L'Ecole de Barbizon, et le paysage français au XIXe siècle, Jean Bouret, Ides et Calendes, Lausanne, 244 p., 59 euro.
C'est une excellente idée éditoriale, car si l'on parle très souvent de l'Ecole de Barbizon et de son principale protagoniste, Camille Corot, on a perdu un peu le sens véritable de ce retour à la nature à deux pas de Paris de la part d'un groupe toujours plus nombreux d'artistes. Il est vrai que leurs successeurs directs, les impressionnistes font encore tellement parler d'eux, que leurs menées artistiques en sont quelque peu ombragées. De plus, il n'est pas non plus inutile de revisiter le paysage français dans la première moitié du XIXe siècle. Mais je crois qu'il aurait fallu que l'auteur ait pris plus de champ pour nous faire comprendre la spécificité de la recherche de ces peintres dans leur relation avec la nature et que a été leur singularité et leur originalité. L'auteur d'ailleurs a pris en compte cette optique, mais d'une façon un peu étrange, en la dispersant dans le volume, sans expliquer l'évolution de l'art du paysage dans la culture européenne, en commençant sans doute par les grands créateurs hollandais, dont Jacob van Ruisdael a sans doute été celui qui a démontré le plus de talent en la matière avec Jan van Goyen et tant d'autres maîtres de valeur, sur lesquels s'est penché d'abord Jean-Baptise-Pierre Lebrun (le mari de Madame Vigée-Lebrun, médiocre peintre,mais habile négociant en tableaux et en antiquité qui fera un grand catalogue des arts du Nord qui demeurera une référence) et puis Arsène Houssauye, le directeur delà revue l'Artiste qui a publié en 18547 son Histoire de la peinture flamande et hollandaise. Et puis il aurait dès le début parler de la grande peinture de paysage anglaise, surtout celle de Jon Constable, sans oublier Turner et Bonington, tous ici présents, mais d'une façon un peu subalterne et surtout un peu déplacée de son contexte. Constable est sans aucun doute l'homme par qui tout a commencé pour ce XIXe siècle qui promettait des changements profonds dans la société, les moeurs et la culture. Enfin, il est nécessaire de ne pas oublier qu'il a existé une école du paysage en France à la fin du XIXe siècle dont le meilleur représentant a été Valenciennes. De tout cela l'auteur nous entretient un peu, mais sans entrer dans les détails et, surtout, sans définir les liens entre tous ces moments de ce genre. Il préfère d'ailleurs mettre l'accent sur des figures peu connues et qui mériterait de retenir notre attention, comme par exemple Georges Michel, qu'il considère comme un précurseur. Il en est de même pour Barbizon. Il consacre tout un chapitre à Jules Dupré, un Picard dont on a fait assez peu décas. Camille Corot, avec ses indiscutables qualités, n'est pas pour l'auteur le pivot de Barbizon, mais Jean-François Millet. Charles-François Daubigny est quelque peu réhabilité. Il tient à nous faire connaître des figures mineures, mais pas inintéressantes, comme celle de Charles Jacques. En somme, c'est une étude très personnelle de Jean Bouret, plus qu'une somme définitive sur la question. Mais son livre est assez intéressant et bien documenté pour nous donné l'envie d'explorer la forêt de Fontainebleau et de mieux connaître Barbizon au-delà de mythes qui se sont tissés dans se sous-bois.
Otto Dix, le retable d'Issenheim, sous la direction de Frédérique Goerig-Hergott, musée Unter/Linden, Hazan, 264 p., 35 euro.
Otto Dix (1891-1969), ce grand artiste allemand apprécié assez tardivement par les amateurs français (comme d'ailleurs plupart des expressionnistes, qu'on a commencé à reconnaître petit à petit à partir des années 1970), comme d'ailleurs le futurisme et les autres avant-gardes du début du siècle qui n'avaient pas vu le jour à Paris. Il y avait quelques exceptions pour des personnalités hors pair, mais elles ne faisaient que confirmer la règle générale). De plus, il faut tenir en compte le peu d'affinités entre la culture française et la culture allemande (surtout dans notre sens). On a reconnu quelques écrivains des pays de l'autre côté du Rhin comme Thomas Mann, qui a obtenu le prix Nobel, Stefan Zweig, Franz Kafka (juste avant la Seconde guerre mondiale) mais on a ignoré la majorité des écrivains que nous célébrons aujourd'hui avec tant d'ostentation. Pour la peinture, ce fut bien pire. L'expressionnisme n'a pas intéressé grand monde. Quand les jeunes membres du groupe Die Brüke ont contacté des artistes travaillant en France, seul Van Dongen leur a répondu ! Un Batave ! Seul Maurice Vlaminck s'est intéressé de loin à cet art avec lequel il se sentait des affinités. Si le sentiment anti allemand était fort, il y avait un abysse culturel des deux côtés du Rhin, avec des ponts bien maigres, pour la philosophie par exemple, mais peu pour l'histoire de l'art, où pourtant les spécialistes allemands étaient en général plus brillants et plus inventifs dans leurs méthode d'investigation. Même l'Italie, qui a eu des relations plus grandes avec l'Allemagne, a laissé passé le moment des avant-gardes. Le futurisme, dominant à l'étranger, avait bien des contacts avec toutes sortes de cercles, dont Der Sturm, mis pas sur le plan formel. Otto Dix est maintenant reconnu comme un des grands artistes du passé récent en France, mais jusqu'à un certain point. Il ne plaît pas au grand public. On s'y intéresse d'ailleurs plus comme l'un des fondateurs de la Nouvelle Objectivité au début des années vingt, plus que comme l'un des pionniers de l'expressionnisme. Sans doute s'est-t-il essayé à des expériences ayant trait au cubisme, au futurisme, au dadaïsme, avant de trouver son propre langage. En fait, ce qui a forgé le style de Dix, c'est la guerre. Cette expérience, loin de faire naître en lui l'âme d'un guerrier, comme ce fut le cas pour Ernst Jünger, laissa dans son coeur et dans sa chair une blessure profonde, dont il n'est jamais parvenu à se guérir. La relation intime entre le peintre et son lointain prédécesseur Matthias Grünewald n'est pas seulement évident dans son célèbre Triptyque de la guerre (aujourd'hui conservé à Dresde) dans Les Tranchées ou même dans La Tentation de saint Antoine. Cela remonte aux premières années de guerres avec ses encres à la plume de la Crucifixion, ou dans d'autres scènes religieuses, dont une huile curieuse, La Nonne (1914). Pour cet artiste, Grünewald est devenu le paradigme de tout ce qu'il a pu vivre, les combats comme les affres de la paix, les tourments de la vie sociale. Sa seconde vie de militaire, en 1944 lui a inspiré un terrible Autoportrait (1947), celui d'un homme défait, détruit intérieurement, non à cause du sort néfaste des armes, mais parce qu'il était retombé dans ce gouffre infernal. A partir du début des années quarante, il a choisi de peindre d'une manière plus apaisée, donc sans tous les excès que lui ont inspirés ses souvenirs et ses cauchemars. Il a fait de très beaux portraits, dans un réalisme n'appartenant qu'à lui. Mais il est resté fidèle à son maître adoré, même dans sa Madone aux barbelés (1945), quand il l'a peinte pour l'église du camp de prisonniers où il se trouve enfermé (aujourd'hui à Berlin). Mais avec Le Christ en croix de 1946, qui marque son retour à la liberté, il a renoué avec sa façon très prégnante de rendre les souffrances du monde à travers celles du Seigneur. Et son Job (conservé à Vaduz), achevé la même année, a les mêmes caractéristiques. En fait, il n'a jamais retrouvé la paix, l'un de ses derniers tableaux, Homme de douleur (1964) en est la preuve concrète. Ce catalogue a beaucoup à nous apprendre sur Otto Dix et son terrible destin, sur les fondements de son art et à sa relation si étrange avec l'art ancien.
Les Fleurs du mal, Charles Baudelaire / Henri Matisse, précédé des Belles ténébreuses de Stéphane Guégan, deux volumes sous coffret, Hazan, 25 euro.
La présentation de Stéphane Guégan ne se paie pas de mots : elle est claire, d'une limpidité rare et apporte au lecteur l'essentiel de ce qu'il doit savoir sur cette réédition. Matisse a toujours été un grand lecteur de Baudelaire et le titre de certains de ses tableaux depuis la période fauve en témoigne amplement. Mais il y a un gouffre entre le versant sulfureux du poète et la jubilation chromatique du peintre. Baudelaire est sombre et Matisse rayonnant. Guégan a choisi de nous présenter cette relation très particulière à travers la lecture qu'a pu faire Paul Valéry du recueil de Baudelaire. De plus, il est question du rapport plus étroit qui s'établit entre Matisse et Louis Aragon à ce moment précis. Aragon est un proche de Pablo Picasso. L'immédiate après-guerre allait d'ailleurs démontrer son attachement à ce dernier (sur le plan esthétique) dans le conflit ouvert entre les tenants du réalisme (socialiste) avec André Fougeron en tête, et l'auteur de Guernica : l'affaire du portrait de Staline à la une des Lettres françaises en est la preuve. Mais, une fois qu'Aragon a fait ce choix, il se lance dans l'écriture de son dernier grand livre : Matisse, roman, qui paraît en 1971 (il l'aurait ébauché dès 1941). L'éditeur a choisi de reprendre l'édition de Baudelaire telle qu'elle a été imprimée en 1947, donc du vivant de l'artiste. C'est extrêmement beau (tout le monde pourra le voir et on se dispensera donc de mes commentaires à ce propos), mais aussi très curieux car le peintre n'illustre pas du tout les poèmes de Baudelaire, mais les accompagne de dessins (en générale des lignes qui s'enroulent sur elles-mêmes), de lettrines et de portraits de femmes. Celles-ci sont tout autres que maléfiques, ce ne sont pas des femmes de mauvaise vie, bien au contraire : elles sont solaires ! Mais l'ensemble est beau et se présente comme l'expression de cette grande tension dans la culture française entre la clarté (de la forme, du style, mais aussi du sujet) et des aspirations à la noirceur et aux ambiguïtés (nous n'aurons pas de « romantisme noir » comme en Angleterre, mais des feuilletons, plus tard, avec des aspects mystérieux, ce qui est tout à fait différent). Ces Fleurs du mal sont changées en un jeu de formes aux rondeurs rassurantes. Ces dessins ne trahissent pas l'esprit du poète, et exalte surtout la beauté de son écriture et de certaines fulgurances de son écriture.
Elégies documentaires, Muriel Pic, Macula, 92 p., 15 euro.
Curieux livre que celui-là ! L'auteur a commencé une série de poèmes sur le tourisme à Rügen, en Poméranie, jusque avant l'invasion de la Pologne. Rügen, avant d'être un lieu de villégiature pour les travailleurs du IIIe Reich, a été un lieu mythique de la culture allemande de la période romantique. Comment ne pas se souvenir du merveilleux tableau de Gaspar David Friedrich, Falaises de marbre à Rügen ? Il l'a peint en 1818, l'année où il a épousé Christiane Caroline Bommer. Le troisième personnage serait le frère de cette dernière. Ce court séjour et ce tableau ont en plus inspiré le célèbre récit du périple de Carl Gustav Caylus, effectué un an plus tard et dont il a tiré un petit livre, Voyage sur l'île de Rügen. Sur les traces de Gaspar David Friedrich. Evidemment, il y a un contraste entre ces deux mondes, un peu ce malheureux malentendu de l'histoire qui a conduit le peintre Music à Dachau (il croyait que c'était toujours une colonie de peintres !) Mais s'agit-il véritablement de poésie ici ? Pas tout à fait. C'est une manière de présenter les choses et de se permettre des ellipses. Muriel Pic met l'accent sur tout ce que le nazisme (et, par extension, tout régime totalitaire) suppose. Et le texte est complété par des documents, des photographies ou des papiers officiels. La seconde partie nous fait pénétrer dans le monde des ruches. Ces ruches se trouvent en Israël et l'auteur de nous ramener au temps des pogroms et puis du sionisme. En somme, le départ vers la Terre promise. Et là, il nous présente le cahier d'hébreu de Franz Kafka et le commente en toute liberté. Et puis il est question de Chomsky. Il faut entrer dans son jeu sous peine de perdre le sens de l'orientation. Cette très curieuse et donc intrigante dialectique entre les images reproduites et l'écrit donne parfois des instants de délectation, d'autre fois, l'idée que l'on s'est perdu dans un univers inconnu ! Mais c'est une oeuvre originale, qui n'a rien à partager avec les expériences avant-gardistes du début du siècle dernier. C'est une manière de vivre autrement la pensée et l'écriture. Il va de soir que le lecteur doit faire des efforts pour trouver sa route, non que les textes soient incompréhensibles, mais parce que le cheminement entre tous ces signes demeurent souvent énigmatiques ! Mais ces Elégies documentaires méritent vraiment qu'on s'y arrête.
François Couperin, Christophe Rousset, Actes Sud / Classica, 224 p., 18 euro.
Quoi de plus difficile que de faire la biographie d'un homme dont on ne sait au fond que très peu de choses. Les quelques éléments qui se proposent sont qu'il est fils d'organiste, qu'il le devient à son tour, que le roi l'a choisi pour sa chapelle de Versailles, qu'il l'apprécie assez pour l'anoblir (il devient simplement chevalier) ; cela est assez maigre pour un musicien qui, sans connaître la gloire, n'en a pas moins été reconnu de son vivant et très apprécié. Alors Christophe Rousset s'efforce de comprendre le cheminement de l'artiste à travers la publication de ses oeuvres. Il rend un hommage assez curieux au grand Lully (Apothéose de Lully, 1725), qui voit se diriger avec le Parnasse au moment de sa disparition, mais y trouve un accord avec Corelli, à la gloire duquel il a écrit aussi une Apothéose (1724) (de toute évidence , Couperin fait référence aux disputes violentes entre la musique française et la musique italienne). Le Roi Soleil avait choisi le Toscan Lully pour incarner son idée de la musique française. Son Art de toucher le clavecin nous révèle des choses bien curieuses : en particulier que ses airs ont été parodiés et ont même servi à composer des chansons plus que légères ! En fait des sources importantes peuvent compenser le peu d'informations que nous avons sur sa vie : les premières sont les présentations de ses recueils et la seconde le témoignage de ses contemporains.Cependant il y a aussi des obstacles de taille : la défaveur qu'il connaît à la mort de Louis XIV sous la Régence, mais aussi sous le début du règne de Louis XV, et puis la disparition de ses grands motets. Mais Les Nations prouvent qu'il avait toujours l'humeur créative après 1715 et que ses sonates avaient toujours tendance à aller chercher en Italie d'autres ressources que celles offertes par la musique française imposée par Lully et qui allait durer jusqu'à Gluck (donc jusqu'en 1770). De son oeuvre religieuse, il n'est resté, hélas, qu'assez peu de choses à part ses superbes Leçons de ténèbres. L'auteur insiste sur le fait que son oeuvre profane a été loin d'être négligeable surtout à partir de la fin du règne de Louis XIV. Ce grand organiste et ce merveilleux maître du clavecin s'est avéré habile dans les genres les plus divers, même les plus inattendus et les plus légers. Ce livre est un guide précieux pour comprendre toutes les subtilités d'un art complexe et que le musicien a voulu d'une tonalité originale. Sans doute n'a-t-il pas été un grand maître de l'opéra, comme Rameau. Mais il a laissé une trace profonde dans la musique française et celle-ci se révèle toujours plus incontournable dans notre histoire.
Bottins proustiens, Michel Erman, « La Petite Vermillon », La Table ronde, 240 p., 7,10 euro.
L'Humour de Marcel Proust, anthologie de Bertrand Leclair, illustration de Philippe Pierretée, Folio, 204 p., 7,70 euro.
Lettres au duc de Valentinois, Marcel Proust, édition établie par Jean-Marc Quaranta, préface de Jean-Yves Taidé, Gallimard, 96 p., 14,50 euro.
Le Manteau de Proust, Lorenza Foschni, traduit de l'italien par Danièle Valin, « La Petite Vermillon », La Table Ronde, 144 p., 5,90 euro.
Tout lecteur passionné de Marcel Proust, même le plus aguerri, se doit de posséder ce petit livre qui est un dictionnaire des personnages et des lieux qui se trouvent dans A la recherche du temps perdu. Le plus expert d'entre eux y trouvera sans doute la réponse à une question qui peut sembler parfois secondaire, mais qui est indispensable pour comprendre une situation. Il y a une foule de personnages secondaires dans le macrocosme proustien et chaque grande famille qu'il met en scène possède sa géographie particulière. L'oeuvre de l'écrivain est foisonnante et il y a paraît des figures qui ne sont là pendant quelques pages, parfois même dans une seule scène, dans le fond, mais jamais comme simples figurants, et ne reviennent jamais. Mais elles ont leur fonction, aussi modeste soit-elle. Et les liens qui unissent tous ces êtres de la bonne société française de l'époque ne sont pas faciles à remémorer. Avec ce précieux viatique, personne ne devrait plus se perdre, car la Recherche est encore plus labyrinthique que la Comédie humaine de Balzac. Il ne s'agit pas seulement de satisfaire une curiosité légitime, mais bien de comprendre à fond les mécanismes complexes qui relient ou désunissent les familles puissantes de cette avant-guerre qui va représenter leur chant du cygne. Michel Erman a fait un excellent travail : son guide est simple et efficace, ses explications sont concises et se limitent à l'essentiel. C'est enfin un excellent apprentissage de la façon dont Proust a élaboré son ouvrage et dépassant le simple cadre familial et social. Les grandes figures qui hantent son histoire sont de des êtres qui mettent en mouvement des quantités impressionnantes de sentiments et de sensations, de pensées et d'esthétiques. Les hommes et les femmes qui agissent dans le contexte qu'il a inventé, sont des paradigmes pour un autre monde, qui dépasse largement le contexte de cette époque où tout ce petit monde si puissant et si insouciant des métamorphoses de l'Europe s'est cru immortel.
J'ai déjà exprimé dans ces colonnes tout le bien que je pensais de cette petite anthologie de l'humour proustien concoctée par Bertrand Leclair. Je voulais y revenir, car je dois ajouter que l'écrivain éprouvait une passion profonde pour la vie mondaine parce qu'elle lui offrait un spectacle continu et varié qu'aucune scène de théâtre ne pouvait lui offrir ! Dans ce choix, on peut se rendre compte comment Proust maniait la métaphore, la poussant dans ses derniers retranchements. Le cas d'Albertine est des plus intéressants, car l'écrivain aimait beaucoup la dépeindre selon un principe curieux : la comparer à quelque chose et puis construire un monde afférent à ce quelque chose. C'est à la fois poétique et burlesque. Et il est difficile de dire de quel côté penche l'aiguille de la balance ! Il aimait aussi pousser jusqu'à ses conséquences extrêmes une comparaison. En sorte que sa description prenait soudain une toute autre dimension, quelque peu surréaliste ! Observateur au regard perçant d'une société en train de sombrer, il a su en saisir les aspects les plus comiques et parfois ridicules. Il y a chez Proust l'âme d'un dandy dévergondé ! Sans doute, la dimension esthétique de La Recherche a-t-elle émoussé la dimension comique de certains passages, mais ils sont en fait l'un des traits caractéristique de sa littérature.
Ce n'est pas une correspondance énorme qui vient de sortir des archives de la principauté de Monaco : les relation épistolaires entre l'écrivain et le prince de Polignac, devenu par alliance duc de valentinois et Pierre Ier de Monaco, personnages qui n'en font qu'un bien sûr, dans A la recherche, sous le pseudonyme du peu sympathique comte de Nassau. Dans son excellente préface, Jean-Yves Taidé résume les brèves relations entre les deux hommes et n'apporte pas une réponse définitive sur la rupture qui s'en est suivie. La postface très bien documentée de Jean-Marc Quarnata nous apporte de précieuses indications sur ce monde que Proust fréquente avec assiduité » et pour lequel il se passionne si étrangement. Mais là non plus pas de réponse. Mais est-ce là l'important ? L'important se trouve plutôt dans ce que raconte Proust, qui est une sorte de discours pléthorique et confus sur tout ce qu'il fait et ne fait pas, veut et ne veut pas, espère et n'espère pas. Cette grande lettre, qui semble ici si cruciale, est en réalité la manifestation de sa personnalité sans détours (en dehors de ceux de la forme et des convenances). C'est comme un brouillon de son livre, avec de multiples contradictions et le besoin pressant de se dévoiler (ce qu'il ne peut faire bien évidemment). Là, tout commence à être bien passionnant alors que le prince de Monaco, pour tout dire, nous importe assez peu.
Le petit livre de Lorenza Foschini, le Manteau de Proust, est un délice, car il mêle la quête des manuscrits et des traces de l'existence de l'écrivain au souvenir d'une relation obsessionnelle d'un collectionneur à la figure de Marcel Proust. Tout tourne sur le fait que Jacques Guérin, par un étonnant concours de circonstances, a pu faire l'acquisition du manteau de l'auteur. Mais l'histoire ne s'arrête justement pas là. A partir ce cette pièce du puzzle, Lorenza Foschini relate les méandres d'une passion qui a permis la découverte de documents inestimables pour sa connaissance. Ce qui est merveilleux dans cet ouvrage, c'est que la question est traitée à la fois avec sérieux, mais aussi avec une légère pointe d'humour. A travers de nombreuses anecdotes, des documents exhumés, des considérations sur la famille de Marcel Proust et aussi sur ce collectionneur acharné qui a finalement fait beaucoup plus que laisser à la postérité de fameux manteau. (A suivre)
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