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[verso-hebdo]
05-02-2015
La lettre hebdomadaire
de Jean-Luc Chalumeau
Olafur Eliasson , le maître de l' « absentation »
Au début de son film Le Grand Musée (qui sortira en France le 4 mars) consacré aux travaux d'embellissement du Musée Impérial d'Histoire de l'Art de Vienne, Johannes Holzhausen s'amuse à suivre la directrice, Sabine Haag qui reçoit son homologue du British Museum, Neil MacGregor. Elle lui confie en frétillant qu'elle a obtenu la participation d'Oliafur Eliasson pour l'une de ses salles, et l'Anglais déclare que c'est formidable, « mais qu'il faut faire attention parce qu'avec lui on peut avoir des surprises ». Oh mais, reprend Sabine Haag, je n'ai annoncé sa présence qu'une fois le travail achevé ! Conclusion : Eliasson est un must que s'arrachent les responsables des grandes institutions mondiales, mais peut-être dangereux. On comprend que l'empereur du luxe, conseillé par Suzanne Pagé, ne pouvait que confier au célèbre artiste islandais la première exposition temporaire de sa fondation ainsi qu'une oeuvre pérenne. Vendredi 23 janvier, le magnifique auditorium de la fondation Vuitton conçue par Franck Gehry était comble pour entendre Olafur Eliasson en personne s'entretenir de son exposition, Contact, avec des personnalités, bien entendu elles aussi de premier plan. Il y avait là, en particulier, le philosophe Michel Bitbol, auteur bien connu de Mécanique quantique, une introduction philosophique, et Hans-Ulrich Obrist, le directeur des projets internationaux de la Serpentine Gallery de Londres, naguère désigné comme la personnalité la plus influente du monde de l'art par la revue Art Review, qui jouait le rôle de modérateur.

Michel Bitbol, qui a le grandiose projet d'établir des liens entre la physique quantique et l'art contemporain, introduit la séance par un ébouriffant exposé, bardé de références à Schopenhauer, Husserl et Heidegger, auquel la plupart des auditeurs n'entendent visiblement goutte, mais qui fait apparaître, un bref instant, la substance de son propos. Je m'empresse de noter : dans les arts visuels, le Quattrocento inaugura l'âge de la représentation qui dura environ cinq siècles, puis vint, au XXe siècle l'âge de la présentation. Aujourd'hui, en ce début du XXIe, advient avec Olafur Eliasson l'âge de l'absentation. Ce néologisme forgé par le philosophe désigne l'art de la perte de soi et de la disparition des repères, l'entrée dans l'inconnu. C'est en tout cas exactement ce que l'on éprouve en cheminant dans le parcours réalisé par l'artiste, enchaînement de vastes espaces courbes plongés dans l'obscurité, aux sols parfois mouvementés, aux parois en miroirs qui défient les perceptions. Heureusement que des gardiens charitables viennent au secours des personnes perdues à l'aide d'une lampe de poche pour les remettre dans la bonne direction...

Olafur Eliasson approuve les propos de Michel Bitbol en précisant qu'il a voulu placer le visiteur hors de lui-même en le confrontant notamment à son propre « horizon intérieur » dans le cadre de l'oeuvre qui ne bougera plus, celle qui occupe un long corridor en contrebas du bâtiment dit Grotto en référence aux grottes maniéristes de la Renaissance et précisément baptisée Inside the horizon. Il s'agit d'une ligne courbe de 43 colonnes triangulaires dans un environnement d'un jaune spécial, auquel l'artiste attache beaucoup d'importance car il donne le sentiment de l'infini. L'ensemble longe une pièce d'eau. Chaque colonne a une face recouverte par un miroir, et les deux autres portent une mosaïque de verre jaune coloré à la main (dans son studio de Berlin Eliasson emploie 80 assistants). Le résultat, visible en partie depuis l'auditorium à travers d'immenses baies vitrées, est incontestablement spectaculaire. Reste à savoir si les visiteurs parviennent à discerner leur « horizon intérieur ». Quand l'artiste tente d'expliquer comment il a conçu un « espace pour des idées non formulées », il hésite et s'arrête malgré les encouragements extasiés d'Hans-Ulrich Obrist (« continuez, c'est fantastique ! »). On ne saura finalement pas comment aller vers un futur inconnu. Peut-être est-ce parce que nous sommes dans l'art contemporain comme d'autres sont dans la révolution quantique selon Michel Bitbol ? Je le cite : « la phase destructrice de la révolution quantique une fois dépassée, la réflexion reconstructrice est restée à l'état d'ébauche, sans doute paralysée devant l'étrange mais efficace combinaison de fragments de discours anciens et d'un formalisme prédictif abstrait qui rend la réunification de ces derniers hautement problématique ». Vous alliez le dire, non ?
J.-L. C.
verso.sarl@wanadoo.fr
05-02-2015
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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