Les expositions temporaires du musée Jacquemart-André sont toujours d'excellente qualité, et « Rembrandt intime » (jusqu'au 23 janvier 2017) ne déroge pas à la règle. Le musée possède trois tableaux du maître hollandais, dont l'admirable Repas des pèlerins d'Emmaüs de 1629 témoignant de sa sensibilité religieuse, et il était particulièrement légitime pour cette institution de construire une exposition autour de Rembrandt. Mais pourquoi ajouter à son nom le mot « intime » ? En effet, plusieurs oeuvres, dans ce cas, n'ont rien à faire ici, et d'autres, absolument indispensables au sujet, sont bizarrement absentes. Rien à dire, évidemment, sur les autoportraits par lesquels, tout au long de sa vie, le peintre a scruté ses traits et littéralement livré son âme. Les organisateurs mettent en avant, avec juste raison, l'Autoportrait à la tête nue de 1633 venu du Louvre. Mais pourquoi, parmi d'autres, le Portrait de la princesse Amalia van Solms (1632) qui n'est qu'une fructueuse commande de l'aristocratie faite au peintre, sans rapport avec sa vie intime ? Evidemment, le tableau faisant partie de la collection du musée, il était tentant pour ce dernier de l'accrocher. Pourquoi aussi le Vieil Homme en costume oriental venu du Metropolitan de New York (1632) ? C'est sans doute un « chef d'oeuvre absolu » comme l'écrit Emmanuel Starcky, commissaire de l'exposition, mais ici encore sans relation avec l'intimité de l'artiste.
Il fallait bien entendu évoquer les deux femmes qui ont compté dans la vie de Rembrandt : Saskia et Hendrickje. Voici donc le somptueux Saskia en Flore (1634) venu du musée de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg, et une feuille d'Etudes de têtes de Saskia de la Fondation Custodia (1636). Or à ces dates, Saskia (épousée en 1634) était dans tout l'éclat de sa beauté. Ne fallait-il pas évoquer également le premier grand drame de la vie intime de Rembrandt, la mort de sa femme en 1642 à l'âge de trente ans, épuisée par les fausses couches et une pneumonie ? Un bouleversant dessin à la plume et au pinceau de 1640 la montre au lit, le visage souffrant dans lequel le peintre a magnifiquement exprimé sa propre douleur et sa pitié. Ce dessin appartient au Petit-Palais à Paris qui participe à l'exposition : ne pouvait-il pas prêter ce document essentiel ? Si ce n'était pas possible, ne pouvait-on pas s'adresser au Musée de Dresde qui en détient une autre version ?
Pour Hendrickje, le commissaire a retenu le beau portrait de la National Gallery (1652-1656) en le qualifiant de « portrait puissant qui témoigne de l'importance essentielle que prit Hendrickje dans la vie de Rembrandt ». Sans aucun doute, mais l'histoire d'amour de ce dernier avec sa servante a commencé en 1649, et il existe au moins un chef d'oeuvre qui témoigne des sentiments intimes de l'artiste. Il s'agit d'un génial lavis brun, Jeune femme endormie (1654), propriété du British Museum qui lui aussi a participé à l'exposition. Ne pouvait-il prêter également cette oeuvre exceptionnelle, le seul dessin pour lequel Rembrandt a utilisé exclusivement le pinceau ? Son expressivité inégalée s'explique par l'agencement médité des lignes, faites de coups de pinceau transparents. Rembrandt a séparé avec soin la lumière de l'ombre pour réussir une tendre évocation d'Hendrickje. On peut dire, devant ce dessin émouvant, que l'artiste évoque la jeune femme avec gravité et reconnaissance. Rembrandt laisse ainsi transparaître sans le vouloir sa propre bonté, lui qui brave les convenances (Saskia, elle, était membre de la bonne société d'Amsterdam) pour témoigner de son amour pour une femme considérée alors comme de basse extraction. Le Rembrandt intime est là, infiniment plus présent que dans le portrait de la National Gallery. Mais ce dessin est absent de l'exposition, ce qui est bien dommage.
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