Au Théâtre de la Photographie et de l'Image Charles Nègre, à Nice, jusqu'au 25 janvier, une grande exposition rétrospective sur Frank Horvat, avec plus de deux cents photographies...
Il ne faut pas longtemps pour se rendre compte qu'il n'y a pas plus ici de genre que de code dominant, ou encore de technique ou de démarche esthétique repérables. Paysage, photographie de rue, portrait, photojournalisme, expérimentations, etc., une influence de Cartier-Bresson là, de Boubat ici, puis de l'humour à côté, du dramatique un peu plus loin... Certes Frank Horvat, quand il avait une trentaine d'années (à la fin des années cinquante), s'était acquis une excellente renommée pour ses photographies de mode. Et, à la rigueur, une certaine élégance de la composition pourrait servir vaguement de signature à ce photographe. Mais, ondoyant, éclectique, touche-à-tout, Frank Horvat, par son ouverture maximum, laisse toute la place à l'extérieur, au monde extérieur, quitte à être critiqué pour cette absence de sélectivité, voire de marque subjective. Il avoue : « Mon éclectisme ne m'a pas toujours avantagé. Certains ont douté de la sincérité de mon engagement. D'autres ont objecté que mes photos étaient « peu reconnaissables ». Comme si - disaient-ils - elles avaient été faites par des auteurs différents. Cela m'a conduit à y chercher un dénominateur commun. Je n'en ai pas trouvé un mais quinze. Que je retrouve tout au long de mon parcours et que j'appelle des « clefs ». De là cet ouvrage sorti en 2013, La maison aux quinze clefs, et qui nous vaut cette exposition charmante mais donnant le tournis. Car on a beau suivre consciencieusement les thèmes proposés (« voyages », « lumière », « choses », « deux », etc.), apprécier les titres et commentaires d'un photographe à l'évidence cultivé, en quête de sens (sa mère était psychanalyste) et titillé par la chose écrite, c'est la vertigineuse variété du monde, sa diversité foisonnante, son infinie pluralité que l'on rencontre, et non un photographe créateur, un regard, un style. Et, qu'il s'agisse d'Horvat ou d'un autre, ce constat donne à penser...
Il existe une grande tentation, en effet, de pure extraversion pour la photographie : l'enregistrement du monde dans sa richesse infinie. Décrivant le photographe idéal, Bill Brandt dit : « il doit avoir et garder en lui quelque chose de la réceptivité de l'enfant qui regarde le monde pour la première fois ou du voyageur qui pénètre dans un pays étrange ». Tout est là, l'univers est surabondant. Donc il suffit de se mouvoir sans cesse, avoir l'oeil étonné, un sens plastique, l'appareil en bandoulière, et l'horizon s'ouvrira sans cesse, une oeuvre pléthorique en jaillira.
C'est exactement à l'opposé que se situe la démarche d'Alberto Garcia-Alix (jusqu'au 25 janvier à la Maison Européenne de la Photographie), qui vise justement, par son récit photographique, à marquer les limites de son univers, et même à enclore le monde dans De faux horizons (titre de l'exposition), définissant par la métaphore le moi intérieur et ses obsessions. Là où un Horvat s'oubliait dans le fourmillement hétéroclite du monde, Garcia-Alix se retrouve sans cesse à travers un nombre restreint d'images, plus ou moins oniriques et angoissantes, qu'il traque par le biais photographique, produisant ainsi un monologue que notre regard de spectateur transforme en confession...
Voici un oiseau mort, les ailes déployées (Crucifixion), une surimpression homme/animal (Anatole), un paysage tordu comme un décor expressionniste (Les Asturies), une tête de gamin en cire, coupée en deux verticalement (Autoportrait d'enfant), une inquiétante superposition de personnages (Jumeaux), un site urbain désert évoquant Chirico (Paysage désolé), une femme tournant la tête vers un mur blanc (Gemma face à son horizon), une femme nue enceinte de profil, le ventre très proéminent et les avant-bras dissimulés ou absents (Yurinia), d'autres portraits mélancoliques ou effrayants, etc. Les hantises, les cauchemars de Garcia-Alix mis en scène et traduits en photographies et en formules poétiques. Pas du tout un voyage à l'extérieur, mais une quête intérieure à l'enjeu psychanalytique (souvenirs récurrents), mais également philosophique (ce titre par exemple : Instant inventé pour affronter l'avenir), que sans doute un certain nombre de photographes qualifieront de démarche très (trop ?) littéraire. Cette introspection se voit aussi illustrée par l'usage de la vidéo poétiquement commentée, qui confirme quelques réminiscences esthétiques croisées par Alberto Garcia-Alix dans sa plongée intérieure : le fantastique, l'expressionnisme, le surréalisme, mais aussi les touches espagnoles de Goya ou Buñuel...
Le statut de la photographie dans l'affaire ? Non point une découverte permanente à l'extérieur, mais quelques confirmations « objectales » de la vie intérieure : « Le visible est ici une métaphore de vous-même ou d'une pensée », rappelle Alberto Garcia-Alix.
La confrontation antithétique de ces deux photographes, Garcia-Alix et Horvat, dessine un axe où d'innombrables valeurs intermédiaires croiseront elles-mêmes d'autres axes sécants. Schéma complexe qui prouve, s'il en était besoin, la réjouissante variété des démarches esthétiques que permet la photographie...
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