Le Musée d'Art Contemporain de Lyon présente une exposition de Jan Fabre, Stigmatia-Actions et performances 1976-2016 (jusqu'au 15 janvier 2017) qui ne peut laisser indifférent. En effet, s'il est vrai que « le paradigme contemporain est la transgression des limites » comme l'affirme Nathalie Heinich, alors le belge né à Anvers en 1958 apparaît comme un champion toutes catégories de l'art contemporain. Germano Celant, commissaire de l'exposition, rappelle que Jan Fabre n'est pas seulement un artiste plasticien : également auteur et homme de théâtre, « quel que soit le genre qu'il aborde, il en déplace systématiquement les frontières. » Dans la vaste salle du musée qui lui est réservée, on distingue d'abord des rangées de tables constituées par des plaques de verre posées sur des tréteaux ». La table, pour Fabre, est une sorte de scène, « un territoire, une frontière... La table sur laquelle je travaille chez moi, c'est celle que je me suis bricolée à 18 ans avec une plaque de verre et deux tréteaux de bois... Je me servais souvent de cette table comme d'un lit. Etant jeune, j'avais de sérieux problèmes nerveux et neurologiques : mon corps montait souvent en température et c'était agréable de pouvoir m'allonger sur du verre froid... Ainsi la table de travail est devenue un lit de purification... »
Sur ces lits sont disposés des outils, des photographies, des articles de presse, des « sculptures-costumes », des objets divers dits « modèles de pensées » et tout autour, sur les murs, des dessins, des photographies et des écrans rappelant les actions et performances sur quarante ans. Il y a 84 stations possibles. Comment choisir ? Le visiteur note la présence obsessionnelle de scarabées. C'est que l'artiste fait écho à son homonyme Jean-Henri Fabre (1823-1915) et collectionne comme lui ce coléoptère qui est pour lui le symbole, comme dans une vanité classique, « du lien entre la vie et la mort en tant que champ d'énergie positive, et non pas négative. La mort nous garde éveillés. » On s'explique ainsi que, invité par la reine Paola à créer une oeuvre pour le plafond de la salle des glaces du Palais Royal de Bruxelles, il ait produit Heaven of Delight : un ciel iridescent composé d'un million d'élytres de scarabées... Un film de 2004 évoque une performance mémorable qui eut lieu au Palais de Tokyo à Paris, interprétée par Jan Fabre et Marina Abramovic en armures, qui évoquèrent cinq heures durant la légende de Saint Georges. Il s'agissait pour les deux artistes, qui mettaient en jeu leur propres corps, de défendre « la vulnérabilité de la beauté et de l'art. »
Homme de théâtre, Jan Fabre est le créateur en 2015 de Mount Olympus. To Glorify the Cult of Tragedy, a 24-hour Performance. La pièce réunissait effectivement pendant 24 heures 27 acteurs et danseurs, garçons et filles nus dégoulinants de peinture. Ces performeurs devaient aller jusqu'aux limites de leurs forces ; ils exprimèrent en particulier le 5 juin 2015 à Berlin des débauches extrêmes autour de Dionysos, des scènes bestiales et orgiaques au son de musiques envoûtantes. Jan Fabre entend pousser au paroxysme les passions humaines. Pour certains, sa démarche est enthousiasmante, pour d'autres, il ne serait qu'un bouffon. Sa toute dernière action, créée à l'invitation du mac-Lyon n'a-t-elle pas pour titre Une tentative de ne pas battre le record du monde de l'heure établi par Eddy Merckx à Mexico en 1972 (ou comment rester un nain au pays des géants) ? On voit sur l'écran l'artiste habillé de noir pédaler assez poussivement sur un authentique vélodrome. Est-ce vraiment de l'art ? L'art contemporain est avant tout déceptif à l'égard des attentes communes quant à ce que devrait être une oeuvre d'art, enseigne aussi Nathalie Heinich. De ce point de vue, Jan Fabre est à l'évidence un très grand artiste contemporain.
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