Diana Michener prenait son Hasselblad 500 C, trois lentilles (120 mm, 250 mm, 80 mm Planar), un trépied, un luxmètre numérique, puis elle fixait son appareil devant une cage du zoo, et patiemment restait là, une heure parfois, à observer l'animal avant de tirer son portrait (car ses images frontales constituent des portraits) ; ensuite elle passait à une autre cage. Zoo de New Delhi, ménagerie du Jardin des Plantes, zoo de Berlin, de différentes villes des Etats-Unis : un projet mené, par intermittence, sur une période de six ans... Il nous vaut cette exposition intitulée Anima, Animals (jusqu'au 29 janvier à la Maison Européenne de la Photographie) qui nous propose une émouvante série de grands formats en noir et blanc où, au regard tendu des animaux, semble répondre la vision mélancolique de la photographe... « J'ai soutenu leur regard intense et j'ai essayé de leur faire honneur avec mes portraits », dit Diana Michener, lors d'un entretien avec Jim Dine. Loin de la photographie animalière anecdotique, Anima, Animals est une image globale de la liberté perdue et de la vie profonde.
L'année dernière, à la même période (cf. Verso Hebdo du 3-12-15) mais cette fois au Palais de l'Institut de France, les photographies en couleurs d'Éric Pillot nous suggéraient « la mutilation globale de cette vie sauvage, dégradée par les hommes, enfermée dans des zoos, et l'artificialisation étroite de l'immense, profonde wilderness par un décor plat et limité ». Aujourd'hui, les oeuvres de Diana Michener nous parlent de cet accablement des animaux prisonniers : « Une personne ou un animal qui est détenu contre sa volonté ne peut en sortir indemne. (...) Qui voudrait être assis dans une cellule derrière un mur de verre exposé au regard d'inconnus ? », interroge la photographe. Mais il se glisse quelque chose de plus sombre encore dans ces portraits d'animaux... À l'empathie indéniable de l'artiste à l'égard de cette condition carcérale, une problématique intime, subjective mais potentiellement universelle, vient fondre sa note sourde et continue : « ... j'ai projeté sur les animaux mon propre sentiment de perte. C'était quelque chose de naturel pour moi. J'ai toujours penché du côté de la tristesse - sa réalité - et trouvé du réconfort dans la métaphore » (entretien de Diana Michener avec Jim Dine). Le silence des animaux, comme s'il représentait l'immense écoute de la Vie, appelle l'expression des sentiments enfouis. Tendresse gelée, haine des pulsions ou irréparable tristesse... L'humain se confie à l'animal parce que ce dernier ne répond pas. Ou, plus exactement, pas à travers le langage mais par la vie puissante qui émane de lui... L'ours, le lion, le singe, le guépard ont communiqué silencieusement avec Diana Michener, qui dit : « Le moment présent que je partageais avec les animaux, c'était l'image ».
Le Singe du zoo du Jardin des Plantes est assis dans une position réservée. Son regard, doux, luisant, interrogateur, nous reproche la séparation d'avec son milieu naturel d'origine, la séparation artificielle d'avec nous, visiteurs, qui fait de lui un étranger. Voulons-nous ignorer que nous partageons 99% de notre ADN avec lui ?... Le Lion mâle au repos au zoo de Dresde est allongé paresseusement sur le côté, il nous fixe avec tristesse comme s'il attendait que nous lui rendions enfin les chasses fiévreuses et sauvages dans son Kalahari natal... Il y a cette photo d'un ours assis devant un plan d'eau avec un geste des pattes tellement gracieux, un regard si humain qu'on a l'impression qu'il vient d'être hélé par Diana Michener... Mais parfois la photographe, jouant sur le flou de l'animal, fait ressortir le grillage ou la pierre en leur âpre netteté. Par exemple cette photo de loup, dont on imagine qu'il ne cesse d'aller et venir dans sa cage pour remplacer les longues courses solitaires de jadis... Diana Michener compose aussi des images quasi abstraites, où par exemple la girafe n'est plus qu'une trace évanescente. La profondeur de champ travaillée de ses photos argentiques (tirées en numérique pour « obtenir une grande densité d'impression »), avec ses zones contrastées, le décentrement du sujet, la mise en forme de la lumière, évite la plate recension documentaire du « livre de la nature ». Dans chaque sujet qu'elle avait traité, souvent en lien avec la mort (cf. les séries passées Heads ou Foetus ou Corpus ou encore Dogs, Fires, Me), Michener propose des images questionnant la notion d' « âme ». Et cette série sur le monde animal en zoo ne fait pas exception, par son titre déjà, puis directement par ce qui passe dans le regard des animaux, et indirectement par les effets de flou, tensions et lumières de ses compositions.
L'exposition Anima, Animals semble étirée entre le pôle négatif de la cage, de l'isolement, de la perte de liberté, et celui positif, mystérieux, esthétique de la splendeur animale, témoin d'une créativité biologique, d'une invincible puissance de la nature. À ces êtres qui, dotés de tropismes et d'instincts, n'auraient en principe pas d'âme, par ses photos Diana Michener redonne l'âme meurtrie des êtres en exil, loin de leur terre, esseulés. Mais aussi cette âme ardente qui porterait, animerait religieusement la vie entière. Parlant de son expérience photographique avec les animaux, Diana Michener conclut : « C'était une célébration de l'inconscient et le Magnificat, la chanson de Marie, une chanson de vie ». Libre aux visiteurs de prolonger cette exposition, en amplifiant ses effets par la lecture de philosophes de la cause animale : Elizabeth de Fontenay, Florence Burgat, Corine Pelluchon.
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