Louis XIV ayant personnellement dirigé une armée de 30.000 hommes au siège de Strasbourg, obtint la reddition de la ville en 1681 et la rattacha à la France. Il s'empressa alors de rendre la cathédrale au culte catholique (oubliant peut-être que, en vertu des traités de Westphalie, le protestantisme ne devait pas être inquiété en Alsace). Peu après, en 1683, les Jésuites arrivèrent dans la ville et se virent attribuer la chapelle latérale Sainte Catherine de la cathédrale, achevée en 1340. Ils la jugèrent trop sombre et firent déposer les vitraux de deux baies, qui sont aujourd'hui encore en verre blanc. D'où l'idée du ministère de la culture et de la DRAC-Alsace de commander - après mise au concours - des vitraux à un artiste contemporain à l'occasion du millénaire des fondations de l'édifice. La lauréate désignée en novembre, Véronique Ellena, doit installer en juillet, avec la collaboration du maître verrier Pierre-Alain Parot, une oeuvre qui sera une représentation du visage du Christ constitué de photographies de plantes, de paysages et de visages anonymes. Le projet, il fallait s'y attendre, se heurte à de fortes oppositions. Celle de M. Albert Châtelet, ancien conservateur du département des peintures du Louvre, qui n'aime pas « la confrontation des esthétiques », celle de M. Roland Recht, professeur au Collège de France, et surtout celle de M. Marc Schurr, président de la Société des amis de la cathédrale qui ne veut pas de nouveau vitrail à Strasbourg. Véronique Ellena et Pierre-Alain Parot seraient-ils des irresponsables dangereux ?
La première, plasticienne photographe née en 1966 est une artiste réputée, ancienne pensionnaire de la Villa Médicis à Rome, dont le directeur en 2008, Richard Peduzzi, a commenté le travail en termes admiratifs : « Oublions la technique, la grande technique de l'artiste elle est là, présente mais elle ne se montre pas, elle n'existe plus. Les appareils, les pellicules, les outils n'existent plus. Sur les photographies transparait seul le mystère de la vie transposé par le regard de l'intelligence... » Le second, qui a déjà participé à la restauration des vitraux de la cathédrale de Strasbourg, a également accompagné Gérard Collin-Thiébaut pour ses réalisations dans les cathédrales de Cahors et de Tours ou Gérard Garouste pour l'église Notre-Dame de Talant. Il sait par ailleurs surmonter les difficultés techniques, comme en témoignent les panneaux sur cintres qu'il a conçus pour le Land Museum de Darmstadt. Bref ce ne sont pas des amateurs, plutôt des créateurs d'envergure. C'est bien ce que pense Bernard Xibaut, chanoine de l'archevêché de Strasbourg et membre du jury qui a retenu le projet d'Ellena et Parot. « Un choix convaincant par sa dimension religieuse et judicieux puisque tous les apôtres sont déjà représentés dans la chapelle » précise-t-il. Alors ?
Alors, on peut se référer aux réflexions de François Boespflug, dans son dernier et remarquable ouvrage, Le regard du Christ dans l'art (Mame-Desclée) qui se désole de l'effacement du visage dans l'histoire de l'art occidental du XXe siècle, et tout particulièrement de la disparition du visage du Christ, aux heureuses exceptions des Saintes Faces de Jawlensky et Rouault. Le Dominicain voit bien qu'un « art excessivement pieux, paresseusement traditionnel et platement conforme à la foi du gros des fidèles, (est) devenu incapable d'explorer les divers aspects de la sensibilité contemporaine » Il se demande si l'art contemporain serait capable d'aller au-devant des attentes des croyants en pensant à de malheureuses expérimentations qui ont vu des prêtres de bonne volonté, mais sans formation artistique, accueillir dans leurs églises de faux artistes, ignorants par surcroît « en matière de liturgie, de Bible et de théologie ». « La question de l'avenir de l'art sacré d'inspiration chrétienne est donc posée » conclut-il. Et si Véronique Ellena, qui propose de relever le défi de la représentation du visage du Christ dans une cathédrale, annonçait bel et bien le retour au XXIe siècle d'un art sacré digne des espérances des Pères Couturier et Boespflug ? Je ne sais presque rien de son projet, mais le peu que je sais d'elle et de Pierre-Alain Parot m'incite à faire confiance au jugement du Père Xibaut et à souhaiter de tout coeur que cette aventure parvienne à bonne fin en juillet prochain. Dès lors qu'un certain niveau de qualité est atteint, rien n'est plus intéressant que la « confrontation des esthétiques », ne trouvez-vous pas ?
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