L'avantage avec la photo, c'est qu'elle nous parle à la fois de l'état des choses et de l'art photographique. L'avantage de la biennale du Mois de la Photo, c'est qu'en un temps relativement court, un nombre considérable (une centaine) d'expositions, en galeries ou musées, s'offrent à notre curiosité. L'avantage des trois thématiques, confiées par Jean-Luc Monterosso à quatre délégués artistiques (Giovanna Calvenzi, Laura Serani, Valérie Fougeirol, Jean-Louis Pinte), c'est que la récurrence de ces thèmes nous focalise par contraste sur la différence des manières, des traitements.
Enfin, des galeries qui ne figurent pas dans le Guide des expositions, elles aussi se sont mises à exposer de la photographie, dans un bel effet d'entraînement qui vient sensibiliser, davantage encore, sur les possibilités de la création photographique, et remotiver les acheteurs hésitant toujours à franchir le pas de l'acquisition.
Sur le thème de la Photographie méditerranéenne, Stefano de Luigi (BETC - Le Passage du Désir), dans Idissey, se livre à un travail conséquent, remarquable, de confrontation. Confrontation entre photographies (faites juste avec un smartphone dans différents sites méditerranéens) et textes. Et confrontation entre textes : extraits de l'Odyssée - puissance mythique et style fleuri - et articles documentaires - faits bruts et actualités récentes - sur les périples épouvantables des immigrés, traversant la Méditerranée pour accrocher une terre accueillante. Chacun, à sa manière, va interpréter ces confrontations : « désublimation » du paysage méditerranéen par la violence économique, perte d'aura de la « belle photo » via la pratique machinale de la photographie sur téléphone portable, ou magie encore du paysage méditerranéen en dépit des proliférantes constructions modernes, etc.
Dans Corniche des Maures (Immix Galerie), Édith Roux nous montre l'ampleur du paysage côtier méditerranéen de certains points de vue. Elle a divisé en une série de photos qui se suffisent à elles-mêmes ces éblouissants panoramas. Ici, le bleu azur du ciel et le bleu cobalt de la mer se battraient jusqu'à la fin des temps sans le verdoyant arbitrage des terres émergées. Photographié de dos, un personnage isolé, transfuge d'un tableau de Friedrich, s'abîme dans une contemplation extasiée... Un livre aux Éditions du Seuil, dans la collection du Conservatoire du Littoral, est déjà publié avec toutes ces images.
A la galerie Photo 12, Venice in solitude nous montre la Sérénissime à l'aube ou au crépuscule et sans ses habitants... Dans le halo de ses brumes, le reflet de ses dalles humides, la matérialité onirique de ses canaux étrangement désertés, Christopher Thomas a trouvé des occasions de photographies totalement dépourvues d'anecdotes, où la ville ne présente que son décor, ses matières, son architecture, sa grandeur aristocratique.
Sur un autre thème retenu, Au coeur de l'intime, quelques photographes ont joué sur la « pictorialisation » de la photographie, dans une démarche personnelle bien sûr ou référencée au courant pictorialiste (Emerson, Demachy, etc.), mais aussi sans doute par une stratégie plus ou moins consciente d'une patine supplémentaire artistique (convaincre par cet argument formel l'acheteur, encore réticent, que la photographie est davantage que... de la photo !), et cette pictorialisation peut parfois être ressentie comme artificielle. Par exemple, dans Brief encounters, Peter Neuchs (galerie Maria Lund) ne nous convainc pas de l'avantage esthétique de ce « gros grain », sauf à simuler la peinture impressionniste. D'autres photos procèdent, heureusement chez lui, d'une toute autre démarche... La pictorialisation effectuée par Byung-Hun Min (La Galerie Particulière), plus achevée, mieux accomplie, joue parfaitement la référence à la peinture chinoise, ses vides flottant (cf. les essais de François Cheng) et ses émergences précises. Et, paysages aquatiques nimbés de brumes ou fantomatiques corps féminins, ces photographies en gris et blancs, tirées sur un superbe papier, crémeux, épais, réjouiront amateurs de lavis anciens et de photos modernes.
Dans la même rue du Perche, une galerie (Lazarew), ne figurant pas sur le Guide, nous offre une exposition d'une sidérante beauté, Sei, de la photographe japonaise Yuriko Takagi. Voici « une immersion troublante dans l'intimité des fleurs » (sic) qui, par une confondante analogie de formes et matières, s'avère une métaphorisation fantastique, et d'une étonnante poésie, du sexe féminin. Ces tirages argentiques réalisés par l'artiste de macrophotographies en noir et blanc nous invitent à une découverte ahurissante au coeur de l'intime floral/féminin.
Encore et toujours sur le même thème, l'institut suédois, avec Un rêve s'il en fut jamais, nous présente les photographies de Tuija Lindström, défaisant les stéréotypes masculins majoritaires qui sexualisent tout de suite la nudité féminine. La fragilité ou l'épaisseur de la chair, ses marques et son relief étranges installent ces oeuvres en noir et blanc entre le bizarre surréaliste et une tendresse d'identification féminine.
Il faudrait encore parler de l'intimité mémorielle de Carole Bellaïche, avec La Collectionneuse (galerie Basia Embiricos), ou de l'intimité provocatrice de Richard Schroeder, avec ses modèles rousses de I'm not like everybody else (galerie Sit Down), ou encore de l'intimité cultuelle de Chantal Stoman et sa grande exposition, L'image culte (galerie Laurent de Sailly), mais ce n'est là qu'une partie limitée de cette longue promenade pour humeurs vagabondes : le Mois de la Photo.
Le mois de novembre est terminé, d'accord, mais certaines expositions durent, et c'est une chance, jusqu'à la fin janvier...
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