Que reste-t-il de l'Occident est le titre du dernier livre de Régis Debray (un échange de lettres avec le journaliste Renaud Girard, aux éditions Grasset). Je l'ai lu au soir de la formidable journée du 11 janvier en espérant y trouver des clefs pour l'analyse de l'immense mobilisation française qui était aussi l'épicentre d'une mobilisation internationale sans précédent. À vrai dire, l'auteur de Vie et mort de l'image se contentait de reprendre un texte paru en janvier 2013 dans la revue Medium qui commençait par ces mots : « L'Amérique s'ausculte, l'Europe s'égare, la Chine se retrouve. Et voilà que reprennent, côté couchant, le nôtre, les violons de l'automne. » Certes, sans être un décliniste, Debray n'est pas un optimiste, nous l'avons vu récemment avec son Stupéfiant image dans lequel il réglait son compte à la France dans le seul domaine de l'art dit contemporain (« nous nous rachetons du refus des novateurs d'hier par une surcompréhension, une suracceptation des faiseurs d'un jour »), mais sa largeur de vues devait m'aider à discerner le sens de l'inespérée fanfare française au milieu des violons de l'automne européen. J'espérais un prophète donnant, avec un an d'avance, les raisons d'un changement d'époque imminent.
Mon espoir n'était nullement absurde. Régis Debray était bien celui qui, devant les navrantes erreurs d'une Amérique capable de se donner à un « péquenot autiste » comme George. W Bush, à ce « moment d'histoire un peu crépusculaire », avait pu envisager que l'Europe incarne seule l'Occident. Il avait même pensé que la France, le pays de Jaurès et de De Gaulle, « devrait et pouvait être son champion ». Hélas ! Nous découvrons page 126 que ce beau rêve est mort à ses yeux. Pourquoi ? Parce que « un président gallo-ricain, M. Sarkozy, lui a porté le coup de grâce en orchestrant notre retour dans la 'famille occidentale', comme qui dirait à Canossa, soit en l'occurrence dans le commandement intégré de l'OTAN » ? Pas seulement : la France ne peut pas, selon l'auteur, être le champion d'une Europe redressée, parce que « le Français contemporain pèche par manque d'estime de soi. » Plus grave : les sentiments d'honneur et de fierté nationale « font sourire de pitié ou d'ahurissement deux moins de cinquante ans sur trois. » C'est que nous ne croyons plus en l'Etat-Nation. La déliquescence de l'Etat en France a abouti à faire oublier qu'il devrait être le détenteur du monopole de la violence légitime « et que sa destruction fait proliférer les irréguliers de la kalachnikov. » Bien vu : de monstrueux fous d'Allah ont fait usage de leur kalachnikov à Charlie Hebdo et dans un Hyper Cacher dans les conditions que l'on sait.
Régis Debray, l'oeil rivé sur nos pseudo-élites qu'il méprise, symbolisées par ce « postmoderne germanopratin qui voit dans l'Etat-nation un objet de musée ou de plaisanterie » ne croyait visiblement pas en un redressement possible. Rien à espérer de cette « Europe de Gribouille qui n'est pas la solution mais le problème », donc envisager le réarmement moral de ce « sous-bloc ectoplasmique avec rustine et voeux pieux (…) revient, je le crains, à vouloir transformer un cul-de-sac en sortie de secours ». Or le peuple français, toutes classes, toutes générations (oui, même les moins de cinquante ans) et toutes confessions religieuses confondue s'est levé comme il ne l'avait jamais fait. Les historiens Jean-Noël Jeanneney, Pascal Ory et Michel Winock aussitôt interrogés par Le Monde, sont unanimes : l'exceptionnelle journée du 11 janvier 2015 restera dans l'Histoire. Il n'y a pas que la Chine qui se retrouve : la France aussi, et à côté de son président, défilaient le 11 janvier en particulier tous les dirigeants européens. Le sous-bloc ectoplasmique pourrait bien se réveiller, et ce seront les français ayant retrouvé l'estime d'eux-mêmes dans de tragiques circonstances qui en auront été la cause.
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