur, il semble rare bien que l'entrée soit libre, et c'est dommage. Il y avait cette année quinze exposants de sensibilités diverses (le design fait partie de l'enseignement). Certains, comme Kévin Alberola, manipulaient la vidéo avec beaucoup de savoir-faire et d'humour, d'autres abordaient des sentiers plus novateurs (aucun peintre, aucun sculpteur : j'ai remarqué au fond d'une salle une accumulation de chevalets visiblement sans emploi). J'ai dit que des mutations s'annoncent dans le profil des artistes : donnons-en deux exemples.
Zoé Bonnardot a choisi l'option « design d'espace de la cité », elle s'intéresse aux rapports entre le citoyen et son environnement urbain, aux nouvelles mobilités et aux services qui les accompagnent. Son travail rejoint le design social, le design de service, l'urbanisme et la sociologie. « Ma vision du monde, écrit-elle, s'est établie tout au long de mon parcours, tant sur les bases et références théoriques de l'Université de Nîmes, que sur les bases théoriques et plastiques liées à la ville de l'école des Beaux-Arts du Mans. Mon immersion au sein du master « Codesign » de la Royal Danish Academy of Fine Art (Copenhague) m'a permis d'approfondir considérablement mes connaissances en matière de recherche et d'expérimentation des nouvelles pratiques du design, et plus particulièrement sur la question d'un « Design démocratique » en relation avec le domaine de l'anthropologie. » En effet, Zoé Bonnardot est déjà partie à Nairobi, sac au dos, pour se lancer dans une pratique innovante du design social. Elle veut travailler à des projets qui ont du sens avant d'avoir une forme, prenant en compte l'usager au cours du processus de création. Impressionnant, non ?
Koré Préaud est partie en 2013 à l'Université du Québec à Montréal afin de suivre des études dans les nouveaux médias interactifs (sous la tutelle d'Alexandre Castonguay). Au Mans, elle poursuit ses études dans le Master de Design sonore avec Philippe Langlois, compositeur et designer sonore pour la radio et le cinéma. Au Mans, elle a également participé à deux workshops commandés par la Cité Universitaire de Paris et la SNCF, en partenariat avec l'Ecole Nationale Supérieure de Création Industrielle et l'IRCAM. Elle est devenue compositrice électro-acoustique et fait du design sonore industriel. Elle a obtenu son master de Design Sonore avec les félicitations du jury. Décidément, on ne s'inscrit plus aux Beaux-Arts pour devenir un marginal crève-la-faim : on se prépare à de nouvelles fonctions sociales utiles dans un monde radicalement nouveau. Ce ne sont finalement pas des « mutations qui s'annoncent », mais plutôt des mutations déjà en cours dont Zoé Bonnardot et Koré Préaud sont devenues les actrices opérationnelles en tant que plasticiennes. N'est-ce pas épatant ?
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